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Marocains résidant à l'étranger
Les carences de l'encadrement religieux par le Maroc
Publié dans L'opinion le 30 - 05 - 2017

En raison de l'énorme retard pris par la formation et l'investiture du gouvernement marocain au lendemain du scrutin législatif du 7 octobre 2016, le projet de loi de finances pour l'année 2017, n'a pu être présenté par le gouvernement Saâd Eddine El Othmani et débattu successivement dans les deux chambres du parlement qu'en mai 2017.
Le dossier de la communauté des citoyens marocains établis à l'étranger comporte plusieurs dimensions, dont la dimension religieuse, et relève de plusieurs institutions publiques chargées de sa gestion. De ce fait, le budget global qui lui est dédié dans le cadre de la loi annuelle de finances, est à identifier au niveau des budgets sectoriels de diverses institutions publiques, en particulier les suivantes : ministère délégué après du ministre des Affaires étrangères et de la coopération, chargé des MRE et des affaires de la migration , ministère des Habous et des Affaires islamiques, Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger, Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale au titre des dépenses de la Direction des affaires consulaires et sociales (DACS).
Indicateurs financiers clés
Partant des projets de budgets sectoriels au titre de 2017 et relatifs aux quatre premières institutions, on retiendra les principaux indicateurs financiers suivants :
* Le budget global du ministère délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la coopération Internationale, chargé des Marocains résidant à l'étranger et des affaires de la migration est de 590.907.000 dirhams, subdivisé comme suit : budget de fonctionnement (413.907.000 dirhams) ; budget d'investissement (177.000.000 dirhams).
* Le budget pour 2017 consacré par le ministère des Habous et des affaires islamiques à l'encadrement religieux des Marocains résidant à l'étranger est de 231.100.000 dirhams, dont une bonne partie est destinée au Conseil Européen des Oulémas Marocains (CEOM) et à un certain nombre de mosquées et de fédérations de musulmans ou d'unions de mosquées. À cela, il faut ajouter la somme de 32.000.000 dirhams qui va à la construction et à l'aménagement de complexes religieux à l'étranger.
* La subvention publique accordée pour 2017 à la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger et inscrite au budget de fonctionnement du ministère délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, chargé des MRE et des Affaires de la migration est de 246.550.000 dirhams. Ce chiffre est resté le même depuis 2014, alors qu'entre 2012 et 2013, le montant annuel de la subvention étatique était de 183.000.000 dirhams et de 2008 à 2011, la subvention s'élevait à 150.000.000 dirhams par an.
Ce budget de la Fondation est absorbé principalement par les dépenses au titre de l'enseignement de la langue arabe essentiellement et de la culture marocaine, principalement aux générations montantes de MRE, la dimension religieuse faisant également partie de l'agenda de la Fondation à certaines occasions épisodiques, avec l'envoi d'un supplément de cadres d'animation socio-religieuse durant le mois de Ramadan par exemple.
Dans ce sens , on relèvera notamment ce qui suit dans l'article 2 de la loi 19-89 créant la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger : " (...) elle est chargée , conformément aux orientations du gouvernement de Sa Majesté le Roi dans les domaines culturel , religieux et social et aux présentes dispositions de : - participer aux frais liés à l'encadrement et à l'acquisition du matériel nécessaire au développement de l'enseignement de la langue arabe , de la culture nationale et de l'instruction religieuse , dispensé aux Marocains résidant à l'étranger , en particulier leurs enfants (...) ".
* La subvention étatique accordée au Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME) et inscrite au budget du chef du gouvernement comme pour les autres institutions des droits de l'Homme et de bonne gouvernance, est de 49 millions de dirhams.
Deux remarques générales
1 - On observera ainsi l'importance de l'effort financier étatique concernant la gestion du dossier des Marocains résidant à l'étranger, auquel on a ajouté depuis l'année budgétaire 2014 les affaires de la migration (immigration étrangère au Maroc).
2 - L'absence de transparence dans l'utilisation de ces sommes par les responsables des institutions précédentes, en particulier les institutions para-publiques, constitue la caractéristique principale de la gestion du dossier de la communauté des citoyens marocains établis à l'étranger. Prenons plusieurs exemples dans ce domaine.
* Au niveau de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger, aucun rapport financer n'est publié depuis au moins l'an 2000, le comité directeur de cette Fondation ne s'étant pas par ailleurs réuni depuis cette date au mépris de l'article 5 de la loi 19/89 portant création de cette institution, qui impose au moins deux réunions par an de ce comité.
* Concernant le CCME, l'assemblée plénière qui doit se réunir chaque mois de novembre pour discuter et adopter notamment le rapport financier, délibérer sur le projet financier de l'année qui suit, ne s'est pas réuni depuis l'assemblée plénière de lancement du CCME qui avait eu lieu début juin 2008, voilà 9 ans !!!
