Par-delà les facteurs classiques liés à la demande et à l'offre, d'aucuns citent la «financiarisation» (le brut et les autres matières premières étant considérés par les investisseurs financiers comme une catégorie d'actifs distincte) et la «spéculation» comme contribuant à la chute du prix du baril. À notre avis, les données ne corroborent guère cette thèse. Selon le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie, les stocks de pétrole ont atteint leur niveau le plus élevé des deux dernières années, ce qui traduirait des anticipations d'augmentation des cours et non de baisse. L'effet de la demande risque-t-il d'être durable? Cela dépendra essentiellement de deux facteurs : Premièrement, se pose la question de savoir si l'OPEP, et l'Arabie saoudite en particulier, seront disposées à réduire leur production à l'avenir. Cela dépendra en partie à son tour des raisons qui ont motivé le changement de stratégie et de l'importance relative des facteurs géopolitiques et économiques dans cette décision. Il est une hypothèse selon laquelle, face aux augmentations soutenues de l'offre hors OPEP, l'Arabie saoudite juge trop coûteux d'être le producteur d'appoint et de maintenir un prix élevé. Si tel est le cas, et à moins que les difficultés liées à une compression des recettes ne poussent d'autres producteurs de l'OPEP et la Russie à convenir d'un partage plus généralisé des réductions, il est peu probable que la stratégie en vigueur change de sitôt. Selon une autre hypothèse, il s'agirait d'une tentative de l'OPEP de réduire les bénéfices, les investissements et, à terme, l'offre des producteurs hors OPEP, dont certains doivent assumer des coûts d'extraction nettement supérieurs à ceux des principaux producteurs de l'OPEP. Deuxièmement, se pose la question de savoir comment l'investissement et, partant, la production pétrolière réagiront à la baisse des cours. Selon certaines indications, les dépenses en capital dans la production pétrolière auraient commencé à chuter. D'après Rystad Energy, les dépenses d'investissement globales des principales compagnies pétrolières pour le troisième trimestre 2014 sont inférieures de 7 % à ce qu'elles étaient en 2013. Il ressort des projections de la même source que ces dépenses chuteront sensiblement jusqu'à la fin 2017. Pour le pétrole non conventionnel, comme le pétrole de schiste (qui représente désormais quelque 4 millions de barils sur une production journalière mondiale de 93 millions), le seuil de rentabilité — le prix à partir duquel l'extraction devient rentable — des principaux gisements de schiste des Etats-Unis (Bakken, Eagle Ford et Permian) se situe généralement en dessous de 60 dollars le baril. Aux prix actuels (environ 55 dollars le baril), selon les projections de Rystad Energy, le niveau de production de pétrole pourrait diminuer mais de façon modeste, de moins de 4 % en 2015. Cela étant, les taux de rendement seront nettement inférieurs et certaines sociétés qui ont un niveau d'endettement élevé et ne se sont pas couvertes contre une baisse des prix connaissent déjà des difficultés financières et ont dû réduire les dépenses d'investissement et procéder à des licenciements massifs. Autrement dit, toutes choses étant égales par ailleurs, l'effet dynamique de la baisse des cours devrait entraîner une diminution de l'offre par rapport au basculement initial et, partant, un redressement partiel des prix. C'est la lecture que l'on peut avoir des marchés à terme. Les incertitudes liées à ces prévisions tiennent à la fois à l'offre et à la demande. S'agissant de l'offre, par exemple, il ne faut pas sous-estimer les changements éventuels de stratégie de l'OPEP et les tensions géopolitiques en Libye, en Iraq, en Ukraine et en Russie. En ce qui concerne la demande, l'incertitude liée à l'activité économique et donc à la demande induite de pétrole demeure élevée. Globalement, une baisse des cours du pétrole attribuable à l'évolution de l'offre est une bonne chose pour l'économie mondiale, avec, à l'évidence, d'importants effets de distribution entre importateurs et exportateurs de pétrole. Pour quantifier l'impact de ces changements de l'offre il faut poser des hypothèses fondamentales sur leur ampleur et leur persistance probables. Ces hypothèses détermineront non seulement la trajectoire de l'ajustement, mais aussi la réaction initiale des consommateurs et des entreprises. Vu l'incertitude qui entoure l'importance relative des basculements de l'offre, actuels et futurs, nous présentons les résultats de deux simulations qui reflètent, à notre avis, un éventail raisonnable d'hypothèses (elles partent du principe que toutes choses sont égales par ailleurs; elles ne constituent pas des projections de l'économie mondiale et donc font abstraction des autres chocs que celle-ci pourrait subir). La première simulation suppose que le repli des cours constaté sur les marchés à terme s'explique à 60 % par l'offre. La seconde suppose le même pourcentage au départ mais prévoit aussi une inversion partielle du phénomène pour les raisons exposées plus haut, la contribution du basculement de l'offre à la baisse des prix s'amenuisant progressivement pour descendre jusqu'à zéro en 2019.