Le dernier discours prononcé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à l'occasion de la Fête du Trône, le 30 juillet 2015, avait accordé une attention toute particulière au dossier stratégique d'intérêt national des citoyennes et des citoyens marocains résidant à l'étranger. De par les diverses interpellations qu'il a suscités, et le suivi qui en est attendu, il mérite de larges débats sur les chaînes de télévision marocaines. C'est dans cet esprit que l'émission bimensuelle diffusée par la première chaîne de télévision publique, "Daïf Al Oula", avait programmé pour la soirée d'aujourd'hui un débat sur le thème des Marocains résidant à l'étranger, avec la participation de responsables institutionnels, à savoir le Conseil de la Communauté marocaine à l'étranger, le ministère chargé des MRE et des affaires de la migration, deux acteurs ( une femme et un homme) du tissu associatif MRE, et un chercheur en matière de migration, en l'occurrence l'auteur de ces lignes. Témoignage A ce titre, je peux témoigner que le débat était préparé avec minutie et professionnalisme au niveau des axes sur le dossier MRE, lié au dernier discours royal .L'animateur de l'émission, de par la maîtrise du sujet, acquise par une longue expérience médiatique en la matière en Belgique, étant par ailleurs soucieux de l'équilibre au niveau de la composition du plateau, avec la présence d'intervenants de sensibilités différentes, ainsi que de hauts responsables du secteur MRE, en particulier le secrétaire général du CCME. Ce qui était attendu, c'était d'avoir un débat d'idées franc, responsable, serein, constructif, avec le respect des personnes, une réelle participation au processus de maturation de la réflexion sur les questions en suspens et une confrontation des points de vue et des visions des un(e)s et des autres sur ce thème, qui concerne quelques cinq millions de nos compatriotes à l'étranger. Samedi matin15 août 2015, j'ai reçu la bande annonce de l'émission avec son thème, qui avait été diffusée à grande échelle. Or, en fin d'après midi, grande fut ma surprise d'apprendre par l'animateur de l'émission, qui s'est excusé à titre personnel, que l'émission tant préparée, avec l'apport constructif de la plupart des intervenants, était supprimée "en raison de l'agenda électoral". Interpellations de qui de droit Cette décision prise au plus haut niveau de l'institution, voir même du pôle télévisuel, pose une série de questions : Pourquoi supprimer une émission alors que l'annonce du débat est déjà faite ? Cette manière peu professionnelle et nullement déontologique de procéder, n'enlève-t-elle pas toute crédibilité aux annonces et programmes futurs d'"Al Oula" ? Le volet MRE du discours royal, n'a t-il pas sa place pour les plus hauts responsables de l'organe médiatique ? En procédant de la sorte, ces responsables ne contribuent-ils pas à la marginalisation des 5 millions de Marocains vivant hors des frontières nationales, alors que le Souverain leur accorde une sollicitude particulière ? Pourquoi, en collant sur ce point à l'agenda électoral, empêcher le débat sur la participation des MRE aux élections communales et régionales en cours, en partant notamment de la décision avancée, prise le 6 novembre 2005 par le Souverain, permettant aux nouvelles générations de MRE de s'inscrire sur les listes électorales, à l'intérieur du Maroc, à partir de critère facilitateurs, et de participer à toutes les élections à l'intérieur du pays ? Cette grande réforme politique ne mérite-t-elle pas, pour les censeurs de l'émission, d'être mise en exergue et voir comment améliorer la participation des MRE à ces élections communales et régionales qui devraient se dérouler très prochainement !? Peut-on parler des prochaines élections pour la Chambre des Conseillers, sans évoquer le fait que les MRE ont été également exclus de la représentation dans cette chambre ? En effet, lors de l'élaboration du projet de refonte de la Constitution par la commission concernée, certains membres du CCME, ou proches de ses options, n'ont-ils pas exercé un lobbying pour qu'il n'y ait pas un collège électoral MRE, qui élirait à son tour des membres à la seconde chambre, en ayant par exemple un CCME élu ? On devine aisément qui s'oppose jusqu'à présent à cette démarche démocratique pour constituer le futur CCME et qui refuse le débat contradictoire. Pourquoi empêcher le débat responsable et constructif sur les consulats, sur la manière de mieux faire participer les MRE aux instances consultatives ? Pourquoi s'opposer à une discussion sereine sur l'avenir du CCME et ce, en présence même du secrétaire général de l'institution, pour confronter les visions dans le cadre d'un débat démocratique ? Pourquoi interdire d'aborder la question de la participation politique et de la représentation parlementaire des MRE, alors qu'il y a l'article 17 de la constitution et que le discours du Trône 2015 a laissé la question ouverte ? Pourquoi sur toutes ces questions et tant d'autres, empêcher des citoyens de s'exprimer librement et de manière responsable? Protester contre ces agissements, ce n'est pas adopter une posture de victime, c'est revendiquer pleinement nos droits constitutionnels. La peur du débat public Pourquoi cette peur du débat public pluriel et transparent ? Pourquoi, en fin de compte, céder à la pression d'un lobby qui agit depuis des années, en dépit de la Constitution et des choix démocratiques au plus haut niveau de l'Etat, contre la participation politique des MRE !? Que pensent de tout cela, nos interlocuteurs avec qui on devait débattre ? Sont-ils disposés réellement à participer à une confrontation de vision ? Que pense par ailleurs le président du CNDH (et du CCME) de cette violation flagrante du droit à l'information et à la liberté d'expression ? Et si on interpelait également le ministère de la Communication ? Et la HACA, dans tout cela ? Bien sûr on est de simples citoyens et on ne peut la saisir que si on est, entre autres exigences, une ONG d'utilité publique ! Par ailleurs, les hauts responsables du pôle télévisuel, peuvent-ils encore, dans le cadre de l'ouverture démocratique du nouveau Règne, et de la Constitution rénovée de 2011, s'adonner en toute impunité à ce genre de pratiques ? En attendant, et de toutes nos forces : non, non et non à la censure pratiquée par "Al Oula" !!! *Universitaire à Rabat, chercheur spécialisé en migration