L'Union européenne (UE) et le rôle qu'elle est appelée à jouer en rapport avec les changements vécus actuellement dans le monde arabe, ont été au centre des débats lors d'une rencontre internationale à Madrid qui a connu la participation d'intellectuels, de politiques et de militants des droits de l'Homme de plusieurs pays méditerranéens, dont le Maroc. Le directeur de la Bibliothèque nationale du Royaume, Driss Khrouz, a d'emblée insisté sur la nécessité que "les valeurs accompagnent les intérêts" dans le partenariat euro-méditerranéen qui "n'a pas donné jusqu'à présent tout ce qui est attendu". "Il est du devoir du partenariat euro-méditerranéen de créer des mécanismes et des instruments communs nécessaires au décollage du Sud tant attendu", a-t-il ajouté, mercredi, lors d'une table ronde sous le thème "Face à la nouvelle donne méditerranéenne, que doit et que peut faire l'Union européenne?", tenue dans le cadre de cette rencontre. M. Khrouz, qui est également secrétaire général du Groupement d'études et de recherches sur la Méditerranée (GERM), a relevé que l'UE doit s'engager dans le développement du sud de la Méditerranée qui est "vital" pour l'Europe et ce, par le biais du co-développement et du partenariat, soulignant l'importance de l'Union pour la Méditerranée (UPM), un projet "prometteur" qui a besoin d'être dynamisé. Il a fait observer, par ailleurs, que le Maroc, qui s'est engagé depuis plusieurs années dans une dynamique politique et démocratique, "connaît aujourd'hui un débat de fond", ajoutant que le monde arabe a besoin d'un projet politique et sociétal. Le secrétaire général de la Présidence du gouvernement espagnol, Bernardino Leon, a souligné que l'UE "doit essayer de comprendre et de respecter" les processus de changements que traversent différents pays arabes et d'agir dans ce sens à travers une politique "cohérente" aussi bien sur le plan intérieur qu'extérieur. L'UE doit adopter une ligne politique claire sur cette question, adapter ses structures et ses institutions et créer en leur sein des mécanismes de suivi et d'accompagnement de ces processus de changements, a-t-il dit. M. Leon a appelé, aussi, à jeter les bases d'un "nouveau modèle" de relations avec le monde arabe, fait notamment de respect et de compréhension. Gustavo de Arestigui, porte-parole de la Commission des affaires étrangères au Congrès des députés espagnol, a, de son côté, mis en garde l'Europe de tomber encore une fois dans l'erreur, en analysant ce qui est en train de se produire dans le monde arabe à travers des clichés, plaidant pour l'abandon de l'idée que tout changement dans ces pays doit être similaire à celui qui s'est produit par le passé dans les pays européens. Il a appelé l'UE à aider les pays engagées dans des processus de changements à mettre sur pied des modèles démocratiques en cohérence avec leurs besoins et leurs spécificités. Pour François Bugart, directeur de l'Institut Français du Proche-Orient (Ifpo), l'Europe a fait, pendant plus de 30 ans, une lecture unilatérale des brèches qui la séparent des sociétés du monde arabe. "Nous avons commis des erreurs méthodologiques, en restant dans une perception émotionnelle qui exclut certains courants de la société du monde arabe", a-t-il expliqué, ajoutant que l'Europe, qui n'a pas cherché des interlocuteurs non-étatiques dans le monde arabe, a eu une vision "unilatérale" des sociétés civiles de ces pays. M. Bugart a appelé à prendre conscience, au sein de l'UE, du fait que les changements survenus dans le monde arabe "imposent une attitude politique rationnelle vis-à-vis des forces politiques de la post-révolution", appelant à entreprendre des actions visant à éviter le gap provoqué par une vision unilatérale de la réalité du monde arabe. Andreu Claret, directeur de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures, a souligné que le nord et le sud de la Méditerranée ne sont pas séparés par les valeurs, mais par les perceptions mutuelles, appelant à oeuvrer pour combler le fossé entre ces perceptions. Souhaitant que les événements qui sont en train de se produire dans le monde arabe puissent contribuer au changement de ces perceptions des deux côtés, M. Claret a estimé nécessaire de se tourner davantage vers la société civile arabe, comme moyen pouvant aider à adopter des politiques européennes plus adéquates à l'égard du monde arabe. "Aujourd'hui, l'UE doit offrir de nouvelles perspectives et essayer de transformer la divergence entre ce qui se passe dans le Sud et le Nord en convergence", a-t-il dit. Pascale Boniface, directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), a souligné que les révoltes ayant éclaté dans certains pays arabes ont contribué au "dégel de la mentalité européenne", notamment en réfutant l'idée que le monde arabe était impropre à la démocratie, incitant l'Europe à changer ses perceptions à ce sujet. "L'Europe doit être cohérente dans sa vision du monde arabe et elle doit changer son regard sur l'Islam dont les mouvements ne doivent pas être réduits à une seule catégorie", a-t-il ajouté. Organisée à l'initiative de la Fondation "Casa Arabe" et l'Institut français de Madrid, en collaboration avec des centres de recherches français et espagnols, cette rencontre été marquée par la présence de plusieurs chefs de missions diplomatiques accrédités à Madrid, dont l'ambassadeur du Maroc en Espagne, Ahmed Souilem. La rencontre a été une occasion de débattre également des perspectives du "printemps arabe" pour la démocratie et la paix dans la région.