Le Ministère des Finances vient de donner un coup sévère à la crédibilité de la place financière de Casablanca. La décision de radier de la cotation boursière la Compagnie Générale Immobilière, CGI, a non seulement pris tout le microcosme financier marocain par surprise, mais elle a également suscité une véritable levée de boucliers des petits porteurs. Le Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières, CDVM, qui doit statuer incessamment sur la recevabilité de l'Offre publique de retrait (OPR) déposée par les deux principaux actionnaires, la CDG développement (76,1% du capital de la CGI) et la compagnie d'assurance RMA Watanya (8,5%), va-t-il prendre en considération les intérêts de ces petits porteurs ? C'est en juillet 2007 que la CGI a été introduite en bourse, au prix de 952 Dhs l'action. Les investisseurs qui ont acheté des actions de cette société propriété de l'Etat, en 2009, ont dû débourser 1950,2 Dhs par titre. Au moment de sa suspension de cotation à la Bourse de Casablanca, le 16 octobre, suite au scandale du projet de Madinat Badis, à Al Hoceïma, l'action ne valait que 725 Dhs, en recul de 7,8% par rapport au début de l'année et de 24% de son cours d'introduction. Le 22 octobre, le conseil d'administration de la CGI prend la décision inattendue, sur demande du Ministère de l'Economie et des finances, de radier la CGI de la cotation boursière. M. Mohamed Bousaïd, l'argentier du Royaume, a déclaré, lors d'une conférence de presse, que le changement de stratégie de la CGI rendait incompatible sa cotation en bourse. Cependant, on aura beau disserter sur la discordance dénoncée entre la mission publique de la CGI et celle de maximisation des profits au bénéfice de ses seuls souscripteurs, il n'en demeure pas moins que, selon plus d'un expert, cette résolution soudaine de sortir cette société de la bourse semble plutôt relever de l'acte précipité, irréfléchi et maladroit. La CGI, déjà lourdement endettée et qui vient de collecter 1,5 milliards de Dhs sous forme d'emprunt obligataire, il y a à peine 4 mois, aura de la peine à se relever d'un tel coup dur. Quand à la bourse de Casablanca, qui a déjà perdu ce mastodonte boursier que fût l'ONA-SNI, en 2010, et s'apprête prochainement à dire adieu à la société Mediaco Maroc, spécialisée dans la location du matériel de manutention, elle voit s'envoler, avec la CGI, sa 9ème plus grande capitalisation boursière. Avec une capitalisation de l'ordre de 59 milliards d'euros et un volume d'activités quotidien de 10 millions d'euros, la Bourse de Casablanca, la 2ème plus importante d'Afrique, éprouve bien des difficultés à s'imposer comme une place financière dynamique. Alors que d'énormes efforts sont déployés pour attirer des porteurs de capitaux étrangers vers la place financière de Casablanca, une décision telle celle du retrait obligatoire de la CGI de la cotation boursière est de nature à réduire lesdits efforts à néant. Sur les «petits» épargnants qui risquent de la sorte d'être lésés, combien sont des étrangers ? Avec des bêtises pareilles, les responsables politiques sont vraiment très mal placés pour se plaindre du fait que le Maroc ait été rétrogradé, l'année dernière, par le MSCI (Morgan Stanley Capital International) de marché émergent à marché frontière. Comme l'exige la loi, le gendarme de la bourse, le CDVM, auprès duquel on n'entend striduler les grillons quand éclatent des scandales boursiers, doit se prononcer aussi bien sur la recevabilité de la demande d'offre publique de rachat, faite par le conseil d'administration de la CGI, que sur le prix de ce rachat. Selon les estimations des experts financiers, à moins de 1900 Dhs l'action, les petits porteurs vont se faire laminer. La CGI, valorisée à plus de 13 milliards de Dhs et dont le flottant en bourse représente quelques 15% du capital, devrait pour sa part, débourser pas moins de 3,18 milliards de Dhs, à peu près, même si elle ne devait racheter le titre qu'au prix de 725 Dhs. Cette affaire de retrait obligatoire des titres de la CGI de la cotation en bourse pose clairement le problème de la responsabilité des décideurs politiques, qui ont réagi comme des paons effarouchés face au scandale de l'affaire Badis en prenant une décision inconsidérée, sans prendre conscience de scier ainsi la confiance des épargnants marocains et des investisseurs étrangers, en la place financière de Casablanca. Et d'étouffer, de la sorte, la vitalité de cette dernière. L'amateurisme politique, prenant des résolutions dans le cadre de la sphère financière, a exactement le même effet qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine.