Des mosquées «vertes» aux toits hérissés de panneaux solaires est un projet à 600 millions d'euros. Officiellement, il ambitionne de réduire de 40% la consommation d'énergie de 15.000 lieux de culte. Le projet paraît séduisant et une première expérience pilote a même été initiée à la mosquée Assouna, à Rabat, pour un coût de 500.000 dhs, entièrement financée par un don de l'agence de coopération internationale allemande pour le développement, la GIZ. Il est prévu, dans le cadre de ce projet, de généraliser l'installation de panneaux solaires et de lampes LED à 1.000 mosquées, dans une première étape, facturée 40 millions d'euros, dont un dixième provenant de la GIZ. A première vue, tout le monde y gagne, les Marocains devraient économiser 40% de la facture énergétique des mosquées et les Allemands vendre des milliers de panneaux solaires. Sauf que... l'écologiquement «correct» peut amener les responsables politiques à en commettre des vertes et des pas mûres, à en croire un expert conseil en management de l'énergie, le Dr Saïd Guemra, patron de Gemtech Monitoring, une société de référence. Dans un article publié dans la revue spécialisée «Chantiers du Maroc», dans son édition d'avril 2015, le Dr Guemra développe en effet un argumentaire qui fait appel à la fois aux preuves scientifiques et au plus simple bon sens. Intéressons-nous d'abord aux faits les plus évidents, qui semblent avoir échappé aux promoteurs du projet. A quel moment de la journée une mosquée consomme-t-elle le plus d'énergie ? Réponse : pour les prières du lever du soleil, Asobh, du coucher du soleil, Almaghreb, et celle d'Alichaâ. Ainsi, de 7 heures à 18 heure, la consommation d'énergie est presque nulle, relevés effectués pendant deux mois à la mosquée Hay Ryad, à Rabat, à l'appui. Par ailleurs, les mesures effectuées concernant la consommation quotidienne d'énergie d'une mosquée de taille importante, aussi bien par les départements publics impliqués dans le projet que par Dr Guemra concordent : quelque 90 kWh par jour. Une fois les panneaux solaires installés, le volume d'énergie économisé, soit effectivement 40 % sur toute une année, ne va pas excéder les 13.388 kWh. Et encore, cette économie de 40% sera due à l'utilisation de lampes LED qui ont la capacité de réduire jusqu'à 80% la consommation électrique des lampes classiques et non à l'installation des panneaux photovoltaïques dont l'énergie produite sera versée dans le réseau des sociétés et régies de distribution. C'est ce qui est actuellement fait de l'énergie produite par les panneaux solaires installés sur le toit de la mosquée Assouna. Transférée sur le réseau de La REDAL, cette dernière la revend aux consommateurs. C'est que les panneaux solaires, c'est connu, captent les rayons solaires, qu'ils convertissent en énergie électrique, ce qui n'est possible que pendant la journée... quand les mosquées n'en ont presque pas besoin ! A moins d'installer, au prix fort, sur les panneaux solaires allemands des batteries de stockage, dont ils ne sont pas dotés, lesdits panneaux ne valent pas l'investissement à souscrire, explique Dr Guemra pour qui, au prix d'un dirham le kWh, il faudrait, pour amortir l'investissement consenti, pas moins de 38 ans ! Du côté des allemands, un tel projet est, bien sûr, tout bénéfice. Pour un euro de don accordé tambour battant au Maroc, ils vont en encaisser, sans trop de publicité, 250 ! C'est pour le contribuable marocain, qui aura à verser 596 millions d'euros pour doter 15.000 mosquées marocaines de panneaux solaires, dont elles semblent ne pas avoir du tout besoin, que l'affaire n'est pas du tout intéressante, d'après les calculs de l'expert marocain. Ce serait comme consentir le coût de construction d'un grand barrage pour réguler le cours d'eau d'un ruisseau. Seul le constructeur du barrage serait gagnant. Ce projet cautionné par la société d'investissement énergétique (SIE), l'ADEREE et le ministère des Habous et des affaires islamiques et qui a tout l'air d'être foireux, nous rappelle en tout cas un autre projet qui avait inutilement englouti un colossal budget et qui avait aussi ciblé les mosquées. Que sont donc devenus les postes de télévision grand-écran installés, il y a quelques années, dans les mosquées marocaines ? Ils ont été acquis, au frais des contribuables marocains, à une époque où ces appareils ne valaient pas moins de 25.000 dhs pour être en fin de compte enlevés et jetés à l'arrière des mosquées. Il était alors question de diffuser des émissions de «sensibilisation islamique», une affaire qui a surtout sensibilisé les croyants sur le degré de mauvaise gestion des deniers publics. Il existe, au Maroc, quelques 45.000 mosquées, dont 10.000 gérées directement par le Ministère des Habous. Pour les vendeurs de gadgets technologiques, même s'ils sont chrétiens d'outre-Rhin, il y a de quoi s'écrier «Allah ou Akbar» face à un marché aussi juteux. Pour le Dr Guemra, son devoir de citoyen lui dicte de dénoncer la saignée avant que ne se produise l'hémorragie. Cela ne sert à rien de se lamenter quand le mal est fait. C'est également un message adressé à l'autre rive de la Méditerranée pour signifier que l'époque où l'on pouvait faire passer aux Marocains des vessies pour des lanternes est morte et enterrée. Des mosquées «vertes», c'est bien, mais à ce prix là, les contribuables marocains vont finir par voir rouge.