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Tunisie : Sarkozy-Ben Ali, « Entre Etamis on parle affaires »
Publié dans Maghreb Observateur le 30 - 05 - 2008


L'immigration choisie comme norme
Outre la délivrance plus large des visas de « circulation » (qui sont déjà accordés chaque année à 80 .000 Tunisiens), l'accord vise à faciliter l'accès au marché du travail français des Tunisiens « qui ont des compétences de haut niveau » ou des métiers « pour lesquels il existe en France une demande non satisfaite ». Suit une liste de 77 métiers...
Cela pourrait faire venir en France 9.000 Tunisiens de plus chaque année, précise l'Elysée.
On comprend bien que le gouvernement tunisien soit satisfait d'une telle mesure : les islamistes tunisiens sont les plus virulents du Maghreb, et Ben Ali espère se débarrasser ainsi d'un certain nombre d'entre eux.
Les affaires
Selon l'Indépendant du Midi, « Entre Etats amis, on parle affaires et on évite les sujets qui pourraient nuire à celles-ci. Pas question de tout gâcher en évoquant la presse muselée, les centaines de prisonniers politiques, les cas de tortures, les opposants harcelés, bref, la nature despotique du régime tunisien. Pas question non plus d'évoquer ces affaires gênantes de vols, de trafics de drogue, de corruption mettant en cause notamment la famille du président Ben Ali. »
Les droits de l'homme
Nicolas Sarkozy a fait savoir qu'il n'est pas allé en Tunisie pour donner des des leçons. Il a choisi la politique de l'autruche pour ne pas voir la souffrance du peuple tunisien. Diverses organisations de défense des droits de l'homme et des libertés ainsi que de nombreux médias étrangers accusent régulièrement le président Ben Ali d'être un dictateur, le régime tunisien étant régulièrement accusé de violer les droits de l'homme et de réprimer la liberté d'expression.
Le président est listé depuis 1998 comme l'un des « 10 pires ennemis de la presse » par le Comité pour la protection des journalistes. Reporters sans frontières le désigne également comme un « prédateur de la liberté de la presse ».
Des prisonniers politiques sont fréquemment torturés et des défenseurs des droits humains, notamment les avocats, sont victimes de manœuvres d'intimidation et de harcèlement sans que leurs plaintes soient acceptées par la justice tunisienne. Certains prisonniers d'opinion sont soumis à des conditions de détention inhumaines et à des mesures arbitraires comme le maintien prolongé à l'isolement et la privation de soins médicaux. La loi anti-terroriste votée en 2003 est devenue l'occasion de procès inéquitables comme en témoigne l'affaire des étudiants internautes de Zarzis emprisonnés en 2004 pour avoir recherché de la documentation sur Internet avec leur professeur. Ils ont été accusés de préparer un attentat et de se servir d'Internet comme outil de communication. Ils sont libérés en février 2006.
Ben Ali, un dictateur
L'intolérance de la Tunisie pour la contestation politique s'est encore poursuivie en 2004. Le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), domine la vie politique et le gouvernement continue à invoquer la menace du terrorisme et de l'extrémisme religieux pour justifier les mesures sévères adoptées à l'encontre de la contestation pacifique. Les droits liés à la liberté d'expression et à la liberté d'association sont fortement limités. Les détracteurs du régime font souvent l'objet de harcèlement ou sont jetés en prison sur la base de chefs d'accusation inventés de toutes pièces, après un procès inéquitable. Après la libération conditionnelle de quelque quatre-vingts prisonniers politiques au début du mois de novembre, environ quatre cents demeurent encore en prison, la plupart étant suspectés d'appartenir à la mouvance islamiste. Les témoignages de tortures et de mauvais traitements visant à obtenir la déposition des suspects en garde à vue sont courants et dignes de foi. Les prisonniers condamnés sont également victimes de mauvais traitements. Pour l'année 2004, jusqu'à quarante prisonniers politiques ont été maintenus arbitrairement en isolement cellulaire prolongé ; certains d'entre eux ont passé la plus grande partie de la dernière décennie en isolement.
