1-le fléau de l'incommunicabilité Si, en anthropologie, l'incommunicabilité « dans les relations entre les hommes » est « du fait des différences de langue, de cultures, de systèmes de référence » (Charlie Galibert, « L'incommunicabilité dans le cadre de la pratique anthropologique », Socio-anthropologie, N°23-24| 2009), l'incommunicabilité qui affecte les institutions nationales trouve sa source à la fois dans la complexité et l'inefficience des procédures et des outils employés et dans un mélange d'habitudes et de réflexes bien ancrés dans la culture administrative du pays. Le clientélisme, le favoritisme, la corruption et l'abus d'autorité ne sont, en définitif, que quelques-unes des manifestations de ce mal endémique qui entrave le bon fonctionnement du système institutionnel marocain. Les services publics de proximité (poste, hôpitaux, eau, électricité, conservation, impôts, préfectures, police, municipalités….) sont passés maîtres dans l'art de « noyer le poisson », d'entretenir le secret, de refuser le renseignement, et de ce fait, de mettre à rude épreuve les nerfs des usagers. Souvent, l'accueil est peu convenable, l'information une denrée rare, devenue, par la force des choses, monnayable. Les feuilles d'impôt et de soins, les factures d'eau, d'électricité et du téléphone sont hermétiques et incompréhensibles pour le commun des citoyens. Les opérations liées à la propreté et au ramassage des ordures ménagères, entourées d'opacité et très juteuses par ailleurs, ne génèrent que gêne et désagrément pour les citoyens. Le plus triste dans l'histoire, c'est que peu de secteurs de la vie publique nationale échappent à ce fléau de l'incommunicabilité. Dans le domaine de l'économie, l'impact est considérable. Les entreprises les plus volontaires sont découragées par l'absence et/ou la rétorsion de l'information et par la complexité des procédures et règles en usage, notamment en matière d'attribution des autorisations (transport, construction, commerce) et de passation des marchés publics. Les Marocains du Monde les plus entreprenants et les investisseurs étrangers les plus sérieux sont rebutés par la manière dont leurs projets sont accueillis et traités. Aux tracasseries les plus absurdes s'ajoutent souvent les délais les plus aberrants. Tous ces « indignés », ces mécontents des services publics n'aspirent qu'à une chose, assez normale sous d'autres cieux : trouver en face d'eux des interlocuteurs compétents, capables de « communiquer » et, surtout, de fournir des renseignements fiables, indispensables à la conduite et à la gestion des affaires commerciales. Le discours politique lui-même, est ennuyeux, décalé des réalités sociales. Incapable de produire de l'adhésion et du débat, ce discours ne suscite que rejet et indifférence voire pire, comme le souligne Roland Barthes : « Parler, et à plus forte raison discourir, ce n'est pas communiquer…c'est assujettir » (Extrait de Discours au collège de France). Loin d'intégrer les mutations de la société civile, des technologies (réseaux sociaux/internet) et des opinions qui s'y expriment dans leur grande diversité avec méthode, rapidité et slogans percutants (cf. le Mouvement du 20 février), la communication institutionnelle en cours dans notre pays est en faillite. Elle est solidement arrimée à des pratiques que structurent des conceptions et des méthodes de gestion et d'exercice du pouvoir des plus archaïques. Elle est, à ce titre, un frein est une tare dommageable à la fois à l'image du pays et à son évolution politique, sociale et économique. 2- Une lapalissade : C'est élémentaire Monsieur Watson, une communication institutionnelle défaillante nuit à l'établissement de relations apaisées et confiantes entre les services de l'Etat et les citoyens. C'est l'incommunicabilité qui favorise l'incompréhension et la suspicion et rend possible toutes sortes d'abus d'autorité. Là où il y a rétorsion de l'information, les foyers de la corruption prospèrent et lorsque le message politique et institutionnel est brouillé les politiques publiques sont mal perçues et les urnes désertées. L'incommunication favorise la confusion en réduisant les frontières qui existent entre l'intérêt général et l'intérêt particulier. La perception du sens du devoir et de la responsabilité est elle-même brouillée. La différence faite par les spécialistes entre « communication politique et communication publique » garde ici toute sa pertinence. Pour Thierry Saussez « la communication gouvernementale n'est nullement personnalisée. Elle ne porte pas sur des idées, des concepts ou des promesses, mais sur des faits précis, des mesures, des réformes ou des comportements qui vont dans le sens de l'intérêt général ou du mieux vivre ensemble » (cf. Pour ou contre la communication gouvernementale, Le Figaro, du 28/02/2009). Le type de communication qui domine au sein de la plus grande majorité des institutions nationales est fait d'une confusion des genres : intérêt personnel, pécuniaire et centré, se mêlant et se mélangeant à l'intérêt collectif et général. En effet, lorsque la promotion d'une politique publique, d'une campagne de sensibilisation et d'information (Cancer, maltraitance, civisme, conduite à risque, civisme, vote…), ou une tournée ministérielle, privilégie la personne du Ministre et néglige la cause elle-même, lorsque c'est le parti d'origine qui récolte les bénéfices de l'action de communication – payée par le contribuable- et non le Ministère ou la catégorie de citoyens concernée, tous les repères se trouvent dévoyés et les effets réduits. Lorsque les Ministres partisans coalisés au sein d'un même gouvernement, favorisent en priorité leur clan et leur chapelle politique au détriment du collectif et du gouvernement auquel ils appartiennent, c'est la cacophonie, le conflit et la méfiance qui s'installent. Cette attitude irresponsable est coûteuse, déstabilisatrice et peu productive. L'exemple du gouvernement sortant est à ce propos fort éloquent. Par conséquent, le nouveau gouvernement, qui se veut « communiquant », qui inscrit son action – sa stratégie et son discours- dans une démarche volontariste, privilégiant la transparence, le respect de la souveraineté du peuple, la proximité et la concertation, doit veiller à ce que le Comment et le Pourquoi « communiquer » des services publics et des institutions nationales trouvent de la hauteur et du sens. La lutte contre le fléau de l'incommunicabilité doit être, compte tenu de ses enjeux et effets, directs et collatéraux, sur le fonctionnement des institutions et la crédibilité de l'action gouvernementale, l'une de ses premières préoccupations. Responsable des politiques publiques, il a l'obligation –morale et politique- de les expliquer et d'informer les citoyens sur leur teneur et leur utilité. Toutefois, il ne peut y avoir participation ni communication ou échange et débat démocratique sans respect des libertés publiques et individuelles, sans une véritable indépendance de la presse et sans l'association de la société civile dans sa grande pluralité et diversité. Dans les démocraties représentatives et participatives les plus avancées, le respect de la liberté d'expression, des oppositions et des opinions contraires et le contradictoires, est une vertu et non une faiblesse. De même, il ne peut y avoir de bonne gouvernance sans la primauté du droit qui passe par l'éradication de la gabegie, de l'impunité et de toute forme d'abus de pouvoir, qui sont de véritables fléaux qui trouvent dans le secret et l'anarchie institutionnelle, et donc dans l'incommunicabilité, un terreau favorable. C'est le prix à payer pour que ce rêve longtemps caressé par le peuple marocain, d'un Etat de droit, devienne enfin réalité. Dr Mohammed MRAIZIKA (Chercheur en Sciences Sociales et en Ingénierie Culturelle)