Ahmed Bouanani (1938-2011), poète, cinéaste, conteur, scénariste marocain était connu pour ses travaux cinématographiques, ses recherches en Histoire de la culture populaire marocaine et ses poèmes, notamment les recueils « Les persiennes » (éditions Stouky, 1980), « Territoires de l'instant » avec Daoud Aoulad Syad (La Croisée des Chemins et éditions de L'œil, 1999) sans oublier surtout son roman « L'Hôpital » (éditions Al Kalam, 1990). Ne mettant aucun zèle à publier ses œuvres, nombre de ses textes étaient restés inédits dont des textes de création, travaux de recherches, scénarios, etc. Aux fondements de tous ses travaux, il y a une démarche poétique, une présence au monde originale, un style particulier, depuis les premiers textes parus dans la revue « Souffles » en 1967 et les premiers films comme le film muet « 6 et 12 » sur Casablanca, au film de long métrage « Le Mirage » (1979) et le texte « L'Hôpital » réédité par les éditions DK (Casablanca, 2012). Salim Jay, qui avait déjà noté la grande originalité de Bouanani dans son dictionnaire des écrivains marocains, (éditions La Croisée des Chemins, 2005), revient dans « Ahmed Bouanani dans ma bibliothèque » (éditions Librairie des Colonnes, Tanger, 2016) pour essayer de suivre à la trace et décrire l'essence de cette démarche poétique de Bouanani faite de retrait, de retenue et fondée sur une nécessité intérieure avec cette capacité de « laisser l'initiative aux mots ». Le portrait est exécuté par touches successives, au gré d'une promenade libre que l'auteur effectue dans sa bibliothèque pour évoquer Bouanani. Ce faisant, Salim Jay insiste sur l'oubli injuste où fut reléguée l'écriture poétique majeure de Bouanani, notamment son œuvre « L'Hôpital » en affirmant que, introuvable depuis sa première édition en 1990, ce texte a dû survivre « sous la menace d'une dénégation permanente ». Bien qu'il s'agisse d'un roman, cette œuvre est d'abord celle d'un poète où il a laissé son empreinte par le biais d'une voix singulière. Salim Jay note, entre autres, à propos de « L'Hôpital », qu'il « s'avère l'œuvre en prose la plus hostile à la lumière factice des engouements fabriqués par la publicité » On sait que, dans ce texte, Bouanani puise dans son expérience personnelle de tuberculeux, ayant séjourné dans un sanatorium, pour décrire, par transposition, mêlant dérision, sarcasme et tendresse du souvenir dénué d'illusion, un univers clos de déréliction autour du destin de pensionnaires affublés de sobriquets, rongés par la maladie, en situation de consomption physique extrême. L'auteur semble s'ingénier à « narguer, destituer le malheur en faisant triompher une verve picaresque ». C'est donc, pour Salim Jay, de redécouvrir la vraie dimension d'écriture de l'auteur qu'il s'agit. Dans ce court texte, qui procède par jets aphoristiques, Salim Jay, tout en évoquant l'écriture d'Ahmed Bouanani, d'abord et surtout en tant que poète, fait le tour des auteurs qui, pour lui, comptent le plus de par leur expérience d'écriture d'exception, et pointe du doigt la « consonance » qu'il y a entre des textes très proches. Ainsi un lien est fait entre « L'Hôpital » de Bouanani et « Transfers nocturne » d'Armen Lubin. Ce faisant c'est comme s'il dût découvrir un cercle de complicités où la création est intimement liée à la maladie et s'en sustente. Cela pour offrir un éclairage plus appuyé sur son propos par la juxtaposition des affinités de vision et de sensibilité dans un contexte de corps-à-corps avec l'adversité. Ici c'est l'évocation de la maladie comme un mal à transfigurer par l'écriture en donnant à voir les capacités humaines d'appropriation d'initiative et de dépassement grâce à la magie du langage au sein du processus créatif. C'est le cas quand il évoque, notamment, Robert Walser, écrivain suisse germanophone, et le poète arménien Armen Lubin. Ce faisant, il tente de définir la nature de ce qui fonde cette exploration des gouffres et par ainsi offre une image où l'étincelle du verbe créatif donne le ton d'un triomphe sur l'adversité et le malheur. Au total, le texte polyphonique est une invite pressante à une lecture de redécouverte de Bouanani et une revanche sur l'oubli. Le texte est accompagné de dessins de Daevid Loyza. Des œuvres inédites d'Ahmed Bouanani devaient être publiées, avec les bons soins de sa fille Touda Bouanani, artiste vidéaste, dont « La Septième porte », une histoire du cinéma marocain depuis le protectorat jusqu'aux années 1980, comprenant, entre autres, des pages bouleversantes sur l'itinéraire d'Ousfour, l'enfant du bidonville, à proximité de Derb Ghallef, Qtaa Ouled Aïcha, vendeur de journaux au Maârif, amoureux du cinéma, et un roman en trois tomes, « Le Voleur de mémoire », une saga d'une famille migrante de la campagne vers la ville, mettant en lumière l'évolution de la vie marocaine dans le tohu-bohu du monde moderne. Pour l'instant, seule la traduction en arabe de « L'Hôpital » par Mohamed El Khadiri est parue aux éditions DK. A rappeler que la Librairie des Colonnes a publié aussi en édition bilingue « Quatre heures à Chatilla » (1983) de Jean Genet, texte original, avec une traduction en arabe par Mohamed Berrada accompagnés d'un entretien avec Leila Shahid réalisé par Jerôme Hankins (1994) et traduit en arabe pour cette réédition par Mohamed Hamoudane. Le même éditeur a publié une traduction en arabe par Mohamed Hamoudane du roman « La Mer du printemps » de Driss Chraibi avec une présentation de Kacem Basfao. « Ahmed Bouanani dans ma bibliothèque » de Salim Jay, éditions La Librairie des Colonnes, Tanger.