Khalid Tounsi, un autre plasticien autodidacte pareil à feu Miloud Labied comme Habbouli, El Bouhtouri, Laftouhi, Laichi ou d'autres . Les autodidactes de chez nous, ceux qui au-delà de tout intellect plastique, usent de leur propre regard des choses plastiques d'ici et d'ailleurs, ils débrident leurs sentiments naturellement aiguisés, car non illettrés contrairement à leurs proches aïeuls, les « naïfs « d'antan. Les plasticiens autodidactes avancent dans le tunnel de l'expression plastique au Maroc Bien que sous encadrés par une critique vaillante et génératrice, il ne s'attardent pas au seul métier de « peindre « et arrivent à surmonter les pièges de parcours, dont celui de plagier autrui, ou celui de la vente facile... Souvent reniés par leurs confrères de formation, les plasticiens autodidactes travaillent avec leur âme toute entière impliquée pour nous offrir une œuvre fraiche et différente. Tounsi, qui naquit dans l'ancienne cité de Rabat, enfant doué, mal orienté peut-être, choisit une sorte d'auto- formation quand il se mit à tous les essais techniques, dessin, aquarelle, gouache, peinture à l'huile. Les paysages et les chevaux alternent avec les marines et les intérieurs de villes impériales ... Le coucher du soleil et les murailles joueront- ils dans son œuvre murie ? On verra plus loin. Animateur d'atelier dans les maisons de jeunes, il touche aux techniques dites mixtes, travaux manuels, façonnage et décors de théâtre défilent, lui permettant une dextérité manuelle sûre et essentielle à tout plasticien. L›Art n›est-il pas l›union d›idées et de savoir -faire ? Tounsi se trouvera plongé dans le monde de l'expression plastique depuis sa nomination à la gestion de la galerie la Découverte en 2007. On le voit multipliant les expériences tout en se détachant des bambochades initiales. Le que faire cède, la place au qui être ? et la paysage pittoresque se transforme en un paysagisme autre, celui des matériaux colorés qui s›offrent à la lecture Au-delà de l›anecdote, Tounsi s'exprime au lieu de raconter. Cette tentation de casser le cocon de la peinture illustrative se traduit par une multiplication des tentatives. Il s'essaye à toutes les cuisines plastiques contemporaines, instinctivement, cuisines ou les plasticiens autodidactes qui pointent trouvent leur prédilections... Lui exploite les collages variés de matériaux divers, enduits épais, plâtre, cartons toiles. Attentif aux effets plastiques obtenus avec une sensibilité de plasticien, il les couvre, les racle, les frotte, et les dépeint. Il ne remplit pas les surfaces mais les dérange en y créant des vibrations visuelles extrêmes, dans ce dialogue / genèse, l'harmonie du tableau laisse émaner une spiritualité des ambivalences vitales de l'eau et de la terre. Des lieux assombris, sorte de gouffres grattés à volonté pour que le duel naissant entre lumière et ténèbres nous fasse part de ce nouveau monde plastique que Tounsi découvre et construit en débouchant sur des vérités plastiques essentielles. Ayant de plus en plus besoin d'espace, Tounsi opte pour des formats totémiques encore plus grand . des espaces que Tounsi exploite comme une surface /matrice et non plus comme une fenêtre ouverte sur la réalité visuelle, surface matrice où il vient déposer une vision intériorisée, se livrant aux possibilités expressives des matériaux et des outils. Une écriture plastique crue et vierge prend forme. L'artiste avance, des craintes plurielles au cœur lui procurent ses premiers gris bleus où l'ocre tente d'envahir l'œuvre. Tounsi laisse le tableau /surface lui offrir de nouvelles vision de la matière colorée et du bas- relief, l'outil participe pleinement quand il ne dessine plus mais peint pour devenir un simple intermédiaire où le corps entier vient couler ses joies et ses souffrances, voire toutes les strates de son être. Chez Tounsi, la seule mesure, celles des dosages et des choix plastiques et conceptuels reste son sens inné du plasticien. Non aliéné par la fameuse séparation factrice entre figuration et abstraction , Khalid Tounsi exploite le collage et la tache colorée pour semer son tableau de repères contre tout égarements, les marabouts, les murailles et les personnages primaires qui baignent dans ce coucher éternel du soleil . Est-ce une affaire d'identité? Peut-être, mais toute recherche sémantique dans la peinture de Tounsi est à déceler dans ses choix plastiques. Un monde plastique où le tout est régi par la frontalité /verticalité, un concept fort dans toute l'histoire de l'art passée et contemporaine, reliant le terrestre au céleste et reniant chez Tounsi toute illusion de la perspective. La verticalité / frontalité se trouve renforcée par la complémentarité des vides et des pleins, de sorte que l'endogène et l'exogène participent à la génération de la forme /signe. La surface du tableau devient un tout, un univers sans ciel ni sol, des relations se tissent entre les choses du haut et du bas dans une indifférence silencieuse. Des motifs ruraux, marabouts et kasbahs crénelées ne sont là que pour souligner la verticalité de la composition et perturber la vision du regardeur, des portes arquées qui ne mènent nulle part, l'intérieur se confondent. Des espaces clos, tatoués, cernés et texturés d'une couleur habitée de grains légers ou de traces de l'outil, contrastant avec un espace ouvert ,illimité et clair, une matrice où vient se greffer le marabout et les personnages qui se prosternent à la quête de la lumière et l'obscurité, cohabitant plastiquement et conceptuellement chez Khalid Tounsi , un champ riche à toute recherche future et prometteuse. *Artiste peintre plasticien, professeur de l'art, disparu récemment