A la veille de l'ouverture officielle le 24 septembre de la 76ème session de l'Assemblée générale des Nations unies , un climat délétère semble s'instaurer sur la scène internationale. Ni plus, ni moins une sorte et informelle instabilité caractérise de plus en plus les relations internationales, dominées par une rivalité à quatre pôles : les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l'Europe, celle-ci affaiblie, assaillie plus que les autres par la question migratoire. Au milieu, se débattent le continent africain et un monde arabe plus que lézardé. A quelques mois de l'élection présidentielle américaine, Donald Trump s'efforce, de son côté, de se refaire une virginité politique, abandonnant peu ou prou la rhétorique guerrière, prenant conscience aussi que les enjeux mondiaux aux yeux de l'Amérique ne sont pas aussi simples, ni constituent un échiquier de pions maniables et corvéables. Parmi les sautes d'humeur inouïes du président américain, celle qui concerne le limogeage de son ancien conseiller pour la sécurité, John Bolton, aura été la plus spectaculaire et la plus significative. On n'a pas fini d'en mesurer à la fois la portée et les conséquences, tant il est vrai que le rôle et le poids de ce dernier semblaient si inentamables. Si, en effet, de graves divergences opposaient les deux hommes, notamment sur l'Iran, la Corée du Nord, la Syrie et l'Afghanistan, tout rendait leurs relations exécrables pour la raison simple que le caractère intempestif et unilatéral du président rendait impossible voire caduque la mission de son conseiller, connu pour être le faucon de l'Administration. John Bolton n'était ni Henry Kissinger, ni Brezinski , ni même Rice, il affichait son arrogance comme un colifichet, intraitable et subjectif en ce qui concerne l'affaire du Sahara marocain pour laquelle, maniant le cynisme à outrance, il vouait la méthode du sorcier. En le limogeant sans regrets le 10 septembre dernier, Donald Trump a déclaré : « John est très bon. John a une vision très dure des choses, mais ça va. En fait, c'est moi qui modère John, ce qui est assez incroyable. J'ai John et j'ai d'autres gens qui sont davantage des colombes que lui. Et, in fine, je prends les décisions ». La « vision très dure » invoquée par le président américain a porté, pour ce qui nous intéresse, sur la gestion du dossier du Sahara et le tournant que John Bolton s'efforçait de lui faire prendre. Il est à l'origine d'une série de décisions, notamment la réduction arbitraire de la contribution américaine au budget de la MINURSO, de l'URNWA et autres organismes. Il est aussi l'inspirateur mal intentionné des décisions du Conseil de sécurité de l'ONU pour la réduction des mandats de la MINURSO – ne dépassant pas trois mois – au motif fallacieux que le « problème n'a que trop duré et qu'il fallait le régler coûte que coûte », précipitant un processus de dix-huit ans depuis l'accord de cessez-le-feu de 1991 et la mise en place de la MINURSO. John Bolton, tout comme son ancien mentor James Baker servait davantage l'agenda des militaires algériens et du polisario que celui de la paix. Peu importait pour lui que ce dernier fût composé de mercenaires à la solde du pouvoir militaire algérien, ni que les relations entre le Maroc et les Etats-Unis remontent à 1778, date d'un échange historique entre George Washington et le sultan Mohammed Ben Abdallah, non plus que le Maroc ait été aussi bien en 1918 qu'en 1942 l'Allié des alliés aux côtés des Etats-Unis... John Bolton, caricature de l'ultra conservatisme américain, est demeuré la figure de lobby pétrolier américain, défenseur de l'Algérie – pays producteur de l'or noir – et donc exécuteur de sa diplomatie expansionniste. Il réunissait en lui une perversité redoutable et une prescience qui, crise morale internationale aidant, n'avait d'autre choix que de s'incliner. « Faucon » réincarné que même la guerre froide n'en a jamais connu, Bolton voulait changer l'ordre international. Il a connu le sort digne d'une Roche Tarpéienne, une