Depuis 1995, Philippe Forest enseigne à l'université de Nantes où il est professeur de littérature. Il est l'auteur de nombreux essais consacrés à la littérature et à l'histoire des courants d'avant-garde. on peut citer à titre d'exemple :Le Mouvement surréaliste, Vuibert, 1994 ;Textes et labyrinthes : Joyce, Kafka, Muir, Borges, Butor, Robbe-Grillet, éd. Interuniversitaires, 1995 ;Histoire de Tel Quel, Seuil, 1995 ; Oé Kenzaburô, Pleins Feux, 2001 ;Le Roman, le je, Pleins Feux, 2001 ;Le Roman, le réel et autres essais (Allaphbed 3), Cécile Defaut, 2007 ;Retour à Tokyo (Allaphbed 7), Cécile Defaut, 2014 :Aragon, Gallimard, 2015. Il est l'auteur des romans suivants . L'Enfant éternel (Prix Femina du premier roman), Gallimard, 1997 ; Folio, 1998 ;Toute la nuit, Prix Grinzane Cavour 2007, Gallimard, 1999 ;Sarinagara (Prix Décembre), Gallimard, 2004 ; Folio, 2006 ;Le Nouvel Amour, Gallimard, 2007 ;Le siècle des nuages, (Grand Prix littéraire de l'Aéro-Club de France 2011, Grand Prix littéraire de l'Académie de Bretagne et des Pays de la Loire 2011) Gallimard, 2010 ;Le Chat de Schrödinger, Gallimard. *Votre premier roman l'enfant éternel1997est marqué par le thème de la disparition de votre fille à l'âge de quatre ans suite à une maladie incurable. Y avez-vous relaté les événements strictement réels à la convenance de Serge Doubrovsky ? Certainement pas : à la convenance de Doubrovsky. A l'époque, je ne l'avais pas lu. Je ne l'ai jamais considéré comme un exemple. Mes vrais modèles sont plutôt Cendrars et Céline, Barthes et Sollers. Mais, oui, dans ce livre, tout est vrai. Je ne l'ai pas écrit pour m'inscrire dans un genre littéraire. Je l'ai fait pour exprimer la violence de l'épreuve que je venais de connaître, survivre à cette épreuve tout en restant fidèle à la vérité qu'elle m'avait enseignée, témoigner de ce qu'avait l'existence de la petite fille qui en était l'héröine. Les vraies motivations d'un vrai livre sont toujours extra-littéraires. *Vous avez repris le thème de la disparition dans votre roman Le siècle des nuages 2010. Pourquoi vous êtes pris par la littérature de deuil ? Comment avez-vous réconcilié entre le fictif et le factif d'une part, et entre l'intime et l'histoire collective d'autre part ? Chacun de mes romans procède de l'expérience dont est sorti le premier. En ce sens, il est juste de dire qu'ils relèvent tous d'une littérature du deuil. La mort – particulièrement : la mort d'un enfant- pose une question vouée à rester sans réponse. C'est pourquoi je me sens tenu d'y revenir encore et encore afin d'interroger le non-sens absolu auquel elle nous confronte. Mais il faut le faire à chaque fois sous des formes nouvelles. Dans Le Siècle des Nuages, j'approche cette même expérience du deuil à partir du récit que je fais de la vie de l'homme qui fut mon père. Il fut pilote de chasse dans l'aviation américaine pendant la Seconde Guerre mondiale puis pilote de ligne à Air France. Je raconte son histoire en la mêlant à celle de l'aviation – qui dut à mon sens l'une des dernières utopies de ce que j'appelle le « vieux vingtième siècle ». Les catastrophes individuelles et les catastrophes collectives, les croyances personnelles et les croyances religieuses et politiques propres aux peuples et aux nations, prennent sens les unes par rapport aux autres dans la considération de ce néant auquel la condition humaine nous confronte sans cesse. *Dans Sarinagra 2004 vous avez raconté l'expérience de trois artistes japonais en précisant ce qu'ils avaient en commun loin d'un exotisme factice. Que représente pour vous ce simulacre narratif ? Quel rapport y a-t-il entre la culture regardant et la culture regardé ? J'ai voulu déplacer ma propre histoire dans l'espace et dans le temps en racontant comment trois artistes japonais d'autrefois avaient vécu l'épreuve qui fut la mienne : à savoir la perte d'un enfant. D'où le caractère expérimental de ce livre qui croise et assemble des formes littéraires japonaises et françaises. Il s'agissait en quelque sorte de dépayser ma peine. Mais je suis fondamentalement quelqu'un qui croit à l'universalité des valeurs et à l'unité de l'espèce humaine. Bien sûr, le chagrin s'exprime sous des formes différentes selon les civilisations mais il est toujours le même. C'est pourquoi ce roman entreprend de démystifier l'exotisme qui sévit au sujet du Japon et vise à nous faire accroire que cette civilisation serait totalement étrangère à la nôtre. Aussi l'on que l'on aille, le drame de vivre est toujours identique qu'il appartient à la littérature d'exprimer. *Dans Le Nouvel Amour 2007vous découvrez que votre coté homme et votre coté femme vous attirent tous deux vers les femmes. a-Est-ce un jeu de liaison dangereuse pour retrouver le bien-être perdu ? b-Pourquoi vous considérez le roman comme un terrain privilégié de l'amour ? Le Nouvel amour est encore un roman sur le deuil car c'est un roman sur le désir. Le désir, autant que le deuil, est en effet une épreuve de la perte et du manque. La psychanalyse nous le dit. Mais Proust aussi qui écrit que dans l'acte de possession physique, on ne possède jamais rien. La proposition a pu choquer certains lecteurs mais j'affirme en effet qu'il n'est de roman que d'amour. Cela me paraît une évidence que vient attester toute la littérature : au moins depuis Tristan et Yseut. On lit, on écrit parce que l'on aime. J'essaye d'aller aussi loin que possible dans l'exploration du sentiment amoureux – notamment dans sa dimension sexuelle. Tout nouvel amour nous donne l'impression de revivre. Mais à chaque fois, le bonheur et la jouissance nous font éprouver davantage encore le déchirement inévitable de vivre. *Vous avez consacré une grande partie de votre carrière de critique et d'enseignement à la littérature intime. Que retenez-vous de cette expérience à double facette (critique et romanesque). Quels sont les projets en cours qu'elle vous a suggéré ? Je trouve un équilibre dans l'alternance entre romans et essais. Il me paraît indispensable à la fois de raconter et de réfléchir. Mes essais sont comme le miroir de mes romans. Et vice-versa. Chaque texte nouveau reprend la matière des précédents mais les relance dans une direction nouvelle. C'est pourquoi j'aime à parler pour mes livres de « reprise ». Au sens où Kierkegaard définit énigmatiquement la reprise comme un « souvenir en avant ». Mon dernier roman, Le Chat de Schrödinger, est une sorte de conte philosophique qui s'inspire de l'un des paradoxes de la physique quantique pour mettre en scène un chat, doté de la propriété d'être en même temps mort et vivant et qui devient comme une sorte de messager entre l'ici-bas et l'au-delà. Il s'agit donc encore d'une histoire de deuil qui regarde du côté de la science-fiction. Mon prochain roman paraîtra à la rentrée de septembre et je vous en laisse la surprise.