Pendant des années, la critique, ou tout au moins les journaux, semblent avoir évité systématiquement ce problème important et délicat qu'est la morale relâchée des films. Sans doute parce que le cinéma avait habitué les spectateurs à être violentés dans leurs pudeur et moralité instinctives. Il est entendu que l'art n'a pas pour fin d'enseigner la morale. Celle-ci n'est, dans une société policée, qu'une discipline des mœurs, une façon saine de penser et d'agir pour des individus normaux. L'art, au contraire, est une manifestation du génie humain. Il est un plaisir délicat pour des gens civilisés déjà régis par une morale. Parfois, cependant, l'un et l'autre entrent en conflit. Et si la morale avait toujours été la préoccupation des écrivains et poètes, nous n'aurions eu ni La Fontaine, ni Abou Nouass, dont les contes ont été des chef-d'œuvres de grâce. Mais, peut-être après tout, un art dépourvu d'inspiration morale est-il un art inférieur, une caricature d'art. Sans vouloir revenir sur la vieille querelle de l'art pour l'art, on peut dire que le cinéma, qui a des moyens de diffusion prodigieux et s'adresse à tous, petits et grands, doit garder une certaine mesure même quand il prétend à l'art, respecter les lois nécessaires et établies de la morale. Le cinéma montre les exploits de tristes individus, les coupables, dans les derniers mètres du film, qui meurent ou sont arrêtés par la police; et qu'en définitive, la morale triomphe. L'ordre est finalement rétabli. On assiste en fait à 90 minutes de vols, de stupéfiants, de crimes, de viol, d'inceste, et à une minute de châtiment. Mettant à part ces images immorales que nous avons citées, ne subsiste-il pas un autre danger? Quel univers pourra concevoir le public après le spectacle habituel? Son imagination, faussée par le cinéma, va lui peindre une atmosphère artificielle de luxe où des gens charmants et oisifs, habitués des bars, traînent en smoking une vie facile. On boit sec, on se prélasse dans des appartements somptueux, on se déplace dans des limousines impressionnantes. Qui n'aimerait pas ce mirage? De nos jours comme de tout temps, deux civilisations s'affrontent et qui se disent modernes: celle dite du "confort", liée aux ambitions et appétits matériels sans limite; puis celle de "l'effort", du travail, de la nature, du sport, et du grand air. Trop souvent, le cinéma s'est attardé à nous représenter la première alors que sur cette dernière qu'il convient de mettre l'accent.