C'est un bouleversement total de l'activité humaine tous secteurs confondus que nous sommes en train de vivre. C'est toute l'humanité qui cherche à s'adapter à une nouvelle donne dont on ne maîtrise ni le temps ni l'espace. Désormais, et on ne sait plus jusqu'à quand, on apprend à jouer des matchs sans public, à faire des études sans aller à la fac, à se rencontrer sans se saluer, à se dire au revoir sans s'étreindre, etc. On change rapidement et on s'adapte. Ici au Maroc, jusqu'à il y a quelques jours, on se donnait la main dans une sorte de bravade, un comportement habituel chez nous, où l'on n'accorde pas beaucoup de crédit aux craintes de maladies quand il s'agit de risque de contagion au contact physique. On se faisait la bise et on se donnait la main en rigolant de ceux qui affichaient leurs craintes et adoptaient une attitude nouvelle dans notre société : se dire bonjour sans se toucher. Aujourd'hui, cela n'est plus le cas. La majorité semble avoir été réveillée de cette conviction irrationnelle que nous avions à savoir, croire que cela n'arrive qu'aux autres. C'est terminé. Des cas avérés, puis un décès, puis d'autres cas avérés et les choses étaient devenus tellement sérieuses qu'elles sont venues à bout de nos gasconnades sur le sujet. Ce changement, forcé, d'attitude envers des précautions hygiéniques, nous a poussés également vers un autre changement, celui de la recherche de l'information. On voit comment le Marocain a muté de sa posture de consommateur passif d'actualité à chercheur actif d'info. En fait, au lieu de subir l'information à travers ce qu'on lui livre sur son portable par WhatsApp ou tout autre réseau social, il commence, pour la première fois depuis des années, à chercher à recouper et à s'assurer de la véracité de l'information avant de la prendre pour une vérité absolue. C'est que les choses sont devenues sérieuses. On a compris, d'une certaine façon, que toute information suppose, en conséquence, une prise de décision individuelle ou collective qui a un impact très important sur soi ou sur son entourage. Plus de place à la légèreté, donc. Ainsi constate-t-on comment, petit à petit, les gens se retournent vers les médias professionnels et sérieux pour se renseigner. Ils ne se contentent plus des informations reçues ou partagées par n'importe qui sur les réseaux sociaux. Ils cherchent à recouper et à vérifier. Et, comme ce qui s'est passé pour la bise et l'accolade, ils ont commencé à se rendre compte qu'il faut se renseigner de manière sérieuse. En fait, au premier tournant dans l'affaire Corona, les soi-disant médias, légers et pas sérieux, ont révélé au public marocain leur vrai visage. Ils ont occupé le terrain pendant plusieurs jours avec des rumeurs et de la désinformation comme ils en ont toujours produit, avant que le public ne se rende compte que l'intox n'avait pas sa place dans un contexte aussi grave et sérieux. C'est un tournant extraordinaire. Et il aura certainement un impact continu dans le temps. Le Marocain est certes doté d'un grand sens de l'humour et d'une capacité incroyable à faire face aux crises sans trop se stresser, mais il est aussi doté d'une intelligence de survie qui le transforme radicalement une fois qu'il se sent sérieusement menacé. On ne peut alors le duper. « Dans l'affaire corona, les soi-disant médias, légers et pas sérieux, ont révélé au public marocain leur vrai visage. » Le changement de comportement est arrivé aussi de la part des autorités gouvernementales où deux choses importantes sont à relever et à saluer : la décision de communiquer clairement et en temps réel sur toutes les évolutions de la situation et des décisions qui en découlent, et celle de rappeler à l'ordre tous ceux qui se permettraient de fabriquer de l'intox et de la «commercialiser» sur le marché de l'actualité comme ils l'ont toujours fait. On ne rigole plus avec l'info en ces temps-ci. Ces changements d'attitude tant de la part du consommateur de l'information que du côté de l'un des principaux producteurs de celle-ci, à savoir les autorités gouvernementales, devrait nous inciter tous à réfléchir ensemble sur la manière de capitaliser dessus pour refonder cette relation tripartite : citoyens- médias-décideurs. Les dérapages qui avaient été tolérés, ces dernières années, de la part tant des autorités administratives que des instances représentatives de la profession journalistique, ne devraient plus l'être. Le besoin de médias sérieux, responsables et professionnels est devenu, aujourd'hui plus que jamais, non seulement un besoin sociétal, mais une nécessité d'Etat. Mais ce besoin, qui n'est plus un luxe, a un coût. Les médias sérieux coûtent de l'argent et le marché n'offre cet argent qu'aux industriels du sensationnalisme et aux fabricants de la spéculation informative qui font du buzz et cherchent l'audience massive sans se soucier des règles professionnelles et déontologiques. Il est donc nécessaire de réfléchir, aux temps du Corona, à ce que l'on fera après cette crise, pour soutenir, renforcer et pérenniser les vrais médias. Passer par des situations de crise, de temps à autre, est ce qu'il y a de plus normal dans la vie d'une société quelle que soit sa puissance. Mais, c'est pendant la période des vaches grasses que l'on prépare celle des vaches maigres et qu'on se dote des outils pour faire face à toutes les éventualités.