Par Hassan Alaoui Le 19 juin reste toujours une date que certaines générations marocaines – appartenant aux baby-boom de l'après seconde mondiale – n'oublient pas. Et pour cause ! Elle est immortalisée par le peuple algérien et, accessoirement maghrébin. Toutefois, pour nous autres marocains, elle constitue un tournant : Houari Boumediene, colonel de son état et chef d'état-major de l'ALN (Armée de Libération nationale algérienne), ministre de la défense du premier gouvernement de Ahmed Ben Bella, a fomenté le sinistre coup d'Etat militaire et renversé ainsi ce dernier. Le pays, à peine indépendant trois ans auparavant, enfermé encore dans les limbes du cafouillage s'est réveillé donc le 19 juin 1965 sous la férule d'un « officier chamarré » , qui s'est d'emblée inscrit dans la tradition des putschistes nassériens d'Egypte, en revendiquant leur modus operandi, leur idéologie, leur héritage même et jusqu'à leur langage. Le pronunciamiento s'inspirait également, à coup sûr, des coups de force latino-américains et se drapait d'une rhétorique : le redressement. Mettant le premier président de l'Algérie indépendante, Ben Bella, dans les oubliettes et s'en prenant avec violence aux voix discordantes, Houari Boumediene « régnera » sans partage sur l'Algérie pendant treize ans avec cette caractéristique que sa seule légitimité demeurait le soutien indéfectible de l'armée et des services de renseignements qu'il mettra en place avec Abdelhafid Boussouf, dit « Mabrouk », ci-devant patron du fameux MALG ( Ministère de l'armement et des liaisons générales). Né en 1932 dans la région de Guelma, à l'est du pays, , de son vrai nom Mohamed Boukharrouba, il était l'adjoint direct de Boussouf – à l'époque homme fort – pendant la guerre d'Algérie. Il faisait partie du célèbre « groupe d'Oujda » qui comprenait un grand nombre d'Algériens installés pour des raisons diverses dans la capitale de l'Oriental marocain , les uns fuyant la répression de l'armée française, les autres s'adonnant à des activités de commerce , les autres enfin membres du FLN algérien . Le « groupe d'Oujda » transformé plus tard en « clan d'Oujda » comprenait entre autres Boussouf, Bouteflika, Kafi , Benaouda et de plusieurs figures emblématiques de la guerre de libération, dont un grand nombre ayant fini dans la trappe du DRS. Deux d'entre eux deviendront présidents de la République, Mohamed Boukharrouba, alias Houari Boumediene et Abdelaziz Bouteflika, alias commandant Abdelkader El Mali.... Il convient de rappeler que le « groupe d'Oujda » avait implanté sa direction militaire dans cette même ville, la dénommant EMG ( Etat-major général) et se distingua par son opposition radicale aux négociations et aux accords d'Evian menés avec le gouvernement français. Abane Ramdane à Tétouan en 1957, le colonel Amirouch à la même époque, Mohamed Khider en 1967 à Madrid, Krim Belkacem à Frankfurt en 1972, Mohamed Boudiaf en 1992 à Annaba, Kasdi Merbah , né à Fès et assassiné à Alger en 1993...Ce ne sont-là que quelques cas connus du grand public, qui constituent le fil noir des règlements de compte du FLN et plus tard du « règne » violent de Boumediene comme aussi du DRS , son rejeton organique congénital. La pensée politique, épidermique souvent, de Boumediene a dominé comme une ombre spectrale l'exercice du pouvoir à l'ombre de l'armée qui est le véritable étrier de l'Establishment. L'une des premières décisions prises et annoncées au lendemain de son arrivée au pouvoir le 19 juin 1965 aura été la nationalisation des pétrole et gaz algériens, à la barbe du gouvernement français, présidé par le général de Gaulle. Dans son sillage, Boumediene et son état-major mettront en œuvre une diplomatie agressive, d'autant plus inédite qu'elle s'inspirera du tiers-mondisme cubain, mâtiné d'un panarabisme nassérien qui finira dans les abimes de la défaite désespérée de juin 1967, où les pays arabes perdirent la guerre contre Israël. Boumediene avait choisi un « jeune compagnon » de la guerre de libération comme ministre des Affaires étrangères : Abdelaziz Bouteflika, natif d'Oujda, l'inventeur de la diplomatie des cigares et des Cohiba que Fidel Castro lui offrait par boites et valises diplomatiques entières. Comme deux papiers à cigarette, indécollables et complices, Boumediene et Bouteflika s'étaient faits à l'idée que l'Algérie serait le leader des pays du Tiers-Monde. D'où cette folle propension avouée à procéder par une sorte de compatimentalisation des champs d'action et d'influence. A priori , l'Afrique ne constituait pas une zone d'intérêt particuliere pour Boumediene, occupé davantage qu'il était par le monde arabe et le Maghreb, prêtant main forte aux révolutionnaires du monde entier, des Black Panters au mercenaire Carlos...auquel étaient offertes en l'occurrence des valises faramineuses de pétro-dollars. Avec le Maroc, Boumediene entretenait des relations ambiguës voire conflictuelles qui relevaient du pathos. Il a fait l'impasse sur sa période à Oujda et à Nador, il instauré une vision manichéenne de la politique régionale et internationale de l'Algérie, soutenu en cela par le virevoltant Bouteflika , « tribun au cigare inamovible » qui, déjà, déployait son machiavélisme véreux contre le Maroc. Boumediene haïssait le Roi Hassan II, mais Bouteflika s'essoufflait à imiter voire mimer le Souverain marocain en ce qu'il avait d'élégant à tous points de vue et de raffiné. Les propos de Boumediene envers le Roi du Maroc relevaient parfois, notamment en privé, de la pure vulgarité et ceux de Bouteflika de l'orfèvre apocryphe et mimétique. Il lui vouait une admiration compulsive. Le tandem Boumediene-Bouteflika , attelage paradoxal, combattait le Maroc par tous les moyens, politique en soutenant les opposants, économiquement, diplomatiquement et entendait l'isoler. L'affaire du Sahara qui est au cœur du dispositif de cette guerre tous azimuts sera donc la pierre angulaire de cette action multiforme. Il n'est pas jusqu'au ministre de l'Industrie de l'époque, Belaïd Abdeslam qui , un tantinet demeuré, affirmait à qui voulait l'entendre que « l'Algérie sera la Rhur algérienne de la région et le Royaume du Maroc son jardin de tomates »... Cinquante ans plus tard, on est en droit évidemment de vérifier, le doigt sur la bouche, ce propos vaniteux...à l'aune d'un désastre économique et politique qui ne dit pas ou a déjà dit son nom... Ce vendredi 19 juin 2020 n'est peut-être qu'un pale souvenir mémoriel pour les jeunes algériens...Mais il est le souvenir attristé de générations , dont nous-mêmes, qui avons investi en la fraternité et en la solidarité entre nos peuples et qui voyons s'envoler les espoirs. Boumediene et ceux qui lui ont succédé ont confisqué le rêve collectif maghrébin.