Depuis l'intrusion des milices du Polisario dans la zone d'El Guergarat, le 21 octobre 2020, le Maroc a fait preuve de retenue, de sagesse et d'un esprit de responsabilité. Mais devant les provocations répétitives des séparatistes, les autorités marocaines n'avaient d'autre alternative que de réagir dans le respect de leurs attributions. Les Forces Armées Royales ont procédé, ainsi, dans la nuit de jeudi à vendredi 13 novembre, à la mise en place d'un cordon de sécurité afin de rétablir l'ordre et sécuriser le passage des biens et des personnes qui empruntent le corridor de la zone tampon reliant le Maroc à la Mauritanie. Une action légitime pour mettre fin au blocage dans une zone déjà dangereuse par les actes de trafic international de drogue, de terrorisme et de radicalisation. Ce qui est sûr c'est qu'en persistant dans le blocage du passage d'El Guergarat, le front Polisario s'enfonce encore une fois dans la violation des règles du droit et de la jurisprudence internationaux. Pourtant, depuis l'adoption de la résolution 2414, en 2018, l'ONU a enjoint aux séparatistes de se retirer immédiatement de la zone tampon d'El Guergarat. Par ailleurs, les dernières résolutions du Conseil de sécurité exigent à ce que le Polisario respecte le cessez-le-feu et de s'abstenir de tout acte de déstabilisation du processus politique en cours. Dans cet entretien exclusif, le spécialiste en géopolitique français Aymeric CHAUPRADE, ancien enseignant au Collège interarmées de défense, député et membre de la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen, nous livre sa lecture des événements et son analyse percutante de faits qui s'inscrivent dans la durée signés par le front séparatiste. Entretien. MAROC DIPLOMATIQUE : Ce vendredi 13 novembre, les autorités marocaines ont dû réagir pour mettre fin au blocage du passage d'El Guergarat par les milices séparatistes du Polisario. Quelle lecture faites-vous de ces événements dans la zone tampon ? Aymeric CHAUPRADE : Je voudrais faire d'abord un rappel des faits car il me semble qu'ils parlent mieux que n'importe quelle analyse. Le 21 octobre, des éléments du Polisario pénètrent dans la zone tampon contrôlée par la Minurso. Ils provoquent l'interruption des flux de camions de transport de marchandises allant du Maroc vers la Mauritanie et l'Afrique de l'Ouest. Il y a en moyenne 150 camions de marchandises qui empruntent ce passage chaque jour. L'impact sur les approvisionnements de la Mauritanie et de plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest est immédiat et significatif. Le 5 novembre, la Mauritanie publie un communiqué (Alwiam), faisant état de protestations d'environ 200 routiers marocains bloqués à El Guerguerat. Profitant de l'interruption du flux commercial entre le Maroc et la Mauritanie, l'Algérie envoie par avion des fruits et légumes pour ravitailler les marchés de Nouakchott. Le 8 novembre, le lendemain du discours du Roi Mohammed VI, à l'occasion du 45e anniversaire de la Marche verte, le Polisario menace de rompre le cessez-le-feu de 1991 et de déclencher une guerre régionale si le Maroc s'avisait à répliquer à son blocage d'El Guerguerat. Le 11 novembre, l'armée mauritanienne renforce sa frontière avec le Maroc. Le 13 novembre, le Maroc annonce une opération des FAR visant à rétablir la sécurité et la circulation sur l'axe Maroc-Mauritanie. L'opération est non offensive : elle vise au rétablissement de la sécurité des personnes et des biens. Aussitôt, le Polisario annonce la fin du cessez-le-feu et la reprise de la guerre. L'Algérie que l'on avait pas entendu protester contre l'agression du Polisario, réagit tout à coup contre la réponse du Maroc. Vous le voyez, les faits parlent d'eux-mêmes. Confronté à une agression manifeste, le Maroc s'est d'abord montré patient, mais il n'a pas eu d'autre choix que de rétablir la sécurité des personnes et des biens. MD : En réaction, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a exprimé sa préoccupation par les conséquences possibles des derniers développements survenus à El Guergarat, surtout que l'ONU a mis en garde contre les violations du cessez-le-feu et les graves retentissements de tout changement au statu quo. Comment imaginez-vous l'évolution de la situation ? AC : Tout le monde ne peut être que préoccupé quand les tensions augmentent. Pour autant, la préoccupation n'est pas une position. Ce qui compte ce sont les responsabilités. Il y a dans cette affaire un agresseur, le Polisario, et un agressé, l'Etat du Maroc. A partir du moment où la Minurso se montre incapable de rétablir la sécurité à la frontière du Maroc et de la Mauritanie, il est légitime qu'un Etat agressé sur son territoire fasse le nécessaire pour protéger ses ressortissants et les personnes qui empruntent les voies de passage à sa frontière. Avant d'agir, le Maroc a prévenu le Secrétaire général des