La chronique d'une rencontre entre un narcotrafiquant notoire et un journaliste vétéran mexicain, publiée dimanche dans l'hebdomadaire ''Proceso'', a provoqué un mini-séisme dans le landernau politico-médiatique au Mexique, à cause de la réputation de l'interviewé et le timing de sa publication. Par Rachid Mamouni Julio Scherer Garcia a signé un article inédit dans l'hebdomadaire politique le plus important du Mexique, ''Proceso'', dans lequel le journaliste octogénaire relate sa rencontre avec le leader du sinistre ''Cartel de Sinaloa'', Ismael Zambada, alias ''El Mayo'', dont la tête est mise à prix pour plusieurs millions de dollars au Mexique et aux Etats Unis. La photo du journaliste et du narcotrafiquant, parue à la Une de la publication, est la preuve irréfutable que la rencontre a bien eu lieu. Elle met en scène un Julio Scherer souriant et ''EL Mayo'' portant sa main sur l'épaule du journaliste avec une casquette vissée sur la tête. Julio Scherer, qui a fait une longue carrière dans le journalisme d'investigation, explique que l'entretien a eu lieu à la demande du narcotrafiquant, qui était ''intéressé pour faire sa connaissance'', selon les termes utilisés par ''El Mayo'' lui-même. Sans fournir d'indices qui pourraient révéler le chemin l'ayant conduit à cette ''rencontre insolite'', le journaliste relate comment il a été emmené par un homme de confiance du narcotrafiquant dans une maison après avoir changé de véhicule à trois reprises. Le journaliste, un brin timoré par un possible attentat contre sa vie, et son accompagnateur passent une première nuit dans ce domicile austère et quelque peu abandonné. Ils entament ensuite le voyage vers la cache de ''El Mayo'' entourés de précautions de sécurité extrêmes. Dans sa chronique, Julio Scherer explique par le menu détail les péripéties de son long périple vers la ''tanière'' du narcotrafiquant, sans toutefois révéler sa localisation, ''de peur d'être taxé de délateur'', dit-il. Dès la première poignée de main avec ''El Mayo'', le journaliste se sent en confiance et l'interroge directement sur son fils ainé, ''El Vicentillo'', que le gouvernement mexicain vient d'extrader vers les Etats Unis, où il est accusé pour trafic de drogue. Le narcotrafiquant, dont ''la puissance'' est comparée à celle du célèbre capo colombien Pablo Escobar, répond qu'il n'a pas envie de parler de ce sujet, car le temps est ''au deuil''. Julio Scherer décrit un homme de 1,80 m, robuste, qui affirme avoir lu tous les livres du journaliste (une douzaine dont la majorité traite du phénomène du narcotrafic au Mexique) et sa conclusion est que Scherer ''ne ment pas'', contrairement à toute la presse mexicaine. ''El Mayo'' avoue qu'il ''craint par dessus tout'' d'être appréhendé par les autorités et n'écarte pas de se donner la mort pour ne pas tomber aux mains de la justice de son pays. Sans remettre en cause le droit du gouvernement de vouloir éradiquer le trafic de drogue, ''El Mayo'' laisse tomber comme un couperet son verdict : ''cette guerre est perdue'' pour les autorités, car ''le problème du narcotrafic concerne des millions de personnes. Comment peut-on les dominer? Lorsque les leaders sont appréhendés, morts ou extradés (vers les USA), la relève est là'', toujours prompte à prendre le témoin. Pour lui, ''le narco est enraciné dans la société, comme la corruption''. ''Il n'y a personne qui puisse résoudre en quelques jours des problèmes apparus depuis des années''. Endossant le rôle de responsable des relations publiques de son compère et leader incontesté du ''Cartel de Sinaloa'', Joaquin Guzman, alias ''El Chapo'', l'interviewé propose au journaliste, ni plus ni moins, une rencontre avec l'ennemi public numéro un du Mexique. Comble de la confiance en soi pour un homme recherché par toutes les polices et les armées du Mexique, ''El Mayo'' prend l'initiative de se prendre en photo, à visage découvert, aux côtés du journaliste, qui n'en croyait pas ses yeux. Cette interview de ''El Mayo'' pour ''Proceso'' est sans précédent dans l'histoire de la presse mexicaine, eu égard à l'envergure du ''Capo''. Elle fera date, sans aucun doute, dans le glissement vers le terrain médiatique de la guerre entre les autorités et les cartels de la drogue.