Le contexte régional demeure caractérisé par des menaces terroristes persistantes au niveau mondial, l'instabilité politique et les conflits dans certains pays de la région. Ce qui aura des effets négatifs sur le secteur du tourisme national. C'est ce qu'affirmé récemment Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, devant les membres du Conseil National de l'Entreprise (CGEM- Agadir), dans une présentation sur la conjoncture économique nationale. Toutefois, le Maroc se démarque par sa stabilité politique et sécuritaire qui préserve son attractivité, un critère important pour les agences de notations. Dans son évaluation d'octobre 2015, S&P souligne que : «le Maroc a démontré une capacité de résilience en contenant l'agitation politique qui a suivi le Printemps arabe». L'atonie de l'activité chez les partenaires européens affecte la croissance non agricole. Outre le choc de 2009, la croissance non agricole s'est inscrite sur un nouveau palier bas oscillant autour de 3% contre 4,8% en moyenne entre 2000 et 2008. La croissance des industries de transformation a ralenti de 3,4% entre 2000 et 2008 à 0,9% sur la période 2012-2015. Sa part dans le PIB a accusé une baisse de 17% entre 2000 et 2007 à 15,5% sur la période 2008-2014 et de 12,8% à 11,9% dans l'emploi. Toutefois, le secteur industriel a connu l'émergence de nouveaux secteurs à l'export. C'est le cas de l'industrie automobile, devenue le premier secteur exportateur depuis 2014 devançant les phosphates et dérivés. Les autres secteurs notamment l'aéronautique et la pharmaceutique se développent mais leur niveau d'activité reste encore faible. « Nous n'avons pas pu cerner l'impact de cette performance à l'export sur l'emploi et sur la croissance, ni mesurer le taux d'intégration », souligne M. Jouahri. Le Wali de Bank Al-Maghrib a fait savoir, par ailleurs, que le BTP (Bâtiment et travaux Publics), après plusieurs années de dynamisme, a fortement décéléré, sa croissance moyenne étant revenue de 7,5% entre 2000 et 2007 à 4,3% entre 2008 et 2011 et à 1,4% entre 2012 et 2015. Le secteur a enregistré des pertes d'emploi sur la période 2012-2014, avant de reprendre légèrement en 2015. Il constitue traditionnellement un refuge pour les jeunes sans diplôme. Toutefois, sa part s'est améliorée de 4,9% en moyenne entre 2000 et 2007 à 5,5% entre 2008 et 2014 dans le PIB et de 7,1% à 9,5% dans l'emploi. Le tertiaire est, lui-aussi, en mauvaise posture, mais reste le secteur moteur de la croissance. Une baisse des créations d'emplois particulièrement durant les deux dernières années a été enregistrée. Le secteur qui souffre plus est celui du tourisme qui continue de pâtir de l'atonie de l'activité des pays partenaires ; et du climat d'insécurité régional. Toutefois, poursuit M. Jouahri, la part du secteur tertiaire s'est améliorée de 51,3% entre 2000 et 2007 à 51,9% entre 2008 et 2014 dans le PIB et de 35,4% à 38,6% dans l'emploi. Autre point soulevé par M. Jouahri est que la croissance agricole reste fortement dépendante des conditions climatiques et donc volatile. En dépit de la baisse de sa part dans le PIB à environ 11% en 2014 au lieu de 15% en 1998, elle continue néanmoins de rythmer la croissance nationale. Sa part dans le volume d'emploi demeure toutefois importante, s'établissant à 39,9% en moyenne entre 2008 et 2014. En 2015, malgré une récolte céréalière record, le secteur a perdu 32 milles emplois, a-t-il affirmé. Côté marché de l'emploi, M. Jouahri a estimé que le chômage, après la baisse tendancielle entamée en 1999, s'est inscrit en hausse depuis 2012, passant de 8,9% en 2011 à 9,9% en 2014 et ce, malgré la baisse sensible du taux d'activité. En 2015, il a accusé globalement un léger recul à 9,7%, lié principalement à la baisse du taux d'activité. Il continue toutefois de s'aggraver parmi les jeunes et les diplômés. M. Jouahri fait conclure que l'économie nationale génère de moins en moins d'emplois. Le nombre de créations nettes est passé de 168 milles en moyenne entre 2001 et 2008, à 80 milles entre 2009 et 2012 et à 56 milles entre 2013 et 2015. Les services restent le premier pourvoyeur d'emplois mais le rythme de création s'essouffle. Les emplois dans ce secteur restent précaires, notamment dans le «commerce et réparation» et les «services personnels et domestiques». Afin de stabiliser le taux de chômage à son niveau de 2015, les créations nettes d'emplois devraient avoisiner 160 000 postes en moyenne annuelle. L'inflation demeure, de son côté, modérée et continue d'être rythmée par la variation des prix des produits alimentaires frais, qui représentent 12,1% du panier de l'IPC, et des prix des carburants, après la libéralisation de leurs prix. L'inflation sous-jacente continue d'osciller autour de 1%. Pour cette année, M. Jouahri prévoit à ce que l'inflation soit de 0,5%, en lien avec l'affaiblissement de la demande intérieure et la faible inflation importée. En 2017, elle devrait augmenter à 1,4%. Allègement du déficit budgétaire et hausse de l'endettement public S'agissant de finances publiques, le Wali de la banque centrale a indiqué que le déficit budgétaire poursuit son amélioration après le dérapage de 2012, favorisée essentiellement par deux facteurs. D'abord, le recul des cours des produits pétroliers qui s'est traduit par une baisse sensible de la charge de compensation, celle-ci est passée de 54,9 milliards de dirhams en 2012 à 14 milliards en 2015, soit de 6,5% du PIB en 2012 et 1,4% en 2015. Le second facteur concerne les entrées des dons