Le Caire et Doha multiplient ces dernières semaines les signes de détente, après un an et demi de crise diplomatique et alors que se tenait, hier jeudi, le procès en appel des trois reporters d'Al Jazeera emprisonnés. Après un an et demi de crise diplomatique, alimentée par une guerre médiatique aussi sournoise que destructrice, Le Caire et Doha multiplient les signes de rapprochement. Exemple, cette annonce, la semaine passée, de la fermeture de l'antenne égyptienne de la chaîne qatarie Al Jazeera Mobashar (Al Jazeera direct), accusée par le pouvoir égyptien de propagande pro-Frères Musulmans. La veille, Doha avait déjà changé de ton en exprimant son «soutien total» au Caire. Cette déclaration faisait suite à une rencontre, dans la capitale égyptienne, entre Abdel Fatah al-Sissi et un émissaire du Qatar- rencontre au terme de laquelle un communiqué du bureau de la présidence affirmait que l'Égypte «se réjouissait de la nouvelle ère mettant fin aux désaccords passés». La capitale égyptienne bruisse également de rumeurs sur un prochain face à face entre le chef d'État égyptien et l'émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani. «Après de longs mois de brouille, il y a une volonté partagée de créer un nouveau climat de détente», observe Mohamed Ezz el-Arab, chercheur au centre Al Ahram pour les études stratégiques et politiques. Des motivations politiques et économiques Les deux pays étaient en froid depuis la destitution par l'armée égyptienne, en juillet 2013, du président islamiste Mohamed Morsi, soutenu par Doha. Al Jazeera n'avait alors eu de cesse de dénoncer cette éviction tandis que les médias égyptiens accusaient le Qatar de soutenir la Confrérie, désignée comme «terroriste» par Le Caire, et d'accueillir sur son sol nombre de ses dirigeants. Signe du dégel en cours, la chaîne qatarie vient même d'adoucir son discours dans sa couverture de l'actualité égyptienne: al-Sissi y est désormais désigné comme «son excellence le président», alors qu'elle le qualifiait jusqu'ici de «premier président à être élu après le coup d'État». Selon Mohamed Ezz el-Arab, ce rapprochement, initié par l'Arabie saoudite, répond à «un souci partagé de mettre fin à une discorde qui empoisonne plus qu'elle ne rend service aux deux pays». Pour l'Égypte, observe-t-il, «il s'agit de limiter l'influence régionale des Frères Musulmans», dont le Qatar a déjà accepté d'expulser sept membres en septembre dernier. Les motivations sont également économiques, la détente pouvant favoriser de futurs investissements qataris, et politiques, Le Caire espérant, à terme, utiliser Doha comme possible médiateur dans un rapprochement entre l'Égypte et la Turquie, également accusée de soutenir les Frères Musulmans. Quant à Doha, son changement de politique lui permettra de sortir de son isolement régional et international. Un espoir pour les trois journalistes d'Al Jazeera emprisonnés Sa politique de soutien à la Confrérie et aux mouvements islamistes, à la suite du «printemps arabe» avait provoqué l'inquiétude des monarchies pétrolières du Golfe qui avaient alors retiré leurs ambassadeurs de Doha, à l'instar de l'Égypte. «Le Qatar avait parié sur une victoire politique des Frères. Or, les expériences égyptienne, tunisienne, et dans une certaine mesure libyenne et yéménite, ont prouvé le contraire. Aujourd'hui, Doha est en train de tirer les leçons de cet échec», remarque Mohamed Ezz el-Arab. Ce revirement de situation s'inscrit également dans la nouvelle approche de l'émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad el Thani, depuis le désistement du pouvoir de son père, en 2013. Un rapprochement de bon augure pour les trois reporters d'Al Jazeera, arrêtés il y a un an au Caire et condamnés à de lourdes peines de prison? C'est ce qu'espèrent leurs familles à la veille de leur procès en appel qui se tiendra ce jeudi 1er janvier dans la capitale égyptienne. «Deux options sont envisageables: soit le pardon présidentiel, soit l'extradition de deux des journalistes qui sont en possession de passeports étrangers, selon un récent décret présidentiel permettant la déportation de non-Égyptiens. L'une comme l'autre procédure pourraient prendre plusieurs mois, mais tout laisse à penser que ce problème finira par être résolu», estime le chercheur égyptien.