Pourquoi les toiles de Moutassadak sont-elles anonymes ? Pourquoi le peintre, après plus de 35 expositions aux quatre coins de la planète, persiste-t-il à différer le baptême de ses tableaux ? Pourquoi ne capture-t-il que l'aube et le crépuscule et que ses ciels ne sont jamais bleus ? Pourquoi cette référence obsessionnelle à la nature ? L'explication du travail du peintre se trouve peut-être dans ... ces questions. Moutassadak ne semble pas exposer pour s'exhiber mais pour continuer à interroger ses œuvres par le truchement de ceux que ses œuvres subjuguent. Gêné en quelque sorte par son génie, il semble vouloir se voiler derrière un désir pudique de continuer à questionner son univers en vue de mieux intégrer son art dans la mémoire et l'environnement de son peuple. Un peuple un et pluriel à la fois suprêmement présent à chaque étape d'un long itinéraire. D'évidence, le Maroc constitue la toile de fond véritable de cette création, voire la Toile tout court. Et pourquoi, dès lors, Moutassadak ne s'intéresse-t-il qu'à l'aube et au crépuscule, excluant de son périple diurne cette longue tranche intermédiaire du quotidien, considérant comme subsidiaire l'éclat agressif de midi et superflu le bruit indécent de la foule. Tout pour lui n'est rien s'il n'est début ou fin, s'il n'est cri naissant ou soupir agonisant. Rien ne semble compter que la jubilation de l'enfant-jour à l'orée du premier départ et le souffle de l'homme-nuit au seuil de l'ultime reddition. La passion de l'artiste est d'abord sérénité et espérance. Et c'est mérite sans égal de continuer à injecter l'espoir et la sérénité lorsqu'on pleure déjà un peu le règne du vert et que l'on appréhende les roses-pastiques manufacturées. Or, c'est donc pour cela, Monsieur Moutassadak, que vous dédiez vos toiles à la nature pour faire réfléchir les hommes avant l'avènement de la ménopause des rosiers ? Merci d'écrire ces messages en termes beaux et constants et de demeurer si humble, malgré la gravité de votre vocation de protecteur des roses et des bourgeons : L'art auréolé de modestie est noble. Merci de continuer, tel l'ascète tourné vers la Kaâba, à enserrer vos jours dans deux prières fondamentales : celle du matin et celle du soir afin que Dieu ait pitié des assassins des roses et des bourgeons. Rabat, 18-2-85 En marge de l'Exposition Bab Rouah, février 1985