* De même, au niveau parlementaire et ceci est valable pour les deux chambres, aucun contrôle financier réel n'est exercé ni par les députés ni par les conseillers, les membres du gouvernement concernés ne présentant aucun bilan financier ou même un bilan d'activité de ces institutions, sous prétexte du statut particulier notamment du CCME et de la Fondation... Pour cette dernière institution , l'article 11 de la loi portant sa création stipule ce qui suit : " La Fondation n'est pas soumise aux dispositions du dahir n°1.59.271 du 17 chaoual 1379 ( 14 avril 1960) organisant le contrôle financier de l'Etat sur les offices , établissements publics et sociétés concessionnaires ainsi que sur les sociétés et organismes bénéficiant du concours financier de l'Etat où des collectivités publiques " .
Ajoutons à cela, le fait qu'en commissions spécialisées, s'agissant notamment de la Fondation Hassan II pour les MRE, il n'y a pratiquement pas d'interpellation parlementaire dans les deux chambres depuis des années, comme si ce domaine était tabou ou ne pouvait nullement faire l'objet de débat.
Le prétexte de l'insuffisance
des moyens financiers
En dépit de l'effort financier consenti par l'Etat marocain, les résultats de l'action en matière d'encadrement religieux des institutions précitées en charge principalement du dossier MRE, sont plutôt très défavorables. Leurs responsables invoquent toujours l'absence de moyens pour expliquer l'efficience réduite, pour ne pas dire l'absence d'efficience tout court.
* Il en est ainsi du CCME qui a principalement une mission consultative et dont un de ses six groupes internes de travail concerne les "cultes et éducation religieuse" avec la composition suivante : Abdallah Rédouane ( président , Italie) , Mohamed Kharchiche ( rapporteur , Espagne) , Ahmed Ayaou ( Allemagne) , Ahmed El Hamss ( Danemark ) , El Khammar El Bekkali ( Pays-Bas) . Dans un entretien en date du 29 mars 2013 et publié sur le site du CCME, Abdellah Boussouf, secrétaire général de ce Conseil, expliquait ainsi le non accomplissement de sa mission de présentation d'avis consultatifs, englobant par conséquent la dimension religieuse, par la "contrainte des ressources faibles pour l'instant, le traitement de la question de l'immigration nécessitant des ressources et un investissement financier immense" (!!!).
* De même, pour se décharger de ses responsabilités, et tel que ceci ressort de son intervention le mardi 9 mai 2017 devant la Commission des Affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des Marocains résidant à l'étranger, relevant de la Chambre des Représentants, lors de la présentation du budget de son département, le ministre des Habous et des Affaires islamiques a mis d'abord en avant le caractère "limité, partiel et saisonnier" de l'intervention de son ministère dont le budget en la matière est plutôt "symbolique". Il faut, a t-il conclu, redoubler d'efforts, mais "la ligne politique et la démarche du ministère des Habous et des Affaires islamiques relatives à l'encadrement religieux des MRE sont justes et pertinentes ; seuls les moyens financiers font défaut pour améliorer encore plus les résultats " !!!
* C'est la ligne défendue également par le secrétaire général du CCME dans une interview parue le mardi 23 mai 2017 sur les colonnes du journal "Les Inspirations Eco". A la question de savoir si l'encadrement religieux des MRE par le Maroc était suffisant, Abdellah Boussouf déclare ce qui suit :
"Il n'est peut être pas suffisant, mais il faut reconnaître que le Maroc fait énormément d'efforts en la matière à travers le ministère des Habous et des affaires islamiques. Si ce travail n'était pas fait, je me demande combien de Marocains se seraient orientés vers Daech. Peut être DES CENTAINES DE MILLIERS (!!!). La marge de manœuvre est limitée sur le territoire européen (...) L'enveloppe de 130 millions de dirhams dédiée à l'encadrement religieux des Marocains du monde n'est pas suffisante. Il faut augmenter les moyens du ministère des Habous, car il s'agit d'un dossier très stratégique ".
Relevons au passage que le montant de cette enveloppe avancée par le SG du CCME est bien inférieur aux chiffres cités officiellement dans le projet de budget 2017 du ministère des Habous et des Affaires islamiques soumis aux deux chambres du parlement et que nous avons rappelés plus haut. Observons également que dans l'interview précitée, la responsabilité de l'encadrement religieux des MRE est attribuée par le SG du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, de manière pratiquement exclusive au ministère des Habous et des affaires islamiques, éludant ainsi sa propre responsabilité même très partielle en la matière, sachant bien entendu que le CCME n'a pas une mission exécutive, mais des fonctions consultative et prospective.
Dés lors, si cette critique fait partie des nombreux reproches adressés au Conseil, ce n'est pas, comme l'affirme le secrétaire général du CCME dans la même interview, "par ce qu'on n'est pas encore habitué aux conseils consultatifs".
