L'investissement constitue 30% de la demande intérieure dans notre pays. Il est au coeur des options stratégiques de son développement en raison de ses rapports avec la croissance et l'emploi et, dans un contexte d'une faiblesse structurelle de l'épargne, dans ses rapports avec la problématique de l'endettement a affirmé M Ahmed Lahlimi, dans son introduction de l'étude sur " le rendement du capital physique au Maroc ", au cours d'une rencontre organisée sur ce sujet. M. Lahlimi a considéré opportun de soulever quelques interrogations sur le niveau d'investissement requis, sur la pertinence de son affectation sectorielle et les conditions susceptibles d'améliorer son rendement et de l'inscrire dans une dynamique de financement endogène. Ces interrogations s'articulent autour de 3 approches analytiques : - L'approche de " l'efficacité marginale " du capital connue sous le nom de l'ICOR, c'est-à-dire le nombre de points supplémentaires de capital pour créer une unité supplémentaire de PIB ; - La deuxième approche relève de " la comptabilité de la croissance " qui se réfère au concept de l'intensité capitalistique, c'est-à-dire le stock de capital requis par actif occupé et de la productivité globale des facteurs pour évaluer la productivité du travail, c'est-à-dire la richesse nationale par actif ayant contribué à sa création ; - La troisième approche dite de " la croissance endogène " analyse les déterminants de la productivité globale des facteurs, en rapport avec le capital social et institutionnel du pays. M. Lahlimi a rappelé que les années 2000, caractérisées par une politique volontariste d'investissement, ont connu une nouvelle dynamique du processus d'accumulation du capital physique, en rupture avec les tendances passées. Le taux d'investissement passe de 24,8% du PIB en 1999 à 35,1% en 2010 et à 32% en 2014. Le stock de capital s'accroit de 6,2% par an, au lieu de 4,6% observé dans les années 80-90, pour représenter ainsi trois fois le PIB, et 3,4 sur les cinq dernières années de cette phase. Malgré cet effort d'accumulation du capital durant la décennie 2000, la croissance économique, bien qu'en nette amélioration par rapport aux années 80-90 dominées par le Programme d'Ajustement Structurel (PAS), n'a pas connu le même rythme d'évolution que l'investissement. Avec un taux moyen annuel de croissance de 4,4% par an durant cette période et celui de l'investissement de 6,2%, l'efficacité marginale s'est détériorée. Le coefficient marginal du capital (ICOR) se situe à prés de 7 unités en 2014. Toutefois, l'évaluation du rendement de l'investissement selon l'évolution de la productivité de l'économie fait ressortir une amélioration notable de la création de la richesse au cours des années 2000. Le PIB par actif occupé s'est accru de 3,4% par an, entre 2000 et 2014, au lieu de 1,7% au cours des années 60-70 et 1% durant la période du PAS. Cette amélioration de la productivité de l'économie a été réalisée sous l'effet de l'accroissement de l'intensité capitalistique, c'est-à-dire le renforcement du stock de capital disponible par actif occupé, d'une part et d'autre part, par la productivité globale des facteurs, c'est-à-dire par une meilleure combinaison des facteurs de production grâce à l'amélioration du cadre sociétal et institutionnel de la gestion économique du pays. L'intensité capitalistique s'est accrue de 5% par an au lieu de 2,1% au cours des années 80-90 après avoir été, rappelons-le, de 4,2% au cours des années 60-70. La productivité globale des facteurs de son côté, s'est accrue de 1,7% au lieu de 0,1% et 0,3% respectivement. Globalement, l'étude sur le rendement de l'investissement montre que le Maroc est appelé à poursuivre le processus d'accumulation de son capital physique. Aussi, ne faut-il jamais être tenté de résoudre les contraintes du financement de l'économie par la baisse de l'investissement au lieu d'une politique favorable à l'amélioration de l'épargne nationale. Quelque soit le rendement de l'investissement, l'amélioration de l'intensité capitalistique accroit la productivité du travail et, partant, la richesse nationale, l'emploi et les revenus. Par ailleurs, une analyse en benchmark du niveau d'accumulation du capital au Maroc montre qu'il n'a pas encore atteint le niveau observé dans d'autres pays comparables. L'intensité capitalistique de la Turquie représente deux fois celle du Maroc et celles de la Corée du Sud et de la Malaisie sont de 6,3 et 3,5 fois respectivement. Dans ce cadre, le Maroc est appelé à revisiter l'allocation sectorielle des investissements afin de valoriser les larges marges de croissance et d'emploi disponibles dans des secteurs où les taux d'investissement sont en-deçà de leur contribution à la valeur ajoutée nationale. Ce qui est de nature à engager le pays dans une réforme profonde de ses structures économiques et une ouverture sur un nouveau modèle de croissance donnant aujourd'hui des signes évidents d'essoufflement. A cet égard, l'analyse sectorielle du processus d'accumulation du capital physique montre que les services ont été le principal secteur qui a contribué à l'intensification des investissements durant les années 2000. Le taux d'investissement réalisé par ce secteur est passé de 36,8% par an en moyenne entre 1998 et 2007 à 45,6% par an entre 1998 et 2014, au moment où celui du secteur de l'industrie est resté quasi-constant, à près de 29,3% par an durant les deux périodes, alors que celui du secteur de l'agriculture a fléchi de 13% par an à 7,3% par an respectivement. Dans ces conditions, l'intensité capitalistique s'est améliorée de 5,2% par an durant la période 1998-2014 dans le secteur des services au lieu de 4,9% dans l'industrie et 1,2% dans l'agriculture. Toutefois, si l'amélioration de l'intensité capitalistique dans les services a été portée par l'accumulation effective du capital dans ce secteur, celle dans l'agriculture et l'industrie aurait été induite par les baisses d'emplois enregistrées dans ces secteurs. Le secteur agricole n'a cessé de perdre des postes d'emploi durant toute la période 1999-2014, de l'ordre de 13600 postes en moyenne annuelle et, particulièrement, de manière aigue entre 2008 et 2014, avec 23900 pertes d'emploi par an. De même, le secteur de l'industrie a perdu en moyenne 7500 postes d'emploi par an durant l'ensemble de la période et plus précisément de manière significative entre 2008 et 2014, avec 16500 pertes d'emploi par an. Le secteur des services a pu créer, en revanche, des opportunités d'emploi qui ont largement compensé les pertes observées au niveau de l'agriculture et de l'industrie. Ce secteur a créé et de manière soutenue 84500 postes d'emploi en moyenne annuelle entre 1999 et 2014. Cette restructuration de l'économe nationale est, du reste, aujourd'hui conforme à la priorité accordée par les pouvoirs publics aux programmes relatifs, en particulier, au « Maroc Vert », à l'accélération industrielle et aux énergies renouvelables. A cet égard, l'approche de la croissance endogène montre que la transformation des structures économiques au Maroc, confortée par les intensifications capitalistiques dans l'agriculture et l'industrie, tout en étant accompagnée par la poursuite de l'accumulation du capital humain et l'amélioration de la gouvernance, permettraient, à terme, des gains de croissance de plus de 3 points. Dans cette perspective, la croissance économique potentielle du Maroc devrait se situer globalement entre 7 et 8% en moyenne annuelle.