chute radicale invraisemblable qui nous fait réviser tout jugement sur le président Donald Trump et sa lucidité intempestive. Pour autant, la chute brutale de Bolton ne nous dit pas comment évoluera le dossier du Sahara au cours des prochains mois. Le gouvernement algérien, ou ce qui en reste, empêtré dans la crise du Hirak, déchiré et plongé dans l'interminable contestation populaire et sociale, n'a pas de politique légitime internationale, parce qu'il n'est pas ou plus représentatif ni autorisé à faire prévaloir sa présence même à l'ONU. Il est d'autant plus illégitime qu'il est n'est issu d'aucune règle démocratique et relève encore de l'équation militaire que le peuple algérien subit, conteste et rejette. En témoigne le cycle irréversible des marches populaires, organisées alternativement par le peuple algérien et les étudiants chaque mardi et vendredi et le rejet violemment exprimé du projet d'élection présidentielle pour le 12 décembre prochain. Le vide institutionnel qui , depuis avril dernier, caractérise l'après Bouteflika relativise pour ne pas dire paralyse toute initiative extérieure du résidu gouvernemental militaire algérien qui lui a succédé sous la férule de Gaïd Salah. Tout ce que dira le ou les représentants algériens à l'Assemblée générale de l'ONU – en l'occurrence cette vulgarité devenue homme du nom de Soufiane Mimouni qui a remplacé Sabri Boukaddoum – ne portera jamais à conséquence, parce que d'une part la communauté internationale en a désormais « marre » des mensonges d'Alger, et parce que les Etats-Unis mesurent à quel point le polisario n'est que le paravent d'une vision algérienne de déstabilisation au Maghreb et au Sahel. Il convient de souligner, le bon sens aidant, que le dossier du Sahara est à présent relégué dans l'arrière-plan des préoccupations des Nations unies, aussi longtemps qu'un représentant du secrétaire général de l'organisation mondiale n'aura pas été désigné pour remplacer Horst Köhler dont la bonne volonté s'est épuisée face au chantage et aux manoeuvres du gouvernement algérien. Ce qui a tenu lieu de rencontres informelles à Genève – dénommées table ronde en décembre 2018 et en mars 2019 – entre les délégations du Maroc, de l'Algérie, de la Mauritanie et du polisario, a davantage confirmé une radicalisation des positions qu'une volonté de règlement. C'est peu dire, en effet, que le contexte conflictuel au Maghreb est à proprement parler explosif. Il est l'écho de l'autre évolution au Moyen Orient. Il relève de ce qu'on appelle une « boîte de Pandore », d'autant plus que le spectre du terrorisme continental plane sur cette région au point que les pays riverains – jusques y les Etats d'Afrique centrale – ne se sentent plus à l'abri. Alors que les présidents Erdogan, Poutine et Rohani, réunis à Ankara le lundi 16 septembre, se concertent pour renforcer leur coopération et – prétexte officiel – entendent créer un Comité consultatif pour la stabilité de la Syrie, le président Trump semble être soumis , à son corps défendant, à une révision déchirante de sa politique extérieure. Il est tenté par l'exercice de la Realpolitik chère à un Metternich. Et le renvoi brutal de Bolton s'inscrit dans l'esprit de ce retour au réalisme voire à la doctrine de conciliation. Non que le président des Etats-Unis abandonne subitement ses démons pour se transfigurer en un ange , abandonnant sa fermeté logomachique, mais l'exercice du pouvoir et l'échéance électorale ont à coup sûr un effet rédhibitoire sur sa vision impériale. L'esprit du paradoxe animera désormais son exercice du pouvoir, et l'admonestation verbale contre la République islamique d'Iran, après les attaques par des drones des chantiers pétroliers de l'ARAMCO en Arabie saoudite, attribués à des Houtis du Yémen, relève de gesticulations plus que de fermeté, le gouvernement iranien l'ayant bien compris, comme l'a laissé entrevoir la réaction de Hassan Rohani lors de la conférence tripartite d'Ankara le lundi16 septembre qui a exclu toute négociation avec les Etats-Unis.