«Dès le départ, j'avais clairement dit que je ne m'attendais pas à ce que le PJD, qui est un parti qui n'a pas d'expérience gouvernementale et manque de compétences économiques, puisse réaliser des miracles économiques». C'est l'avis, exprimé dans un entretien publié récemment par un hebdomadaire spécialisé, du chef d'entreprise Karim Tazi, qui a compté parmi les soutiens affichés du mouvement 20 février dont la dynamique avait favorisé l'arrivée du PJD aux commandes. Celui qui reconnaît pourtant avoir voté PJD aux élections législatives, sans avoir foi pour autant en ses compétences économiques, développe, depuis quelques temps, un discours critique à l'encontre du chef du gouvernement et de son parti, l'entretien précité faisant suite à une charge verbale récente contre le ministre de la communication, Mustapha El Khalfi, lors d'une conférence à laquelle les deux hommes ont pris parti. La réaction de Abdelilah Benkirane a, d'ailleurs, été non moins violente, ayant également profité de la prise de parole lors d'une autre conférence pour déclarer que l'homme d'affaires et ex-actionnaire du magazine TelQuel «n'a pas le droit de parler en politique» ! Chassez le naturel islamiste, qui ne parvient toujours pas, de toute évidence, à intégrer le concept de liberté d'expression, et il revient au galop. Karim Tazi soutient avoir cru en l'engagement électoral du PJD à lutter contre la corruption, attribuant au couple bureaucratie-corruption la responsabilité principale du désinvestissement des secteurs productifs par les hommes d'affaires marocains et du transfert de leurs fonds vers des secteurs purement spéculatifs. Dans cet entretien, d'ailleurs titré «Les véritables raisons du désengagement des investisseurs marocains», l'ex-président de l'association des industriels du textile dresse un constat sans appel sur le bilan du gouvernement. Rappelant les conclusions du dernier rapport du Conseil Économique, Social et Environnemental concernant l'échec relatif dans la mise en œuvre des plans sectoriels destinés à booster l'économie marocaine et permettre une amélioration du bien être social, Karim Tazi précise que les indicateurs économiques et sociaux n'ont pas évolué, malgré les milliards dépensés. La situation des finances publiques s'est aggravée, à l'image de celle de la balance des paiements, et la compétitivité du Maroc a reculé. Quand au chômage des jeunes, c'est la présidente du FMI qui a dernièrement remué le couteau dans cette plaie. Pour l'homme d'affaires, les ministres du gouvernement feraient bien de coordonner leurs actions, au lieu de s'enfermer chacun dans son département, en tançant au passage les hauts cadres de l'administration, qui seraient atteints, selon lui, de paralysie totale, incapables de prendre des initiatives en l'absence de textes réglementaires. Membre de Transparency Maroc, l'homme d'affaires affirme que les militants anti-corruption sont unanimes à dénoncer la passivité du gouvernement Benkirane concernant l'application d'une stratégie de lutte contre la corruption. Ledit gouvernement qui ne tient, par ailleurs, nullement compte de leurs recommandations et ne s'enquiert, presque jamais, de leurs opinions à ce sujet. Plus grave encore pour l'homme d'affaires «politiquement engagé», le gouvernement a «envoyé des signaux très forts» d'un point de vue symbolique, des messages négatifs en terme de lutte contre «l'État profond», en «lâchant» des fonctionnaires du département des finances qui pensaient dénoncer une affaire de dilapidation publique. Karim Tazi, récemment brouillé avec le PJD après une longue amitié, se sent maintenant trahi et ne manque pas de souligner l'ingratitude de ses anciens amis. Il a offert matelas, couvertures et oreillers au profit d'un asile de vieillards, à la demande de la ministre pijidiste de la solidarité, et constate maintenant que les ministres dudit parti en ont plutôt profité pour somnoler. Avant de le traiter d'«ignorant en politique», sûrement encore mal réveillés. Grande est donc la déception de Karim Tazi, dont les consultations économiques téléphoniques, accordées «très régulièrement» et amicalement, au chef du gouvernement au cours des premiers mois de son mandat, ont, de toute évidence, dû être mal assimilées. Tazi a aussi fini par se rendre compte que «Benkirane et son gouvernement n'ont aucune stratégie ni économique, ni politique». Il est vrai que lorsqu'un parti «manque de compétences économiques», il lui est bien difficile de prétendre concevoir un programme destiné à promouvoir les secteurs productifs. Il en est du PJD comme du 20 février. Ça fait beaucoup de bruit quand c'est creux.