Le président Zine el-Abidine Ben Ali a obtenu, en octobre 2004, sa réélection pour un quatrième mandat de cinq ans, avec 94,5 % des suffrages et après avoir fait amender la constitution en avril 2002 pour modifier l'ancien texte limitant à trois le nombre des mandats présidentiels. Ce même amendement accorde également l'immunité permanente au chef de l'état pour tout acte lié à des obligations professionnelles. Deux des trois opposants de Ben Ali se sont ralliés à sa cause et ont appuyé sa candidature. Les autorités du pays ont empêché le seul véritable challenger, Mohamed Halouani, d'imprimer et donc de distribuer son programme électoral. On a autorisé les partisans d'Halouani à organiser une marche de protestation à Tunis, le 21 octobre 2004, ce qui constitue le premier rassemblement public d'opposition récent du genre. Halouani a obtenu moins d'un pour cent des votes, selon le décompte officiel. Plusieurs autres partis ont boycotté les élections qu'ils ont jugées iniques. Le parti au pouvoir a remporté la totalité des 152 sièges au niveau des circon scri ptions au parlement – trente-sept sièges supplémentaires étant réservés aux membres des autres partis – ce qui lui garantit la poursuite d'une législature approuvée sans discussion.
Les deux principales organisations de défense des droits de l'homme tunisiennes fonctionnent dans un vide juridique. La Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH), créée en 1977, est toujours sous le coup d'une décision judiciaire invalidant l'élection, en l'an 2000, d'un comité exécutif qui s'est fait connaître par son franc parler. Pour ce qui est du Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT), créé il y a six ans, le gouvernement a rejeté sa demande d'agrément. . D'autres organisations de défense des droits de l'homme plus récentes ont à leur tour introduit une demande d'agrément, mais, jusqu'à présent, aucune parmi elles n'a réussi à l'obtenir, y compris l'Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), le Centre tunisien pour l'indépendance de la justice et l'Association pour combattre la torture en Tunisie.
Les défenseurs des droits de l'homme, comme tous les dissidents de manière générale, font l'objet d'une surveillance policière extrêmement serrée, se voient interdire la sortie du territoire, sont victimes de licenciements abusifs et de coupures des lignes téléphoniques ; leur conjoint et leur famille sont également victimes de harcèlement policier. Des avocats et des activistes liés à la défense des droits de l'homme ont été agressés en pleine rue par des agents de sécurité en civil qui agissaient dans la plus complète impunité. Sihem Ben Sedrine, fondatrice du CNLT et éditrice de la revue dissidente Kalima, a été agressée et tabassée par des hommes non identifiés devant son domicile dans le centre de Tunis, le 5 janvier 2004. Le 11 octobre, Hamma Hammami, ex-prisonnier politique dont le parti a réclamé le boycott des élections présidentielles du 24 octobre, s'est plaint d'une agression à Ben Arous par des hommes en civil qui l'ont tabassé et ont cassé ses lunettes. Les biens des activistes et dissidents oeuvrant pour la défense des droits de l'homme sont l'objet d'actes de vandalisme et leurs domicile, bureaux et voitures sont la cible d'effractions.
Le pouvoir judiciaire tunisien n'a aucune indépendance. Les juges ferment souvent les yeux sur les allégations de torture et les irrégularités procédurales et condamnent les inculpés uniquement ou principalement sur la base de confessions arrachées sous la contrainte. Par exemple, un tribunal de Tunis a condamné, le 6 avril 2004, six hommes de Zarzis dans le sud du pays à dix-neuf ans d'emprisonnement pour avoir comploté des attaques terroristes. Les accusés ont déclaré qu'on leur avait extorqué des aveux sous la torture, qu'ils avaient été forcés de se dénoncer mutuellement et que la police avait falsifié le lieu et la date de leur arrestation. Le juge a refusé d'examiner ces allégations, bien que ces « confessions » constituaient la pièce principale du dossier. Le 6 juillet, un tribunal d'appel a réduit leurs peines à treize ans.
