Il habite une petite maison surplombant le cimetière Moulay Abdellah à Salé. Lui, c'est Si Mohamed, un sexagénaire qui a décidé de s'installer à proximité du cimetière et devenir fossoyeur, à l'instar de beaucoup d'autres, qui n'ont pas trouvé un emploi auprès des vivants, sont allés à la quête d'une source de survie auprès des morts. - Par Abdelatif Abilkassem - Si Mohamed exerce ce métier depuis 2003. Après avoir été chargé par sa tribu, aux côtés de deux autres personnes, de creuser les tombes et inhumer les morts en contrepartie d'une rémunération versée par les proches des défunts. Depuis, ce métier, qui lui a enseigné que la mort est le sort de tous les vivants, est devenu l'unique source de subsistance pour sa famille. Les sept années "maigres" que Si Mohamed a passées en train de remuer la terre pour inhumer les morts, proches ou inconnus, lui ont montré que le fossoyeur, ne disposant pas de revenu fixe, parvient à peine à assurer de quoi nourrir les membres de sa famille. "Nous survivons grâce à la générosités des gens", a dit Si Mohamed à la MAP. Son revenu dépend principalement du nombre des morts et des tombes préparées chaque semaine et de la magnanimité des proches des défunts qui peuvent donner entre 50 et 100 dirhams, et dans les meilleures conditions, 150 dirhams qu'il partage avec ses "compagnons de métier". Selon lui, il arrive que " deux à trois jours s'écoulent sans que soient organisées des funérailles dans le cimetière et nous vivons au rythme de l'attente ". "Le fossoyeur mène une lutte permanente pour survivre et aspire que les responsables ait une pensée à lui en l'intégrant dans les rangs des auxiliaires des communes pour le mettre à l'abri des alias du temps", a-t-il confié. Le même combat est mené par Khalid (34 ans), un fossoyeur au cimetière de Bab Maalka (la ville ancienne de Salé). Si Khalid, dans le métier depuis 13 ans, est parvenu à "survivre" et fonder une famille grâce à ce métier, il n'en demeure pas moins que la rémunération qu'il perçoit chaque jour, à l'instar de neuf autres fossoyeurs du cimetière, ne suffit pas pour payer le loyer et subvenir aux besoins de la vie au quotidien. Khalid explique que lui et ses compagnons, pour la plupart des jeunes, ont trouvé dans ce métier une alternative qui les a éloignés de la mendicité et du vol, ajoutant qu'ils passent neuf heures dans le cimetière pour préparer les tombes contre 30 dirhams chacun en plus des dons des familles des morts qu'ils se partagent. "Le soleil, comme la mort ne peuvent se regarder fixement", l'auteur de ce proverbe français semble ignorer qu'il existe des gens qui passent leur vie à regarder en face la mort et la célébrer , sans verser une seule larme et sans le moindre signe de frayeur. Pour khalid, la mort est devenue une chose habituelle, il ne se contente plus par la fixer des yeux mais il y vit et la célèbre quasiment chaque jour, en fossoyeur professionnel qui contemple le dépouille qu'il installe dans la fosse, laquelle lui rappelle qu'il subira lui aussi un jour le même sort. Les fossoyeurs ne sont pas dépourvus de sentiments ou manquent d'émotions, mais il s'agit plutôt d'une conviction, chez eux, que la mort est le sort de tous les vivants, explique khalid. Le fossoyeur commence par creuser la tombe d'une longueur de 2,10m et d'une largeur de 50cm et aménager le haut de la tombe à l'aide des briques, a dit Khalid, ajoutant qu'après l'ensevelissent du mort dans la terre, incliné sur son côté droit de façon à faire face à la Mecque, tel que recommandé par la charia, les fossoyeurs couvrent la tombe par des pierres plates. Par la suite, ils retournent la terre et l'aspergent de l'eau en installant dessus une tablette contenant le nom et prénom du défunt et la date de sa mort. Si Mohamed insiste que le métier de fossoyeur est un métier noble qui a ses spécificités en dépit de sa non rentabilité d'une part et de la réputation qui colle au fossoyeur en tant que porte malheur, d'autre part, ajoutant que nombreux sont ceux qui respectent le métier et reconnaissent les bienfaits que le fossoyeur tire de ce métier. Chaque matin, Si Mohamed rejoint son lieu de travail, salue ses voisins plongés dans leur long sommeil "au jardin des morts ", avant de creuser une nouvelle tombe et prendre place sur une petite colline les yeux fixés sur l'entrée du cimetière dans l'attente monotone de nouvelles funérailles.