"Ni paix, ni guerre» ! Voilà maintenant près de quarante ans, oui 40 longues années qu'une tension, à peine feutrée et persistante, s'est instaurée entre le Maroc et l'Algérie. Un rideau de fer les sépare, quand bien même les vols aériens restent plus ou moins ouverts et dans une certaine mesure réguliers. C'est un état flagrant de «ni paix, ni guerre», dont le principe n'est pas nouveau, mais qui à notre époque contemporaine constitue un anachronisme. Il est aujourd'hui nécessaire de rappeler dans le cadre de cette chronique, que cette situation de l'entre-deux relève de la dérision, pour ne pas dire de l'absurde. Pas plus qu'elle ne réjouit personne, et certainement pas le peuple marocain, elle ne convainc personne, et nombreux sont ceux qui finissent par «désespérer Billancourt», pour contre-paraphraser Sartre dans sa célèbre formule lancée en mai 1968. Le gouvernement algérien, dans ses variantes et ses composites formations, a décidé depuis novembre 1975 d'imprimer à son action l'estampille renversée de l'hostilité. Oui, la hargne et l'hostilité à l'endroit du Maroc et de son peuple, celui-là même qui a tant soutenu les combattants algériens entre 1956 et 1962, leur a offert gîte et nourriture, armes et moyens financiers, qui –pour la symbolique– entassé les dizaines de milliers de peaux de moutons après l'Aïd al-Adha afin de provisionner «les frères algériens» en armes et en sommes d'argent... Les leaders algériens, les figures emblématiques de la «révolution algérienne», qui échappaient à la répression de la police et de l'armée française, avaient pignon sur rue au Maroc, qui à Oujda, qui dans le Tafilalet, qui enfin au Moyen-Atlas ! Comme feu Boukharrouba, alias Houari Boumediene, l'actuel président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, est demeuré longtemps à Oujda qui servait de base arrière au Front de libération nationale (FLN) avant de rejoindre le maquis dans l'Algérie occupée. Le gouvernement algérien a préféré tirer un trait cruel sur cette étape cruciale de l'histoire algérienne, intimement mêlée à celle du Maroc, il lui a substitué la haine et l'indifférence. Les jeunes générations, nées au lendemain de 1975, date à laquelle le Maroc a récupéré son Sahara et conduit avec succès la Marche verte, ne sont pas au fait de cette impétueuse tranche de l'histoire maroco-algérienne. Elles ont été imprégnées des malentendus et des préjugés colportés ici et là, au risque de susciter une hostilité réciproque dont le gouvernement algérien portera, à coup sûr, la lourde responsabilité devant l'Histoire. A-t-on jamais vu, on ne le répétera jamais assez, deux pays voisins que tout a lié par le passé, mettre en veilleuse leur histoire dynamique, en otage leur mémoire commune pendant un demi-siècle ? Peut-on concevoir sans malaise que deux peuples que quelques arpents séparent, puissent-ils vivre dans une si dramatique méfiance, quitte à pénaliser leur avenir avant même qu'il n'ait été question de le construire ? L'état des relations maroco-algériennes est ce qu'on appelle «Ni paix, ni guerre» ! Les sceptiques, désabusés, sont enclins à affirmer, l'ignorance inscrite dans leur fronton, que la guerre facilite la paix... En somme, ce silence qui ne dit pas son nom, organisé et calculé par les responsables algériens, ce cynisme érigé par le bon vouloir des dirigeants algériens, n'est que la parade, cette part visible qui cache le fond de l'iceberg. Albert Camus, notre chantre algérien de la paix des coeurs, disait qu'il fallait nommer les choses par leur nom, et que ne pas les nommer ou les mal nommer, c'est grossir la misère des hommes.