Plus qu'une soirée musicale mondaine, le spectacle "Malhoune Al Wafae", présenté récemment au Théâtre national Mohammed V, aura à bien des égards été un pari fort risqué: celui de mettre au goût du jour, en lui offrant une cure de jouvence, un art authentique que d'aucuns voulaient garder figé dans ses moules pour mieux en préserver la quintessence. Par Abdelamajid Chahboune Or, ce spectacle monté et présenté par le dramaturge et chercheur dans les arts traditionnels Abdelmajid Fenniche a magistralement démontré la souplesse naturelle du malhoune et sa propension à s'accommoder d'autres formes d'expressions artistiques qui n'entament en rien son raffinement ou sa délicatesse. Dans ce spectacle, présenté en hommage au Professeur Abbas Al Jirari à l'occasion du 40ème anniversaire de la parution de son célèbre livre "Al Qassida (Le Poème)", M. Fenniche a fait appel à une myriade de techniques, alliant audio-visuel et chant collectif, présentation musicale et interprétation théâtrale, chant individuel et technique cinématographique. Présenté à l'image d'une mosaïque, le spectacle laisse entrevoir, en filigrane, un lien subtil entre des composantes artistiques indissociables et tente de répondre, avec beaucoup de finesse, à un vieux dilemme: Faut-il rester attaché à la mémoire et à ses exigences ou s'ouvrir aux changements sociaux et aux implications modernes de la communication? Animé par cette double interrogation, "Malhoune Al Wafae" a livré un tableau où des intersections et des croisements peuvent s'opérer avec autant d'aisance que de bonheur entre le malhoune et d'autres formes d'expressions, qu'elles appartiennent au patrimoine authentique ou à la nouvelle vague dite "chansons des jeunes". Ce faisant, le spectacle n'a pas omis de relever le caractère malléable du malhoune et sa prédisposition intrinsèque à s'adapter à des expériences menées avec beaucoup de succès par des groupes comme "Jil Jilala" ou "Nass El Ghiwane" ou d'autres artistes ayant su capter la musicalité profonde de cet art ancestral. La réthorique du malhoune: art ignoble/art noble Abordant le sujet de la fascination singulière que le malhoune n'a cessé d'exercer sur des artistes de tous bords, le doyen de la littérature marocaine Abbas Al Jirari a fait observer que cet art a fait son apparition, il y a des lustres, parmi les confréries des artisans et a fleuri dans les milieux des ouléma et dans les cours des sultans, avant de se propager dans toute la société. Dans une déclaration à la MAP après la présentation de "Malhoune Al Wafae", le Professeur Al Jirari a indiqué qu'en dépit de sa popularité cet art était, il y a une quarantaine d'années, stigmatisé comme une forme d'expression indigne de l'intérêt des chercheurs. "Ce que nous avons vu aujourd'hui démontre la possibilité de présenter une oeuvre nouvelle et renouvelée du malhoune afin d'y intéresser les jeunes, particulièrement dans ce domaine où plusieurs genres artistiques et formes d'expression sont en compétition", s'est-il félicité. Aussi a-t-il souligné que "l'art du malhoune doit prendre la place qui lui sied et ça fait chaud au coeur et inspire espoir" quant à l'avenir de cette forme d'expression et des arts populaires en général. "Lorsque j'ai écrit ma thèse sur le malhoune, cet art était mal vu. On me disait si je n'ai rien trouvé d'autre dans la littérature marocaine à part cette poésie populaire indigne d'une place dans l'université et dans la recherche académique", a-t-il confié. "Mais, j'essayais de faire introduire l'art populaire à l'université et je tentais, souvent avec des détours, lorsque j'enseignais la littérature marocaine, de faire introduire des exemples populaires, notamment ceux du malhoune. C'est ainsi que, petit à petit, le malhoune a gagné ses lettres de noblesse", a-t-il rappelé. Les conseils élus et la question culturelle A cet effet, il s'est félicité de la place de choix qui revient aujourd'hui au malhoune et au patrimoine populaire en général dans les universités et dans certaines disciplines, relevant l'intérêt marqué dont jouissent désormais dans la recherche académique les arts populaires en général et le malhoune en tant qu'expression poétique riche, dense et diversifiée, tant par ses thèmes que par ses rythmes, ses prosodies et sa métrique. Professeur Al Jirari a également rappelé avoir dirigé, avant sa retraite de l'Université, plusieurs thèses et recherches académiques sur le malhoune, l'art des Rouaiss et bien d'autres formes d'expressions arabes et amazighes, tant est si bien que des disciplines entières ont été dédiées aux études populaires, notamment dans les universités de Casablanca et de Fès. Selon lui, cet intérêt pour les arts populaires et le malhoune précisément dénote de la grande responsabilité qui échoit désormais aux conseils élus dans les anciennes médinas comme Rabat, Salé, Fès, Meknès, Marrakech et Rissani. Ceci est particulièrement important, a-t-il dit, "en cette période de régionalisation élargie que nous préconisons, et nous avons besoin de tenir compte des cultures locales, car chaque province du Royaume, chaque ville et chaque village dispose d'une culture et d'un patrimoine". Il a émis l'espoir de voir, à l'avenir, l'importance de la culture affirmée en tant que source de richesse et de développement des régions, relevant qu'il importe "dans le contexte de cette régionalisation de s'intéresser aux arts qui se trouvent dans ces régions, d'où la responsabilité qui incombe aux personnes en charge de ces régions".