Si les accords historiques scellant la normalisation entre la Turquie et l'Arménie auraient marqué sans nul doute 2009, il n'en demeure pas moins qu'Ankara a cumulé, au cours de l'année qui tire à sa fin, une multitude d'actions aussi "audacieuses" les unes que les autres, et qui ont conforté le rôle et les positions des "héritiers de l'Empire Ottoman" sur l'échiquier régional. Par Hassan Aourach A travers une ligne de politique étrangère répondant à la logique des intérêts et prenant habilement en considération les sensibilités régionales, la Turquie a "osé" s'en prendre violemment à son allié stratégique Israël et à nouer, au grand dam de l'Occident, des liens très solides avec des voisins controversés, en particulier l'Iran. A travers le pas historique accompli sur la voie de la normalisation avec l'Arménie et les accords signés à cet effet en octobre dernier à Zurich (Suisse), la Turquie a réussi une "opération de charme" au niveau international. Et le monde entier a salué ce geste historique qui ouvre la voie de règlement par le dialogue et la concertation de l'un des conflits "préoccupants" hérités du siècle dernier : La question du massacre des arméniens sous l'empire Ottoman. Qualifié par Erevan de "génocide systématique mené par l'empire ottoman" entre 1915 et 1917, le massacre qui aurait coûté la vie à 1,5 million d'Arméniens, est rejeté par Ankara qui soutient que 300.000 Arméniens et au moins autant de Turcs ont été tués au cours de troubles suscités par des soulèvements d'Arméniens et leur ralliement aux armées russes en guerre contre l'empire ottoman. La question qui a longtemps envenimé les relations turco-arméniennes, semble trouver la voie de règlement par le dialogue. Les deux pays s'engagent, selon les protocoles de normalisation, à mettre sur pied une commission de recherche conjointe d'historiens turcs et arméniens pour faire la vérité sur cette histoire. Déjà un acteur majeur dans le Sud-Caucase, la Turquie qui demeure, sur le plan économique, le premier investisseur notamment en Azerbaïdjan et en Géorgie, verra son rôle s'accentuer dans la région après la normalisation avec l'Arménie. Outre ces dimensions "historique et économique", la réconciliation avec Erevan a permis à Ankara de gagner du terrain et de marquer des points au niveau de ses relations diplomatiques et de consolider son rang de puissance régionale "neutre", à la même distance de l'ensemble des protagonistes de la région et habilitée à jouer positivement les médiations dans le Proche Orient. En effet, longtemps considérée par les pays arabes comme un "voisin suspect", de par ses liens stratégiques avec Israël, la Turquie a réussi un autre "coup de maître" en prenant une position des plus honorables vis-à-vis de l'agression militaire israélienne sur la bande de Gaza. La tragédie humanitaire perpétrée par les soldats israéliens contre les populations civiles palestiniennes a fait réagir Ankara, dont les virulentes réactions du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan ont fait traverser une délicate zone de turbulence aux relations turco-israéliennes. La tension avec l'Etat hébreu a frôlé la crise après l'exclusion d'Israël des exercices aériens qui devaient avoir lieu en octobre dernier en Turquie. La diffusion, durant la même période, par la télévision publique turque "TRT" d'un feuilleton montrant les massacres des soldats israéliens dans les territoires palestiniens, a envenimé davantage les relations entre la Turquie et Israël, alliés depuis la signature par les deux pays, en 1996, d'un traité de coopération militaire. Profitant du climat de "confiance" généré par cette "hausse de ton" avec Israël, les relations avec les pays arabes du voisinage, mais aussi et surtout avec l'Iran, ont connu un net élan et donné lieu à "des lunes de miel" interminables notamment avec Damas et Téhéran. De l'avis des observateurs de la politique étrangère turque, Ankara n'a jamais été aussi proche et étroitement liée à ces deux pays qui, il y a encore quelques années, représentaient des frontières hostiles, en particulier la Syrie qui soutenait durant les années 1980 et 90, les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Aujourd'hui le ballet de déplacements bilatéraux ne s'arrête pas entre la Turquie et la Syrie qui ont, par ailleurs, supprimé les formalités de visa pour leurs citoyens respectifs, alors que les rapports avec Téhéran, qualifiés de part et d'autre d'excellents, ont permis à Ankara de jouer un rôle d'apaisement des tensions entre l'Iran et la Communauté internationale au sujet du dossier nucléaire iranien. Ces liens privilégiés avec "les voisins" n'ont pas détourné Ankara de son sempiternel "rêve" européen. Et Erdogan n'en finit pas de souligner que l'engagement de son pays sur la voie de l'intégration des institutions européennes n'empêchait pas le renforcement des liens avec les pays voisins. Ce retour en force de la Turquie sur la scène régionale et internationale ne pouvait pas aboutir sans une stabilité politique et économique intérieure qui, certes, a encaissé des coups durs en 2009, mais demeure toutefois assez solide pour offrir une base arrière robuste et une force motrice indispensable à la politique étrangère d'Ankara. Sur le plan économique et à l'instar du reste du monde, les conséquences de la crise financière ont continué à peser négativement sur les performances de l'économie turque, mais la relance de la production industrielle qui a enregistré une hausse de 6,5 pc en octobre dernier, signe le début de la fin des longs mois de contre performances et le début d'un redressement salvateur. Par contre, au niveau politique, le sempiternel problème kurde continue de frayer la chronique avec son lot quotidien d'attaques, affrontements, manifestations et actes de violences dont les bilans des pertes aussi bien humaines qu'économiques ne cessent de s'aggraver. La dissolution de la principale formation pro-kurde du pays, le Parti pour une société démocratique (DTP), prononcée le 11 décembre par la Cour constitutionnelle turque, a brouillé encore plus les pièces du "puzzle kurde" qui semblait pourtant s'acheminer vers une issue politique avec le plan d'"ouverture démocratique" initié par le gouvernement. Actuellement examinée au Parlement, l'initiative du Cabinet d'Erdogan prévoit la résolution du problème kurde à travers une série de dispositions et mesures abordant sous un angle politique, socioculturel et économique, une question épineuse jusqu'à présent gérée exclusivement sous une approche sécuritaire et militaire. Si cet "imprévu politique" a donné lieu à un mouvement de protestations populaires, en particulier dans les zones à fortes concentrations de Kurdes (sud-est), et pourrait entraîner une recrudescence des attaques des activistes du PKK, il n'affecte en rien l'élan de la politique étrangère d'Ankara qui continue d'occuper du terrain dans le Proche-Orient et de damer les pions à d'autres puissances qui se disputent le leadership dans une région en constante évolution.