Le gouvernement utilise les tribunaux pour condamner et emprisonner les détracteurs pacifiques de sa politique. Jalal Zoghlami, l'éditeur de la revue de gauche non autorisée Kaws el-Karama, et son frère Nejib, ont été emprisonnés le 22 septembre 2004 pour avoir déclenché une émeute dans un café de Tunis dont ils affirment qu'elle a été instiguée par des policiers. Ils ont été condamnés le 4 novembre à huit mois d'emprisonnement ferme pour dégradation de bien d'autrui. L'ex-prisonnier politique Abdullah Zouari a purgé une peine de neuf mois de prison, infligée en août 2003, après des poursuites judiciaires sommaires et justifiées par des raisons politiques : quelques semaines plus tôt Zouari avait aidé un chercheur du Human Rights Watch à rencontrer des familles dans le sud tunisien.
Des Tunisiens résidant à l'étranger ont été arrêtés lors d'un séjour en Tunisie et emprisonnés pour des activités politiques qui ne constituaient pas un crime dans les pays où elles ont été menées. Salem Zirda, qu'un tribunal de Tunis a condamné en 1992 par contumace pour crimes politiques non violents, a été arrêté à son retour en Tunisie en 2002. Le 9 juin 2004, un tribunal militaire de Tunis l'a condamné à sept ans d'emprisonnement. Les dépositions présentées au procès suggèrent qu'il a été poursuivi uniquement pour association non violente avec des membres du parti Nahdha à l'étranger.
La politique tunisienne qui consiste à placer certains prisonniers politiques en isolement cellulaire strict et prolongé représente l'une des survivances les plus dures des pratiques héritées du régime carcéral des années 90. En règle générale, les autorités ne fournissent aucune explication officielle aux prisonniers sur la raison pour laquelle on les maintient en isolement, ni d'ailleurs sur la durée de cet isolement et encore moins sur la manière dont ils pourraient faire appel de la décision. La politique d'isolement telle qu'elle est pratiquée viole à la fois la législation tunisienne et les normes pénales internationales ; dans certains cas, l'isolement est associé à des actes de torture.
Le gouvernement n'a autorisé aucun observateur indépendant à inspecter les prisons depuis 1991. Un commentaire, émis le 20 avril 2004 par le Ministre de la justice et des droits de l'homme Béchir Tekkari, laissait entendre que la Tunisie pourrait accepter que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) effectue des visites dans les prisons, mais fin novembre 2004, aucun accord avec le CICR n'avait encore été annoncé.
La presse tunisienne reste en grande partie contrôlée par les autorités. Aucun des médias, qu'il s'agisse de la presse écrite ou de la radio et de la télévision, ne se permet de critiquer les politiques gouvernementales, à l'exception de quelques rares revues indépendantes à faible tirage dont les numéros sont parfois confisqués ou qui connaissent des problèmes d'impression. Au cours de la campagne pour les élections présidentielles et législatives d'octobre 2004, tous les principaux médias ont plus que largement couvert et encensé le président Ben Ali et les candidats du parti au pouvoir, n'accordant qu'une place limitée aux candidats des autres partis.
La rhétorique gouvernementale favorise le développement de la communication électronique en tant qu'instrument de la modernisation, tout en bloquant certains sites Web politiques ou d'organisations de défense des droits humains. En 2002, les autorités ont arrêté Zouheir Yahiaoui, éditeur d'un ézine qui tournait en dérision l'autorité du président Ben Ali. Il a été relâché en novembre 2003, après avoir purgé la plus grande partie de ses deux ans de peine sur la base de chefs d'accusation inventés de toutes pièces. Etant donné l'interdiction systématique de médias indépendants en Tunisie, et en particulier le verrouillage d'Internet, les organisations de défense des droits de l'homme ont critiqué la désignation de la Tunisie pour accueillir le Sommet mondial sur la Société de l'information qui doit se tenir en novembre 2005.
Suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les autorités tunisiennes se sont vantées d'être depuis longtemps à la pointe de la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme, faisant allusion aux mesures sévères prises de longue date contre le mouvement islamiste Nahdha qui fut toléré en Tunisie avant de faire l'objet d'une forte répression.
Depuis 1991, le seul attentat terroriste meurtrier ayant eu lieu en Tunisie est l'explosion d'un camion citerne devant une synagogue, en avril 2002, sur l'île de Djerba. Le kamikaze était tunisien et Al-Qaïda a revendiqué l'attentat.
En décembre 2003, la Tunisie a adopté une loi anti-terreur comportant une définition relativement large du terrorisme qui peut être utilisée de manière abusive pour poursuivre des individus pour l'exercice pacifique de leur droit à la contestation. La loi prévoit des peines sévères et le renvoi de suspects civils devant des tribunaux militaires.
Les Etats-Unis surveillent activement la situation des droits humains en Tunisie, mais les critiques émises sont quelque peu affaiblies par l'éloge continu, par Washington, de la politique anti-terroriste menée par le président Ben Ali. Toutefois, le secrétaire d'Etat Colin Powell, après sa rencontre avec le président Ben Ali en décembre 2003, a parlé publiquement de la nécessité « d'asseoir le pluralisme politique et l'ouverture et d'arriver à une presse ouverte permettant aux journalistes d'effectuer leur travail ». En février 2004, lors de la visite à Washington du président Ben Ali, le président Bush a exprimé publiquement le désir de voir en Tunisie « une presse dynamique et indépendante, ainsi qu'un processus politique ouvert. » Cependant, l'administration n'a pas exprimé de vive voix sa déception face à l'absence de véritable contestation lors des élections du 24 octobre.
L'Accord d'association conclu entre la Tunisie et l'Union européenne demeure très solide, en dépit du dossier défavorable du pays en matière de droits humains. Les fonctionnaires de l'Union Européenne ont exprimé leurs préoccupations par rapport à la situation des droits de l'homme en Tunisie, sans aller jusqu'à laisser entendre que la violation des droits humains pourrait remettre en question l'accord.
Le président français Jacques Chirac demeure le plus fervent supporter du président Ben Ali en Europe. Lors de sa visite en décembre 2003, il a détourné les préoccupations portant sur les droits politiques et civils en déclarant que les « premiers » des droits de l'homme étaient les droits à la nourriture, aux soins de santé, au logement et à l'éducation, et en faisant l'éloge des acquis tunisiens dans ces domaines. Le président Chirac a envoyé à son homologue tunisien un message de félicitation immédiatement après sa victoire aux élections manifestement inéquitables du 24 octobre.
L'Union pour la Méditerranée vue de l'intérieur
Après une période de flottement et d'hésitation, le temps s'accélère pour l'Union pour la Méditerranée (UPM). Les prochains jours, la liste des projets sera communiquée, laquelle permettra de connaître les thématiques majeures qui vont structurer cette initiative, objet de la rencontre au sommet du 13 juillet prochain.
En avant-première, voici une vue de l'intérieur de l'équipe qu'anime Alain Le Roy, en tant qu'ambassadeur en charge de ce projet. Entretien.
Le Quotidien d'Oran : L'ambition de départ visait une Méditerranée-puissance, qui serait l'épicentre même de la diplomatie de la France. Après le sommet de Bruxelles (13-14 mars derniers), on a assisté à une sorte de dilution du projet initial. Comment expliquez-vous ce changement de posture ?
Alain Le Roy : Je ne dis pas que c'est la dilution du projet. Nous disons que ce dernier a suscité suffisamment d'attente et d'intérêt pour que l'ensemble des pays européens veuillent s'y associer. Jusque-là, seuls les riverains étaient concernés. D'autres pays comme l'Allemagne ou la Suède sont au même pied d'égalité avec nous pour travailler pour la Méditerranée. Personne n'est donc exclu. C'est plutôt l'inverse d'une dilution !
Le Q.O. : Quand on connaît l'historique du projet et son cheminement, on est surpris que le « processus de Barcelone » s'appelle désormais Union pour la Méditerranée (UPM). N'assistons pas à l'inversion des termes de l'équation ?