Or dans le domaine précisément de la mission consultative, pourquoi le CCME n'a émis aucun avis consultatif susceptible d'améliorer la politique marocaine d'encadrement religieux des MRE ? Certes, des colloques et séminaires internationaux sur l'islam ont été organisés par le CCME et ont fait l'objet de livres qu'il a édités. Mais encore une fois et encore, ces publications qui reprennent notamment des résumés ou des conclusions de diverses communications qui sont envoyés aux responsables , ne peuvent être assimilés à des avis consultatifs qui ont leurs propres règles, critères et conditions d'élaboration et d'adoption, notamment la concertation organisée avec les milieux concernés et la recherche argumentée de convergences.
Autrement, n'importe quelle publication d'actes de colloque, de séminaire ou de table ronde organisé par une faculté ou une simple ONG sur une thématique relevant de la question migratoire, peut être considérée comme un avis consultatif. Jusqu'aux recherches et livres purement individuels en la matière qui sont édités ! Voir même de simples articles ou interviews publiés dans des journaux, comme ceux du SG du CCME, alors qu'il s'agit dans ce cas simplement de contribution au débat public, si ce n'est de pures opérations de "com" !!!
De même, les simples correspondances adressées au Chef du gouvernement à travers lesquelles le SG du CCME exprime un certain nombre d'attentes et de préoccupations, ne peuvent tenir lieu d'avis consultatifs, si elles ne sont pas la résultante de concertations en bonne et due forme avec un haut degré d'écoute, de dialogue et de partage, et si elles n'ont pas fait l'objet d'une adoption institutionnelle comme le stipule le dahir du 21 décembre 2007 portant création du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger.
Le Maroc en tant que pays d'origine a aussi sa part de responsabilité
Or, à nous en tenir à cette dimension religieuse, les déficiences d'encadrement de la communauté marocaine à l'étranger en la matière par ces institutions sont d'un autre ordre et ne tiennent pas fondamentalement à la pénurie de moyens matériels .Divers témoignages du terrain l'attestent.
Prenons le cas de la France où vivent entre 5 à 6 millions de musulmans (dont la composante marocaine) avec les témoignages diffusés dernièrement et qui se poursuivront encore peut être au delà même du mois de Ramadan, dans le cadre de l'émission marocaine "Arc En Ciel", animée par Abdellatif Essadki sur Radio Pluriel (Lyon). Ces témoignages percutants montrent que loin d'être une simple question de déficit de moyens financiers mis à disposition par l'Etat marocain , la faiblesse de l'encadrement religieux des MRE par les institutions marocaines concernées, est d'abord une question de mal gouvernance, de choix politiques défectueux, de carences en matière de représentativité, de gestion et d'organisation des Marocains musulmans, de formation des cadres religieux et bien d'autres aspects importants.
La dimension cultuelle de la composante marocaine en France (et à l'étranger en général parmi les Marocains du Monde), est en effet une question très chaude au vu du traitement de la thématique de l'islam en termes polémiques, si ce n'est par une approche caricaturale ou de stigmatisation. Cette question religieuse est délicate lorsqu'on observe les enjeux nationaux et internationaux énormes tant au plan politique comme on l'a constaté avec les élections présidentielles françaises (puis législatives maintenant) qu'au plan sécuritaire. Cette question est également très sensible lorsqu'on constate à titre d'exemple qu'un grand nombre d'attentats terroristes en France et dans d'autres pays européens sont le fait de marocains ou d'origine marocaine.
Par ailleurs, les services de sécurité marocains ont recensé 1.631 nationaux qui ont été impliqués dans le bourbier Syro -irakien. Or minimisant à outrance la gravité de ce chiffre, le secrétaire général du CCME procède par contre dans l'interview précitée, à une extraordinaire fuite en avant (statistique) et à une incroyable déclaration pour tenter de faire accréditer la thèse de la réussite par les institutions marocaines de l'encadrement religieux des MRE, principalement des générations montantes. Comme si les cinq millions de citoyens marocains établis à l'étranger, comprenaient en leur sein des centaines de milliers de terroristes potentiels ! Précisons par ailleurs que sur 289 personnes décédées en France depuis les attentats terroristes de novembre 2015, il y'a beaucoup de musulmans, dont des Marocains.
Les raisons des dérives mortifères et de remise en cause des règles du vivre ensemble ou du vivre en commun par une infime minorité sont, bien entendu, multiples et complexes. Mais pour le cas de la France , au delà des raisons purement internes franco-francaises et celles liées au dévoiement de l'Islam par des groupuscules intégristes et extrémistes (mouvements salafistes, fondamentalistes, "takfiristes") qui privilégient une interprétation rétrograde et obscurantiste au lieu de l'islam tolérant, pacifique, ouvert et convivial, la politique marocaine d'encadrement religieux des MRE n'est -elle pas également à interroger et à interpeller, du fait que le dossier est mal réfléchi et mal géré, avec au delà de l'obsession sécuritaire, l'absence de vision stratégique à long terme ?
Peut-on en effet dire objectivement que cet encadrement religieux de la Jaliya par diverses institutions marocaines (ou proches du Maroc sur le terrain), soit une réussite et non pas un échec ?
*Universitaire à Rabat, chercheur en migration


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