en provenance des pays du CCG. Toutefois, l'endettement du Trésor s'est inscrit sur une tendance haussière passant de 45,4% du PIB en 2008 à 64 % en 2015 (dont 49,6% du PIB en dette intérieure et 14,4% en dette extérieure), un niveau élevé par rapport à la moyenne des pays ayant la même notation. Le déficit du compte courant s'est inscrit, de son côté, en nette atténuation depuis 2012, reflétant essentiellement l'allégement de la facture énergétique ; la performance à l'export de la construction automobile et, dans une moindre mesure, des ventes de phosphates ; et les entrées en dons des pays du CCG. Favorisés par la stabilité politique du pays, les IDE continuent d'affluer avec un montant annuel moyen de 38 milliards de dirhams depuis 2013, orientés principalement vers l'immobilier et l'industrie notamment les industries alimentaires. En 2016, le déficit budgétaire, toujours selon M. Jouahri, déficit devrait ressortir en ligne avec les objectifs du Gouvernement à 3,7% du PIB et à 3,1% du PIB en 2017, favorisé par le niveau bas des prix du pétrole et les entrées des dons CCG. Ces même facteurs, conjugués à la poursuite de la performance à l'export, notamment de l'automobile devraient se traduire par une atténuation du déficit du compte courant à 0,1% du PIB en 2016 et à 0,3% en 2017. Les réserves internationales nettes devraient se renforcer, pour assurer la couverture de 7 mois et 21 jours d'importations en 2016 et 8 mois et 15 jours en 2017. Autre élément incitant à l'optimisme est que l'encours des réserves de change continue de se renforcer. Il est passé de 4 mois d'importations en 2012 à 6 mois et 24 jours en 2015 et devrait continuer à s'améliorer à hauteur d'un mois de couverture additionnel par an. En conséquence, la situation de la liquidité bancaire s'est nettement améliorée passant d'un besoin de 40,6 milliards de dirhams en 2014 à 16,5 milliards en 2015, et devrait passer à une situation excédentaire à partir de cette année. Malgré la détente des taux débiteurs et l'amélioration de la liquidité bancaire, le crédit bancaire, notamment celui destiné aux entreprises, évolue à un rythme faible en lien avec le ralentissement des activités non agricoles ; le désendettement de certains grands groupes ; la baisse des financements liés aux arriérés de la caisse de compensation et aux importations de produits énergétiques ; et la montée des risques dans certaines branches. Néanmoins, M. Jouahri pronostique à ce que l'amélioration de la situation de la liquidité bancaire / Excédentaire se poursuit à partir du deuxième trimestre 2016. Il prévoit également une progression du crédit bancaire au secteur non financier limitée cette année mais, et même une accélération en 2017, reflétant l'amélioration de la demande intérieure. En somme, M. Jouahri prévoit un net ralentissement de l'activité économique en 2016, avec une croissance autour de 1%. Elle devrait reprendre pour avoisiner 3,9% en 2017, sous l'hypothèse d'une récolte céréalière moyenne de 70 millions de quintaux. Cette forte décélération en 2016 reflète une baisse de 13,8% de la valeur ajoutée agricole, compte tenu d'une production céréalière estimée à 38 millions de quintaux. La croissance non agricole devrait rester atone autour de 3%. Toujours est-il que le prix du pétrole, résultat d'une offre excédentaire, devrait poursuivre sa baisse entamée en 2014 et ne reprendrait qu'à partir de 2017. Ce qui baissera sensiblement la facture énergétique marocaine. Défis et perspectives Lors de cette rencontre, le Wali de Bank Al-Maghrib a affirmé, par ailleurs, que l'ouverture de l'économie marocaine, un choix stratégique opté depuis les années 80, a des opportunités à saisir, mais également des défis à relever. Il s'agit d'un choix récemment confirmé avec l'ambition d'ériger Casablanca en tant que hub financier régional, une ambition qui est en train de se concrétiser. Il occupe désormais la 44ème place selon l'indice de compétitivité des centres financiers mondiaux GFCI. Ce choix exige, cependant, le renforcement de la résilience de l'économie et sa capacité d'absorption des chocs. Pour ce, une des réformes cruciales reste la transition vers un régime de change plus flexible. Cette transition va de pair avec celle vers un cadre de politique monétaire de ciblage d'inflation et la définition d'une nouvelle ancre (inflation au lieu du taux de change). Abordant la transition vers la flexibilisation du change et le ciblage d'inflation, M. Jouahri a déclaré que cette flexibilisation, qui ne peut être que graduelle, nécessite un certain nombre de pré requis, dont des équilibres macro-économiques maîtrisés de façon permanente, en particulier budgétaire ; un niveau suffisant des réserves de change ; un secteur bancaire solide ; des opérateurs bien préparés en matière de gestion des risques de change ; et une stratégie de communication appropriée pour accompagner la transition, notamment afin de préparer les opérateurs, en particulier les entreprises exportatrices. « Au niveau de Bank Al-Maghrib, nous avons inscrit depuis 2013, la préparation à cette transition parmi les priorités de notre plan stratégique, à travers la mise en place d'un nouveau dispositif d'analyses et de prévisions inspiré des meilleures pratiques des banques centrales et adapté à cette transition, avec un modèle central de politique monétaire et plusieurs modèles satellites pour la prévision à moyen terme (horizon de 2 ans) ; et un modèle structurel pour l'analyse d'impact des politiques publiques », a-t-il dixit.