Fou ! Dérangeant. Perturbateur, mégalomane et hautain. Mais génial ! Ce petit bout d'homme est grand par son talent. Il pète encore le feu sur les planches malgré une longue et riche carrière débutée il y a bientôt un demi-siècle avec Les Tortues puis Ophélie n'est pas morte. Ce que d'aucuns n'ont pu faire, hélas. J'avais vu, il y a quelques années, Amina Rizk, l'immense actrice égyptienne, à la veille de sa mort, jouer étendue sur un lit durant toute la représentation du «Lièvre noir» à Marseille, parce que incapable de se tenir debout. Quelle majesté ! Quelle leçon ! (...) Je suis persuadé que Nabyl Lahlou restera sur les planches jusqu'à la fin de ses jours en compagnie de la belle et non moins géniale Sophia Hadi, son épouse et actrice fétiche. Nabyl Lahlou aime le théâtre et il le dit par le moyen du théâtre. Nabyl Lahlou aime le théâtre et il en fait pour tendre un miroir à une société qui le boude et en fait un simple divertissement aux heures perdues pour y regarder ses tares et ses incohérences. Nabyl Lahlou continue de faire du théâtre parce que le théâtre, c'est sa passion. Le bel hommage que lui a rendu son neveu, Driss Ksikes, dans «Errances critiques» est des plus émouvants mais aussi des plus sincères. Ses nombreux coups de boutoir n'ont d'égale que sa «révolte chevillée au corps», exprimée dans ses fameuses lettres ouvertes ou dans ses interventions «loufoques et pugnaces» dans les halls de théâtre ou les salles de conférences. Son impertinence qui dit les choses sans gêne dans une «société conformiste où les êtres louvoient, se taisent ou deviennent l'ombre d'eux-mêmes» est flagrante parce que sincère. Ses colères ont l'air d'un réquisitoire d'un homme qui aime la vie parce qu'il aime le théâtre et croit en ses valeurs civilisationnelles. Sa dernière pièce «Miracle du 30 Février» n'est peut-être pas un chef-d'oeuvre dans le parcours théâtral de Nabyl Lahlou. Elle prêche par manque d'actualisation claire et sans ambages. Mais ce témoignage poignant de l'incapacité d'être dans une société où tout se désagrège, où le non-dit, longtemps porté en valeur sociétale, s'exprime sur scène à la clarté des projecteurs montre combien nous sommes loin de réaliser nos rêves et permettre à cette société de progresser dans la liberté et la folle envie de créer. A l'image de ce titre burlesque et impossible du 30 février qui n'arrivera jamais. Godot est passé par là ! Comme à son habitude, Nabyl Lahlou nous invite à «rire jaune», ce mot cher à Alfred Jarry, il expose les maux de la société de façon burlesque, fidèle à son maître Nicolaï Gogol, l'auteur fétiche de cet Alexis Ivanovitch qui ressemble à s'y confondre à l'auteur de cette pièce où il trône durant deux heures sans partage. Il est tout simplement génial ce grand petit homme.