A.L.R. : Ce n'est pas une inversion. Nous disons simplement que « Barcelone » existe. Certes, il y a des limites et même beaucoup de limites. Seulement, on s'est dit que nous allons prendre « Barcelone » pour le transformer puis le développer en changeant les méthodes de gouvernance. Tout le monde disait que « Barcelone » était un partenariat déséquilibré. Les pays du Sud avaient le sentiment que l'Europe est trop forte avec 27 pays membres qui imposaient ses conditions. Cette transformation va se faire avec une coprésidence paritaire, de nouvelles méthodes de gouvernance, la création d'un secrétariat indépendant des instances européennes, avec deux codirecteurs - un pour le Nord et un autre pour le Sud.
L'objectif est de lancer des projets. Nous allons y ajouter une dimension « projets concrets », à géométrie variable, avec l'appui du secteur privé.
Ensuite, nous redonnons un appui politique fort au plus haut niveau au sommet des chefs d'Etat, qui aura lieu le 13 juillet 2008, à Paris.
Par conséquent, nous allons transformer « Barcelone » et puis nous le développerons.
Le Q.O. : Au-delà de ce propos, expliquez-nous le schéma de cette Union pour la Méditerranée qui est définie comme étant un des piliers de la Politique européenne de voisinage (PEV) ?
A.L.R. : Je n'ai jamais dit que cela fait partie de la Politique européenne de voisinage. L'Union pour la Méditerranée est plutôt un moyen complémentaire au « processus de Barcelone ». Une rencontre de l'ensemble des chefs d'Etat de la Méditerranée aura lieu tous les deux ans. Ainsi, lors du sommet du 13 juillet, il y aura la signature d'une déclaration dans laquelle on va pérenniser l'Union pour la Méditerranée. Je rappelle qu'il y aura également le changement du mode de gouvernance de « Barcelone » et la création d'un secrétariat. Parmi les projets concrets à réaliser au profit des pays méditerranéens, il y aura la dépollution de la mer Méditerranée (le projet est en train de se mettre en place)...
Le Q.O. : Justement, êtes-vous dans la phase de présélection de projets ou sont-ils déjà sélectionnés ?
A.L.R. : Tous les projets sont proposés par chacun des pays membres. Nous discutons entre nous. Et la décision officielle sera prise durant le sommet. Je rappelle qu'il existe d'autres projets concrets : l'accès à l'eau potable et pour l'irrigation (projet de transfert d'eau de la mer Rouge à la mer Morte), rechargement des nappes phréatiques (Algérie, Libye). A noter que 70% d'eau consommée dans le Sud sont destinés à l'irrigation avec des pertes considérables. Il y aura également des autoroutes maritimes, l'amélioration des infrastructures portuaires (navettes maritimes entre Alexandrie et Tanger, Le Pirée, Alger, Barcelone, Marseille...), un plan solaire méditerranéen qui reliera le Maroc à l'Egypte, etc.
Le Q.O. : Pourquoi tout cela, l'EuroMed aurait pu s'en charger ?
A.L.R. : La réponse est non. Je vous demande : l'EuroMed a-t-il fait beaucoup de choses aujourd'hui ? Sûrement pas. Citez-moi les grands projets réalisés par l'EuroMed ? Une précision cependant : l'EuroMed, ce sont 70% d'aides budgétaires. L'Union pour la Méditerranée, elle, va créer des projets concrets et non faire des aides budgétaires. Ainsi, un Centre méditerranéen de protection civile verra le jour pour mutualiser les moyens. D'autres projets concrets seront également réalisés. Je citerai d'autres exemples : l'espace universitaire méditerranéen, la mise en pôle de recherche du Sud et du Nord, la création d'une agence de développement pour les PME, etc. Ce processus sera appuyé par le secteur privé qui n'existait pas d'ailleurs dans le « processus de Barcelone ».
Le Q.O. : La création d'une agence de développement des PME va-t-elle remplacer celle de la Banque méditerranéenne pour le développement ?