Nations unies, les membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU ainsi que la Minurso. Les actions du Polisario sont en violation avec le cessez-le- feu de 1991 et le respect de la zone tampon. Elles ne sont pas seulement une agression contre le Maroc, elles sont aussi une violation des positions des Nations unies. J'ajoute que la plupart des Etats ne s'y trompent pas. Mis à part l'Algérie évidemment, qui, en effet, condamne l'action du Maroc ? Beaucoup d'Etats, comme le Qatar, les Emirats arabes unis, le Bahreïn dans le monde arabe, ont au contraire explicitement apporté leur soutien à cette opération de sécurisation. MD : En transgressant le cessez-le-feu qui est en place depuis le 6 septembre 1991 et en faisant fi des appels lancés par l'ONU, les séparatistes ne sont-ils pas en train de freiner la reprise du processus de règlement politique recommandé par le Conseil de sécurité de l'ONU ? AC : Il faut bien comprendre que les attitudes du Polisario et de son mentor, l'Algérie, s'expliquent par leurs échecs cumulés. Ces échecs sont d'abord onusiens. La tendance de fond est que l'ONU sort de l'héritage de la Guerre froide sur le dossier du Sahara. L'ONU aborde désormais le sujet avec moins d'idéologie, plus de pragmatisme. On peut même dire que depuis 2016, la position marocaine de « l'autonomie du Sahara dans la souveraineté marocaine » s'est installée à l'ONU. L'ONU considère que cette proposition est « sérieuse, crédible, pragmatique ». En conséquence, l'ONU s'est éloignée de cette idée utopique d'un référendum sur une population aujourd'hui si brassée qu'il est impossible de déterminer qui légitimement pourrait voter ou non. Les échecs du Polisario et de l'Algérie sont aussi évidents sur la scène internationale. La quasi totalité des Etats du monde reconnaît la marocanité du Sahara. Le Maroc a réintégré l'Union africaine et ses soutiens en Afrique sont ultra-majoritaires. L'ouverture, ces dernières années, de consulats par des pays africains et arabes, aussi bien à Dakhla ou Laâyoune, est l'illustration de cette reconnaissance de la souveraineté marocaine sur ses provinces Sud. Vous imaginez bien dès lors que le Polisario et l'Algérie vivent très mal ces succès du Maroc. Or, tous ces succès, le Maroc les a obtenus par la qualité de sa diplomatie (qui doit beaucoup aussi aux qualités humaines du Ministre Bourita) par la négociation, par l'effort de persuasion, par des résultats réels en termes de développement du Sahara. Le Polisario et l'Algérie tentent donc de faire sortir le Maroc du terrain politique, terrain qui lui est devenu très favorable, pour le faire glisser vers la guerre. C'est un piège. Le Maroc le sait : il doit répondre aux agressions, car il ne peut pas sacrifier la sécurité de pauvres routiers et de tous ces gens qui vivent des flux de commerce entre le Maroc et la Mauritanie. Cependant le Maroc répond de façon proportionnée. MD : La résolution du Conseil de sécurité, adoptée le 30 octobre 2020, constitue un coup dur pour les séparatistes et leurs supporters algériens. Rappelons que l'Algérie, partie prenante depuis le début du conflit, a fait l'objet d'une interpellation par ladite résolution. Comment interprétez-vous son rôle dans ce conflit ? AC : Là encore soyons factuels : pour que le Polisario puisse se déplacer depuis les camps de Rabouni, de Tindouf, vers l'ouest de la région, avec des dizaines de camions et voitures, il lui faut un accord préalable de l'armée algérienne. Il est connu et documenté que les services algériens et la gendarmerie nationale algérienne encadrent ces opérations. Le calibrage des actions, leurs limites, tout cela est validé par Alger. Le Polisario n'existerait pas sans l'Algérie. Sans l'Algérie, il y a bien longtemps que tous les Sahraouis de la région vivraient paisiblement dans les provinces Sud du Maroc et bénéficieraient des mêmes effets du développement que tous ceux qui ont choisi la souveraineté marocaine dans l'autonomie. Depuis Machiavel et son fameux livre « Le Prince » on sait que les régimes politiques qui souffrent d'une faible légitimité politique ont besoin de détourner l'énergie des peuples vers des causes fabriquées. Pour construire sa force et son influence au Moyen-âge, le Roi de France a dû détourner l'énergie rebelle de milliers de féodaux turbulents en les envoyant guerroyer à la croisade. C'est le même principe avec le régime d'Alger. Il livre deux chiffons rouges idéologiques à son peuple pour masquer ses propres insuffisances et sa corruption immense : la France avec le passé colonial, le Maroc avec la question du Sahara. Mais vous savez l'Algérie compte un grand nombre de gens intelligents et lucides, qui se sont affranchis, depuis longtemps, de ces illusions-là. Ces gens savent que l'Algérie ne se développera réellement que lorsqu'elle se sera, premièrement dotée d'un régime de Bien