Quelle est la nature exacte d'un téléfilm? Sa différence avec un film de cinéma est-elle réductible à une question de mise en scène où à l'essence même de ces produits les oppose-t-elle d'une manière irrémédiable? Le problème ne serait-il pas plutôt à situer au niveau du (télé) spectateur? Autant de questions à peu de réponses. Il faudrait faire l'expérience. On présenterait dans une salle de cinéma un téléfilm comme on le fait parfois lors des "premières" concernant un produit de télévision moyennant le matériel adéquat pour assurer une telle projection, mais sans préciser aux spectateurs qu'il s'agit d'une production télévisuelle. Pourraient-ils s'en rendre compte? Y a-t-il une différence de nature entre un téléfilm et une fiction cinématographique? Cette différence est-elle institutionnelle sachant qu'un film de cinéma bénéficie d'une sortie dans les salles dans un environnement médiatique à la différence du téléfilm? Pour dire la vérité, on ne peut répondre avec certitude à ces questions. Nombreux sont ceux qui ont essayé de définir le téléfilm sans vraiment y arriver. Par quelque bout où on aborde le problème, il peut nous entraîner très loin. On croit l'avoir saisi et voila qu'on découvre un morceau oublié, un contre-exemple et tout est à recommencer. S'enfoncer dans les eaux profondes voire à l'approximation. Si rien de définitif ne sort de cette radioscopie du téléfilm, on peut espérer qu'elle dessinera en filigrane les contours du film de cinéma. Autrefois, le téléfilm s'appelait "dramatique" selon Larousse. Retransmises en direct, les premières dramatiques s'apparentent plus au théâtre qu'au cinéma. On a peine à imaginer les problèmes techniques que ces réalisations supposaient. Alors qu'au cinéma la continuité est associée, à partir d'un tournage morcelé, par une recomposition au montage, elles essayaient de rendre cette multiplicité spatiale et temporelle au moyen d'un tournage continu. La réalisation impliquait donc cette part de risque qui intervient à l'opéra, au théâtre, au cirque. Une seule prise, au cours de laquelle les interprètes pouvaient se tromper, mais aussi tous ceux qui composaient l'équipe. Dans les années 60 au Maroc, lors du tournage de la dramatique "Attadhia" (Le sacrifice), Mohamed Khalfi meurt et réapparaît ensuite par erreur du cameraman devant la stupeur des téléspectateurs. Il devrait s'excuser publiquement de cette maladresse technique au prochain épisode. Il ne s'agissait donc pas de tenter les subtilités, mais de penser en termes d'efficacité, diction classique, mise en scène simple. Les souvenirs de tournage de cette époque évoquent davantage des exploits physiques que des recherches d'ordre esthétique. D'autant que le tournage à plusieurs caméras rend difficile un travail original sur l'image. La qualité d'une dramatique était jugée sur la qualité de son texte, comme au théâtre. Il ne faut jamais perdre de vue ces origines. Cette aube n'a eu qu'un temps. Très vite, les dramatiques ont été enregistrées. La télévision était alors en plein essor. Aujourd'hui, la télévision est considérée comme un moyen de transmission d'images et de sons. Les dramatiques s'appellent des téléfilms et sont souvent dépréciées. Tandis que certains prétendent que la plupart des films de cinéma ne sont rien d'autre que des téléfilms, d'autres considèrent que bon nombre de téléfilms étaient tout aussi intéressants que ce qui est présenté dans les salles de cinéma. On comprend que la spécificité du produit télévisuel est d'autant mal vécue par un réalisateur de téléfilm, qu'il pourrait considérer sa création comme proche d'un film de cinéma, c'est-à-dire comme un produit culturel, une oeuvre individualisée. Mais il est vain d'insister sur la distorsion, qui peut sembler paradoxale, entre le nombre de téléspectateurs ayant vu un téléfilm, qui est aussitôt oublié, et la renommée d'un film qui a eu une carrière confidentielle. Cette distorsion tient en fait aux caractéristiques du médium. Le téléfilm, pris dans le fonctionnement d'une culture de flot qu'est la télévision, est condamné tout simplement à l'oubli. A se mesurer à la taille du film de cinéma, la fiction télévisée apparaît comme une parente pauvre. Même si la production de téléfilm est ce qui coûte le plus cher parmi les créations, le budget d'un téléfilm est moult fois moins élevé que celui d'une fiction cinématographique. Puis, l'augmentation des programmes, la stagnation du parc télévisuel ne permettent pas de suivre l'inflation des coûts de production. Il faut avouer d'autre part que la réaction des téléspectateurs n'incite pas aux audaces. Les lettres d'indignation qu'on peut lire ici et là sont de ce point de vue édifiantes.