A.L.R. : La Banque méditerranéenne pour le développement n'existe pas encore. Rappelez-vous que cela fait plusieurs années dont on parle de ce sujet. Nous allons commercer d'abord par des projets concrets comme je l'ai dit auparavant.
Le Q.O. : La France a-t-elle les moyens de ses ambitions ? Aujourd'hui, le projet est parrainé par l'Europe, alors comment sera-t-il financé ?
A.L.R. : Le projet est parrainé par tous les pays membres du Conseil européen. C'est vrai que l'Agence française pour le développement (AFD) se dit intéressée par ce projet. Mais il y a d'autres sources : une partie viendra de la PEV, de la Banque européenne d'investissement (BEI). Cette dernière est prête à financer la zone EuroMed à hauteur de 8 milliards d'euros durant la période 2007-2013. La BAD et la BM vont également proposer des projets. De son côté, le Fonds arabe du Golfe va présenter un projet. Par conséquent, nous n'avons pas d'inquiétudes en ce qui concerne le financement de ces projets.
Le Q.O. : Vous êtes ambassadeur en charge de ce projet d'Union pour la Méditerranée. Comment travaillez-vous au quotidien ?
A.L.R. : Nous sommes une structure composée de plusieurs équipes s'occupant des questions comme l'énergie, le développement durable, l'éducation, la culture, l'économie, etc. Elles sont toutes en contact. Actuellement, nous sommes dans la phase de consultation ou d'élaboration de projets qui seront rendus à la fin du mois d'avril ou au début mai 2008.
Le Q.O. : Avez-vous déjà eu un feed-back sur les sujets sur lesquels vous êtes en train de travailler ?
A.L.R. : De nombreux pays, comme l'Egypte et l'Espagne, sont impliqués dans cette élaboration et ont présenté des projets. A cet égard, du reste, des émissaires sont envoyés dans d'autres pays. J'ai toujours des contacts avec les pays méditerranéens, comme l'Egypte, pour arriver à des projets ayant du sens pour l'ensemble de la zone.
Le Q.O. : Comment expliquez-vous ce besoin de ce nouveau souffle, de cet élan autour des grands projets ?
A.L.R. : Nous pensons aux besoins des populations et nous leur proposons des choses concrètes.
Une quarantaine de chefs d'Etat vont donner un souffle et lancer des projets concrets. Une politique forte sera ainsi exprimée. En Europe, quand on lançait le charbon et l'acier, les gens disaient que cela n'était pas « sexy » [attirant, NDLR]. Mais ils se sont rendu compte que cela a été vital pour le développement des économies européennes et le rapprochement des peuples de ce continent.
Le Q.O. : Comment agir sur le décalage - pour ne pas dire guerre - des perceptions entre les deux rives ?
A.L.R. : C'est vrai que l'écart des perceptions est trop fort entre les deux rives. C'est pourquoi nous avons lancé cette initiative. Mais sachez que cet écart n'est pas non plus grand, comme vous le pensez. Nous avons un langage commun. Le lancement de cette Union vient réduire ce décalage.
Le Q.O. : L'EuroMed n'a pas fonctionné, entre autres, parce qu'il y a, dans les pays du Sud, un déphasage entre les élites politiques et les populations. Comment associer l'ensemble des peuples méditerranéens à ce projet ?
A.L.R. : Nous ne voulons pas croiser les bras en attendant de tenter quelque chose de plus. D'où la mise en œuvre par exemple d'un Forum méditerranéen de la jeunesse, de la formation professionnelle (qualification), un Forum des collectivités locales (Tunis, Alger, Le Caire...), qui aura lieu le 23 juin à Marseille.
Le Q.O. : Il aurait fallu tirer les enseignements de tout ce qui n'a pas marché dans l'EuroMed.
Disposez-vous aujourd'hui de ce « document » ?
A.L.R. : Exactement ! C'est ce que nous avons fait : disposer de tout ce qui n'a pas marché dans l'EuroMed. Une des grandes difficultés, c'est le conflit israélo-arabe. De ce point de vue, je dis que nous n'avons pas la prétention de le résoudre. En revanche, l'Union pour la Méditerranée est une réponse au déséquilibre du partenariat d'EuroMed.