commun, deuxièmement, réconciliée avec le peuple frère du Maroc. MD : En dépit de l'exhortation de l'ONU à l'égard du Polisario de cesser ses provocations, le non-respect et l'acharnement restent les mots d'ordre. D'ailleurs, le Secrétaire général souligne 56 violations majeures des accords militaires. Comment peut-on expliquer cette frénésie et cet entêtement ? AC : La réalité c'est que le Polisario et l'Algérie ont perdu à l'ONU et sur la scène internationale. Ils le savent très bien. Alger opte donc pour la stratégie des tensions. Dans le brouillard de la guerre vous pouvez toujours essayer de faire croire que les torts sont partagés alors que dans le cas présent ils ne le sont pas. Tant que l'Algérie ne sera pas capable de « produire » des personnalités politiques visionnaires qui décident d'une réconciliation historique avec le Maroc, nous verrons ce type de provocation, dont l'agenda épouse, à chaque fois, l'agenda onusien. MD : Au moment où le Maroc fait preuve de retenue pour permettre à la communauté internationale de faire appliquer les principes de la légalité internationale et mobiliser l'action diplomatique en faveur du dialogue que le Royaume a toujours prôné, le front Polisario, soutenu par l'Algérie, persiste dans la violation flagrante des résolutions onusiennes et des orientations du Secrétaire général de l'ONU ainsi que de l'accord militaire. N'est-ce pas clair que le front séparatiste a un seul objectif c'est d'en arriver à la guerre et de semer le désordre dans la région ? AC : Le Polisario n'a pas les moyens de mener une guerre contre le Maroc. D'abord il n'a pas l'adhésion des Sahraouis eux-mêmes, sauf d'une partie très minoritaire. Il ne peut donc que déstabiliser et créer de l'insécurité. Comme je l'ai dit, je pense que constatant ses échecs face au Maroc, le Polisario essaie de pousser Rabat à la faute, ce qui n'arrivera pas. La réaction du Maroc est dosée, proportionnée au but qui est le simple rétablissement de la sécurité et la liberté de circulation à la frontière Sud. L'Algérie peut-elle prendre le risque d'une guerre ? Je pense que les dirigeants à Alger savent qu'une telle éventualité plongerait les deux pays et toute la Méditerranée dans le chaos. Personne n'a intérêt à cela. L'Algérie a certes fait de lourdes acquisitions en matériel militaire et, sur le papier, sa puissance de feu est supérieure à celle du Maroc. Mais sur le papier seulement. Tout historien de l'époque coloniale sait que les meilleurs combattants d'Afrique du Nord au sein des troupes françaises furent les Marocains. La cohésion de la nation marocaine, son unité derrière la cause de l'intégrité territoriale est, de loin, très supérieure à celle de l'Algérie, un pays fracturé, qui depuis son indépendance n'a jamais trouvé sa paix intérieure. Je pense que si l'Algérie prenait le risque d'une guerre, non seulement elle prendrait le risque de la perdre au prix de lourdes pertes (des deux côtés sans doute), mais elle prendrait le risque d'imploser aussi. MD : Ce n'est pas la première fois que les milices du Polisario entravent le trafic commercial international dans la zone tampon sachant que c'est un passage qui participe à la dynamisation de l'activité commerciale entre l'Afrique et l'Europe. Finalement ce n'est pas le Maroc seul qui est impacté par cette situation. Quel rôle peut jouer la communauté internationale si ces violations continuent ? AC : Je crois qu'il ne faut pas exagérer l'affaire actuelle. Les provocations du Polisario sont récurrentes et incessantes ; elles trahissent, à chaque fois, une situation politique défavorable pour le Polisario et Alger. Je pense que tout rentrera très vite dans l'ordre. Concernant la « Communauté internationale », je suis toujours un peu suspicieux à l'égard de ce terme. Il n'existe pas vraiment de communauté internationale, il existe des Etats, des grandes puissances, l'ONU... L'ONU, nous l'avons vu, est progressivement en train de valider la proposition marocaine s'agissant du Sahara, à savoir l'autonomie dans la souveraineté. Les grandes puissances sont sur la même ligne de Washington à Moscou en passant par Paris. Enfin, la très grande majorité des Etats, aussi bien en Afrique comme dans le monde arabe et ailleurs, appuie la position marocaine. Le Polisario n'a pas d'avenir et je pense que ses cadres au sommet le savent. C'est une organisation criminelle qui vit d'une part des trafics sahariens nourris par l'instabilité dans la zone, d'autre part de sa prise d'otage d'une partie des Sahraouis enfermée dans des camps sans avenir (avec la tragédie humaine que cela signifie). Pendant ce temps, les enfants des hauts cadres profitent tranquillement de situations dorées en Europe. Il faut faire la différence entre ces hauts cadres pour lesquels un pourrissement sans solution est leur intérêt personnel, et ce qu'il reste des Sahraouis pris en otage à Tindouf.