Depuis que la Cour pénale internationale est en fonction, en 2003, pas moins de huit pays africains sur la liste de cette instance internationale. Ironie du sort ou aveux d'impuissance des Etats du continent ? Toujours est-il que les transfèrements des dirigeants et autres personnalités africains devant la CPI ne font plus l'unanimité. Le retour du président soudanais, Omar el-Béchir, dans son pays, après le 25ème sommet de l'UA à Johannesburg, explique si besoin est que l'Afrique n'est plus prête à collaborer avec l'institution que dirige la Gambienne Fatou Bensouda. Analyse. Grotesque diront certains, impuissance rétorqueront d'autres quant à l'attitude de la Cour pénale internationale envers l'Afrique. En effet, cette instance internationale, qui a réclamé dimanche à l'Afrique du Sud l'arrestation du président soudanais Omar el-Béchir, a ouvert des enquêtes dans huit pays, tous africains, depuis son entrée en fonction en 2003. Incroyable mais vrai. On serait d'accord pour une fois avec les dirigeants africains quand ils renoncent à expédier leur paire ou leur citoyen à la CPI. Et l'Union africaine a raison d'émettre des critiques acerbes à l'encontre de la Cour, de surcroît dirigée par une africaine. C'est bien dit quand l'UA accuse la CPI de mener une sorte de chasse raciale. En l'espace de douze ans, la cour n'a fait qu'émettre des avis de transfèrements contre des responsables africains. Cela commence par le président Omar el-Béchir du Soudan. Outre le chef de l'Etat soudanais, cinq autres personnes sont poursuivies dans l'enquête menée au Darfour (ouest du Soudan), déchiré depuis 2003 par une guerre civile qui a fait plus de 300.000 morts, selon l'ONU. Omar el-Béchir fait l'objet de mandats d'arrêt datant de 2009 et 2010 pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide. Au Kénya, un autre pays africain dans le viseur de la CPI car ce sont le vice-président kényan William Ruto et le présentateur de radio Joshua Arap Sang qui sont jugés pour des crimes contre l'humanité pendant les violences post-électorales de 2007-2008. Même s'ils comparaissent libres au procès qui a commencé le 10 septembre. Pis, la CPI avait également prévu un procès contre le président Uhuru Kenyatta, mais le procureur a finalement abandonné les poursuites, faute de preuves suffisantes. Sur la liste de la CPI pour les mêmes raisons figure en bonne place la Côte d'Ivoire. Dans l'histoire du continent, c'est le premier ex-chef d'État qui a été remis à la CPI. Laurent Gbagbo, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est écroué à La Haye depuis le 30 novembre 2011. Son co-accusé, l'ex-chef de milice Charles Blé Goudé, est lui écroué depuis mars 2014. Leur procès pour des crimes contre l'humanité commis lors de violences post-électorales entre décembre 2010 et avril 2011 doit s'ouvrir le 10 novembre. Comme si cela ne suffisait pas, son épouse, Simone Gbagbo, fait également l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI. Elle a été condamnée à 20 ans de prison en Côte d'Ivoire. Heureusement que le pays refuse son transfèrement à La Haye. Dans le même sillage, Seif al-Islam, fils de l'ex-dirigeant Mouammar Kadhafi, fait l'objet d'un mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité commis pendant le conflit qui a provoqué la chute et la mort de son père en 2011. Bien que celui-ci est actuellement détenu en Libye. Depuis, la Libye et la CPI se disputent le droit de le juger. C'est le même cas en République démocratique du Congo où l'ex-chef de milice congolais Thomas Lubanga a été condamné à 14 ans de prison en 2012 pour avoir utilisé des enfants-soldats durant la guerre civile dans la province de l'Ituri (nord-est) en 2002 et 2003. Cependant, l'ex-chef de milice Mathieu Ngudjolo Chui avait été acquitté en décembre 2012 pour l'attaque d'un village en 2003. Un autre ancien chef de milice, Germain Katanga, a été condamné le 23 mai 2014 à 12 ans de prison pour les mêmes faits. Le chef rebelle Bosco Ntaganda est lui dans l'attente d'un procès pour des crimes commis par les Forces patriotiques de libération du Congo en 2002 et 2003 en Ituri. Il s'était livré à la CPI en avril 2013. Sans compter qu'un mandat d'arrêt a été émis en juillet 2012 contre le chef des rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda, Sylvestre Mudacumura, pour des crimes commis dans les Kivus (est) en 2009 et 2010. La République centrafricaine n'est pas épargnée puisque Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RDC, est dans l'attente d'un jugement pour des crimes commis par sa milice en Centrafrique (octobre 2002-mars 2003) où il était venu soutenir les troupes du président Ange-Félix Patassé, face à la rébellion de François Bozizé. Le procès s'est déroulé entre 2010 et 2014. Une deuxième enquête a été ouverte en septembre 2014, sur une liste interminable d'atrocités commises par des milices armées en Centrafrique depuis août 2012. A la longue liste de la CPI concernant le continent s'ajoute l'Ouganda. En effet, en 2005, la CPI a émis des mandats d'arrêt contre Joseph Kony et d'autres hauts commandants de la rébellion de l'Armée de résistance du seigneur (LRA), notamment pour enrôlement d'enfants-soldats et esclavage sexuel entre 2002 et 2004. L'un d'entre eux, Dominic Ongwen, s'est constitué prisonnier fin janvier et a été transféré à la CPI. Le dernier pays concerné par cette vague de transfèrements est le Mali où a Gambienne Fatou Bensouda, procureur de la CPI, a annoncé le 16 janvier 2013 avoir ouvert une enquête sur des crimes de guerre commis depuis janvier 2012 par divers groupes armés qui ont semé la terreur et infligé des souffrances à la population. Cependant, aucun mandat d'arrêt n'a été émis. Et ce n'est pas tout puisque des examens préliminaires, préalables à l'ouverture d'une éventuelle enquête, sont en cours au Nigeria, en Guinée, Afghanistan, Colombie, Géorgie, Honduras, Irak, Ukraine et Palestine. S'il est vrai que la justice en Afrique n'est pas totalement indépendante, souvent inféodée ou à la solde du pouvoir en place, et dépourvue de tous moyens, il est tout de même inadmissible que la CPI n'a de clients qu'en Afrique. Certes, on ne peut cautionner les crimes et autres barbaries commis ces personnes visées. Elles doivent répondre de leurs actes devant la juridiction compétente de leur pays respectif pour qu'elles servent de leçon aux générations d'aujourd'hui et de demain. Ce n'est pas à la CPI de rendre justice aux Africains mais aux Africains eux-mêmes.