Le Q.O. : Comment se présente cette nouvelle architecture ?
A.L.R. : Cela va se faire à travers une coprésidence Nord-Sud. Il y aura aussi un secrétariat qui n'existait pas dans le « processus de Barcelone ». Ce n'est plus le Conseil européen qui pilote tout. Le secrétariat va booster, donner du souffle et lancer des projets ; le secteur privé sera associé, à géométrie variable, à cette démarche. Cette Union est un vrai partenariat.
Le Q.O. : Est-ce possible d'établir cette coopération avec des pays dont les frontières sont fermées, des pays se trouvant dans des schémas complètement figés ou des postures irréalistes ?
A.L.R. : Notre pari, c'est de dire oui. Un des projets, c'est le bouclage électrique de la Méditerranée qui marche très bien entre le Maroc et l'Algérie. Il existe donc des possibilités de travailler ensemble ; on contribue à donner plus de chance à l'ouverture des frontières. Je ne sais si on arrivera, mais c'est évident qu'on a envie de travailler dans ce sens.
Le Q.O. : Quelles sont les principales difficultés pour faire fonctionner, dégager une cohérence et donner une visibilité à tout cela ?
A.L.R. : La grande visibilité, ce sera le 13 juillet 2008 à Paris avec la tenue du sommet des chefs d'Etat. Ces derniers décideront ensemble, comme l'a fait le Conseil européen, les 13 et 14 mars derniers. D'ici à fin avril, nous allons rendre publics tous les projets sur lesquels nous avons travaillé avec les différents pays. Nous préférons le travail commun...
Le Q.O. : Quelle est la place que vous allez donner à la culture ?
A.L.R. : C'est l'ambassadeur Jacques Huntzinger qui se charge de cela. Il travaille avec notre équipe. D'ailleurs, c'est lui qui a lancé l'Atelier culturel à Alexandrie. Nous regardons d'abord l'existant. C'est le cas de la Fondation d'Annah Lindt pour le dialogue et la culture. Il faut relancer cette fondation. On vient de nommer un président en la personne d'André Azoulay, qui est une remarquable personnalité.
La nomination d'un directeur exécutif s'est faite selon des procédures transparentes. Sur le plan universitaire, nous allons travailler sur un « Erasmus méditerranéen » pour développer des échanges entre les étudiants, les enseignants et les chercheurs de la zone. On va aussi élaborer des programmes d'appui à la circulation et la traduction des œuvres, des programmes audiovisuels méditerranéens, banque d'archives, etc.
Le Q.O. : Dans l'univers de la sémiologie dans laquelle on vit, on ne peut passer à côté de ces signes ravageurs pour les opinions publiques : « cadenassage » des frontières de l'Europe, problème de visas... Dans ce cas, comment peut-on être crédible pour parler à la rive sud ?
A.L.R. : On va développer des échanges entre les étudiants, les enseignants, des chercheurs, des artistes. Et la France a particulièrement une réponse à cela ! Nous allons développer par exemple le visa de circulation (avec de multiples entrées). Nous allons convaincre d'autres pays européens à adhérer à cette initiative.
Le Q.O. : Quels sont les sujets ou les points phares qui vont figurer sur l'agenda du sommet des chefs d'Etat ?
A.L.R. : Je rappelle qu'il y a eu d'abord une réunion des ambassadeurs euroméditerranéens le 8 avril dernier à Bruxelles. Le Conseil européen aura lieu en juin. Des visites dans les différents pays sont également prévues pour préparer et affiner les sujets. D'ailleurs, je reprends mon bâton de pèlerin pour aller à la rencontre des responsables des pays concernés.
Le Q.O. : L'équipe qui suit ce dossier à l'Elysée a-t-elle été modifiée ? On parle de la prise en main directe du sujet par Jean-David Levitte, le responsable de la cellule diplomatique de la présidence. Qu'en dites-vous ?
