La dégringolade des prix du pétrole survenue en septembre 2014 et le comportement des différends acteurs annoncent que le marché pétrolier est entré dans une nouvelle norme. La Banque mondiale vient d'établir, dans son un constat exhaustif de cette situation. Son rapport, à ce sujet, intitulé « Quid des prix du pétrole ? » s'attache à expliciter les facteurs qui sous-tendent cette nouvelle norme afin de discerner l'évolution future des cours mondiaux du pétrole et leurs conséquences pour les pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Il tente d'expliquer l'effondrement des prix de 2014, en soulignant l'aggravation notable de l'ampleur et de la fréquence de la volatilité des cours qui l'a précédé. Depuis septembre 2014, les prix mondiaux du pétrole brut ont dégringolé de plus de la moitié, pour tomber à un nouveau plancher de 30 dollars le baril (Brent) en février 2016. Depuis lors, ils se sont redressés à 50 dollars le baril en mai par suite de perturbations de l'offre au Nigéria et au Canada et de la hausse saisonnière de la demande estivale. Cette récente reprise ne s'est pas maintenue, les stocks mondiaux restant très supérieurs aux moyennes historiques ; l'Iran et l'Iraq augmentent leur production tandis que la Russie et l'Arabie saoudite, entre autres, produisent plus que jamais depuis janvier 2016. Même si la relance perdure, il y a peu de chance de voir les prix remonter aux niveaux à trois chiffres enregistrés durant 2011-2013 étant donné les comportements radicalement différents des acteurs du marché. En particulier, avec 4200 puits inactifs (reliquat de puits non fracturés) et un temps de réaction de quatre à six mois pour augmenter ou réduire la production — par opposition à plusieurs années pour les producteurs conventionnels — l'industrie américaine des schistes bitumineux pourrait se révéler le producteur marginal. En outre, l'Arabie saoudite semble avoir renoncé à son rôle de producteur d'appoint chargé d'absorber les fluctuations de l'offre et de la demande mondiales. Il est clair que le marché pétrolier est entré dans une nouvelle norme. Le marché mondial du pétrole se maintiendra dans la situation actuelle de surapprovisionnement pour se rétablir au début des années 2020 entre 53 à 60 dollars le baril La Banque mondiale explique l'effondrement des prix de 2014, en soulignant l'aggravation notable de l'ampleur et de la fréquence de la volatilité des cours qui l'a précédé. Cette volatilité a ensuite favorisé l'accumulation des stocks que de nombreux observateurs, dont l'Agence américaine pour l'information sur l'énergie (EIA), attribuent à la chute des prix du pétrole. Vu que dans le passé, les périodes d'effondrement des prix ont duré plus longtemps que les flambées, nous suggérons que la situation actuelle pourrait perdurer étant donné les comportements nouveaux des intervenants du marché et le fait que la demande globale est faible et ne montre aucun signe de reprise à court terme. En effet, nous constatons que la corrélation jusqu'ici positive entre la production et les cours du pétrole est désormais négative : une baisse des prix pétroliers donne lieu à une augmentation de production. S'il n'y a pas de sursaut de la demande (Selon des estimations préliminaires de la Banque mondiale, le récent vote du Royaume-Uni en faveur de sa sortie de l'Union européenne (UE) occasionnera probablement un ralentissement supplémentaire de la croissance mondiale), cette situation pourrait se traduire par un accroissement des stocks pétroliers dans les années à venir. La conjonction de ces constats nous incite à penser que le marché mondial du pétrole se maintiendra dans la situation actuelle de surapprovisionnement pour se rétablir au début des années 2020 à des prix d'équilibre proches du coût marginal du dernier producteur (les producteurs américains de pétrole de schiste ou autre producteur d'appoint). Les prix du pétrole devraient alors se situer dans la fourchette de 53 à 60 dollars le baril. Une hausse supérieure à ce dernier chiffre encouragerait la réalisation de nouveaux forages, avec pour conséquence un nouvel engorgement ; une chute des prix en deçà de la limite inférieure ferait obstacle à la pénétration sur les marchés. Néanmoins, de nombreux risques empêchent encore de déterminer le moment où les marchés retrouveront leur équilibre, vu que l'on s'attend à un ralentissement de la demande et à une surabondance persistante des stocks pétroliers. Les producteurs pétroliers de la région MENA auront du mal à s'adapter à la nouvelle norme, car ces nouveaux prix sont très inférieurs à ceux nécessaires pour équilibrer leurs budgets. Les prix au seuil de rentabilité ont notablement augmenté avec le temps du fait de l'importance des investissements publics engagés pendant les années de prospérité, surtout après le Printemps arabe de 2011, époque à laquelle les gouvernements des pays exportateurs et importateurs de pétrole ont augmenté leurs aides et la masse salariale du secteur public. Citons par exemple le programme d'aides sociales de l'Arabie saoudite, à hauteur de 93 milliards de dollars. Portés par les envois de fonds et l'assistance des pays exportateurs de pétrole, des pays importateurs comme la Tunisie et l'Égypte ont également relevé les allocations sociales et les salaires de la fonction publique. L'effondrement des prix du pétrole en 2014 a modifié ce tableau. La manne pétrolière a permis de financer le contrat social entre l'État et les citoyens, les subventions du carburant et de l'alimentation, la gratuité des soins de santé et de l'éducation, les subsides et les emplois publics permettant d'étouffer la grogne sociale et de moins rendre des comptes (Devarajan et Mottaghi, 2015). Or, cette manne se raréfie. Dans l'ensemble de la région, les gouvernements adoptent des mesures longtemps jugées impensables, comme la fiscalité, la suppression du carburant subventionné et la réduction de l'emploi et des salaires dans la fonction publique. Les pays exportateurs de pétrole ont quasiment tous éliminé les subventions de carburant, d'électricité, de gaz et d'eau (Devarajan et Mottaghi, 2016). Même des pays importateurs, comme le Maroc, l'Égypte et la Jordanie qui ont commencé à réformer les subventions en 2014, renoncent désormais à la fixité des prix du carburant sur le marché intérieur au profit de prix alignés sur les cours mondiaux. Nombre d'entre eux réduisent les dépenses publiques et certains, comme l'Algérie, ont gelé les embauches dans le secteur public. Le Maroc et plusieurs pays du CCG ont mis en place des mesures d'amélioration du rendement énergétique, réduisant ainsi leurs émissions de carbone. Si ces réformes sont poursuivies, elles pourraient améliorer l'efficience économique des pays de la région MENA dans les années à venir.