Plus terrifiant qu'une division blindée... plus dévastateur qu'une bombe thermonucléaire... La chanson marocaine ! Dès que Barbapapa lance son « hak lili nifi » (frottes-moi mon nez), le palais présidentiel d'Al Mouradia, à Alger, en est secoué de séismes... Et quand Zina Daoudia réclame « atini saki, bagha nmaki » (donnes-moi mon sac, je veux me maquiller), les galonnés algériens en ont des sueurs froides... Bouteflika le sait parce que Hatim Ammor le lui a dit, « mchiti fiha... » (tu es foutu...). Sur haute instruction du régime des caporaux, le peuple algérien est privé de chansons marocaines ! Interdiction a été signifiée aux stations radios du pays voisin de diffuser les dangereuses voix et paroles marocaines sur les ondes. Un média algérien a même requis l'ouverture d'une enquête au sujet de la « vague » de chansons marocaines qui aurait déferlée depuis quelques temps à l'est de l'Oued Isly, sans oser toutefois demander de quoi sont fabriquées les cordes du violon de Settati, secret que cherchent en vain à percer depuis des années les services secrets algériens, la fameuse DRS. Son patron, le Général Tawfik, aurait promis de jouer de la derbouka à l'espion qui réussirait cette prouesse. Avec tout le respect dû aux lecteurs, il est difficile de traiter une pareille information sans céder à la tentation, trop forte, de se moquer des dirigeants dont Dieu a frappé le pays voisin. Nos frères algériens méritent beaucoup mieux qu'une telle bande de clowns. Il faut vraiment croire qu'une grave crise de folie collective s'est emparée des décideurs algériens pour ordonner pareille idiotie. C'est, également, un aveu flagrant de faiblesse, une défaite culturelle autrement plus cinglante que celle des armes ou de la diplomatie. « Faîtes moi taire ces mélodies que l'on ne saurait entendre ». A l'inverse, de ce côté-ci de l'Oued Isly, les artistes algériens sont aussi bien accueillis que leurs œuvres appréciées, considérés comme des compatriotes maghrébins et nullement comme des étrangers. Quand les concerts de Cheb Bilal font déplacer et vibrer des masses énormes de jeunes marocains, la dernière des choses qui vient à l'esprit de ces derniers est la nationalité de ce chanteur de Raï. On dit même qu'il a plus de succès au Maroc qu'en Algérie. La traduction sociopolitique en est l'aptitude des Marocains à s'ouvrir sur la culture du voisin et même s'en imprégner pour enrichir leur propre culture, caractéristique historique des peuples sûrs de leurs identités et confiants en eux-mêmes. Maintenant, la mode au Royaume est même de s'abreuver de rythmes subsahariens, pour épancher une soif de connaissance de l'Autre qui nourrit, à son tour, l'ambition des Marocains d'élargir leurs horizons et dynamiser toutes sortes d'échanges mutuellement bénéfiques. La décision d'interdire les chansons marocaines sur les ondes radios algériennes tombe, en ces temps ou les nouvelles technologies de l'information ont fait de la planète un petit village, comme un nouveau rideau de fer entre le Maroc et l'Algérie, dont les frontières sont jusqu'à présent fermées, réminiscence d'un passé que l'humanité croyait à jamais révolu. C'est, par ailleurs, le signe d'une déchéance intellectuelle avancée de la sphère décisionnelle de l'appareil étatique algérien. Les dirigeants du pays voisin ont maintenant peur même de simples chansons, même pas politiquement engagées. Justes parce qu'elles sont marocaines... De Maghnia aux confins est de l'Algérie, Cheb Khaled restera seul à chanter « Ghamma ala ghemma » (tristesse sur tristesse), puisque nos voisins algériens ne vont plus pouvoir pousser avec Senhaji la complainte « Hada zahri, hada ma helbat lbagra » (telle est ma chance, c'est tout ce qu'a donné la traite de la vache) ! *Titre d'une chanson de la défunte auteur-compositeur-interprète française, Barbara