A.L.R. : Je crois qu'il n'y a pas de changement à ce sujet. Certes, j'ai lu cela dans la presse, mais je répète qu'il n'y a aucun changement. Je travaille avec Henri Guaino, Bernard Kouchner, Jean-David Levitte, Jean-Pierre Jouyet, etc. tous sont intéressés et restent mobilisés en bloc jusqu'au 13 juillet.
Le Q.O. : Combien de projets seront retenus pour cette première rencontre au sommet de l'UPM ?
A.L.R. : Comme je l'ai dit, nous sommes dans la phase d'élaboration (présélection). Il y a une dizaine de grands projets et une centaine d'autres (petits) qui sont retenus : dépollution de la mer Méditerranée ; accès à l'eau potable, à l'eau pour l'irrigation et pour les industries ; le plan solaire méditerranéen ; les autoroutes maritimes ; énergie (raffineries à usage méditerranéen) ; finance ; agence de développement des PME ; fonds de développement des infrastructures ; argent des travailleurs migrants ; espace scientifique et un espace universitaire méditerranéen ; formation professionnelle ; mise en réseau des agences d'appui à la traduction et la circulation des œuvres, peut-être un Office méditerranéen pour l'audiovisuel. Nous allons juger ce qui est prioritaire pour chaque pays de la zone.
Q.O. : Quelle est l'utilité de la fondation pour le monde méditerranéen, qui est dirigée par Jean-Louis Guigou ?
A.L.R. : Cette fondation ne dépend pas de nous, mais elle vient d'une initiative privée et pilotée au départ par l'Institut de prospective économique méditerranéenne que dirige Jean-Louis Guigou.
Elle a aussi la vocation d'aider près de 50 entreprises du Nord et du Sud de la Méditerranée pour travailler ensemble. Elle prépare une réunion les 12 et 13 juin prochains, à Barcelone. Indépendamment de cela, d'autres événements vont avoir lieu : une réunion pour les entreprises du 18 au 20 mai à Charm El Cheikh ; une autre est prévue les 23 et 24 mai à Rabat ; une rencontre des patrons euro-méditerranéens aura lieu à la fin mai à l'initiative de Laurence Parisot, présidente du Medef (patronat français), etc. Le souffle est là !
Le Q.O. : Certains pays du Sud expriment un certain scepticisme ou même un doute certain sur l'utilité de cette initiative. Comment réagissez-vous par rapport à ce type d'interrogations ?
A.L.R. : Sachez qu'il n'existe pas une initiative qui fasse l'unanimité, sauf si on dit qu'il y aura une augmentation de salaires pour tout le monde ! Je suis sûr que tout le monde sera content. La réalité est qu'il y a, aujourd'hui, une unanimité des Européens pour travailler ensemble, pour remettre la Méditerranée au centre du jeu, et essayer de répondre plus aux attentes des populations des pays du sud de la Méditerranée. Aujourd'hui, tous les pays sont du même avis. On était dans la phase de rodage, qui est terminée. Actuellement, on est dans la phase d'élaboration des projets.
Le Q.O. : Vous avez le profil d'un diplomate « multilatéraliste ». Quelle est la forme institutionnelle et juridique qui va être mise en place pour l'UPM ?
A.L.R. : Nous n'allons pas faire un traité, mais une déclaration sous forme de G-Med : coprésidence, secrétariat effectif, codirecteurs.
Le Q.O. : Comment va-t-elle exister par rapport à la Politique européenne de voisinage (PEV) ?
A.L.R. : Je précise qu'EuroMed ne fait pas partie de la Politique européenne de voisinage. Ce sont deux entités différentes. C'est le « processus de Barcelone » qui va se transformer et se développer pour devenir l'Union pour la Méditerranée.
La PEV sera plutôt à côté de l'UPM. Le volet coopération régionale va nous servir à financer une partie des projets que j'ai énumérés au début de notre rencontre.
Sources :
* Le Journal Chrétien
* Human Rights Watch
* Wikipédia.org


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