Le Musée municipal du patrimoine amazigh d'Agadir abrite du 2 au 26 septembre 2009 les œuvres récentes de l'artiste plasticien et chercheur aguerri Khalid Bayi qui focalise sa démarche plastique plurielle sur les signes visuels de la calligraphie arabe, sa beauté intrinsèque et ses paradigmes esthétiques infinis. Il cherche à forger un nouveau langage pictural qui exploite les lettres comme signes fragmentés selon une composition éclairée dotée d'un mouvement rythmique interne. Son souci esthétique est de donner à la lettre arabe une liberté et une gestuelle chargée d'un symbolisme afférent au culte de la lumière fugace au sens spirituel du terme. Chantre de lettre - signe, Khalid Bayi part des textes fragmentés des illuminés comme archétype et corpus idéographiques pour explorer toutes les formes expressives liées à l'art du trait et à la symbolique de la polygraphie arabe.
Sur sa démarche plastique, Abderrahman Benhamza, critique d'art, a si bien écrit : « Artiste de lettre doublé d'un talentueux peintre, Khalid Bayi surpasse le simple tracé litteral, si fignolé soit-il par son geste à une création picturale complète. Très aspectuelle et convaincante, sa manière calligraphique émane d'un jeu de formes où le signe est appelé à recevoir la lumière et à la dégager. C'est une écriture esthétique qui mêle savoir et beauté, mémoire et séduction. Les textes introduits dans la composition sont un accompagnement visuel qui module la couleur et la musicalise.
Khalid Bayi vieille à obtenir une harmonie d'ensemble, qui doit être à même de plaire, en donnant à ses lettres légèreté et transparence, et à la couleur un espace d'accueil convenable, impliquant celle-ci dans le mouvement scriptural, de sorte à les faire s'imbriquer les unes dans l'autre. Usant de ces deux registres, lettre et couleur, Khalid Bayi arrive ainsi à finaliser un travail artistique né de sa seule sensibilité à n'en pas douter. ». La lettre comme jeu de l'imagination Plasticien avant tout, Khalid Bayi est un vrai créatif à plusieurs facettes (peinture, sculpture, calligraphie, décoration d'intérieur, décoration d'objet, design graphique, multimédia) et en quête d'idéal. Il est comme un oiseau de toutes les couleurs sur la branche, un artiste qui interroge les possibilités d'une écriture spatio-temporelle. Il théâtralise ses racines et sa mémoire culturelle plurielle et interpelle le monde contemporain dans une tentative de revisiter les codes créatifs de la communication, à l'expression artistique lyrique, mais combien poétique et convaincante : «La lettre pour moi est un jeu de l'imagination, un recours intuitif et un appel éloquent à la liberté. Elle est le commencement des commencements. C'est un art de manier avec un tel don les signes abstraits. J'essaie à ma manière de contribuer au rayonnement des arts plastiques au Maroc marqués par la diversité et l'adhésion aux valeurs universelles de l'art», confie-t-il à Libé. La lettre chez Khalid Bayi (vit et travaille à Casablanca en qualité de décorateur à 2M) est dépouillée jusqu'à l'essentiel dans l'immensité de l'espace pictural. Elle délivre un exceptionnel message de générosité et d'abondance. Ainsi la toile est fécondée par l'élément pur d'une polyphonie rythmique, car elle est au diapason des musiques du monde. Loin d'être un calligraphe au sens lexical du terme (le scribe qui a une belle écriture), Bayi dépasse les gestes de tracé de lettres selon les canons déterminés, en intériorisant le conseil donné par Paul Klee à ses étudiants : «L'homme n'est pas fini. Il faut rester en éveil, être ouvert, être devant la vie comme l'enfant qui se lève, un enfant de la création, du créateur». La toile déborde les frontières du champ calligraphique et met en relief l'esthétique et la sensibilité de la lettre.
Elle véhicule tout un complexe de significations indissolublement liées aux valeurs pictographiques propres à la culture visuelle. Merveilleux pouvoir de séduction, l'acte pictural chez Bayi est un champ authentique du désir. L'artiste poursuit avec passion la quête de la double identité, celle de plasticien et celle de Marocain. Pour lui, l'art doit aboutir à des conclusions hardiment nouvelles, voire révolutionnaires en un sens. La composition de la toile assure l'autonomie du motif peint par rapport à la surface picturale, ce qui permet à la lettre de signifier par soi, de témoigner de sa propre valeur, en bref de se constituer en langage plastique autonome. La lettre est totalement soumise à des principes abstraits.
Nous sommes donc en présence d'une structure non pas statique mais dynamique, une matrice génératrice de toute une combinaison de formes. Les éléments iconographiques ne peuvent être décrits comme des unités séparées, des entités discrètes. La peinture est la trace symbolique, la matérialisation des états d'âme. La fascination qu'exercent les lettres-signes dans toute son oeuvre et la dimension spirituelle de nombre de ses toiles ne permettent pas d'en douter. La plasticité de la lettre se veut un signe constitutif d'un langage pictural d'une surprenante modernité. Ce qui constitue en fin de compte l'originalité et la valeur intrinsèque. Au-delà de la faculté de la décoration, Bayi opte pour de nouvelles voies de la contemplation et donc la création esthétique. La caractéristique la plus constante de l'art est sa totale liberté.
Cette liberté souveraine fait que n'importe quel élément graphique peut être développé dans n'importe quelle direction, qu'il n'y a ni commencement ni fin, qu'il n'y a pas d'autre limite que la volonté de l'artiste. L'art laisse la liberté de l'interprétation et pose le problème crucial du rapport entre le visible et sa signification. Le tableau se veut un système de signes, toute une symbolique. A aucun moment, le récepteur averti n'est enfermé dans le carcan d'une vision unidimensionnelle. Dans ses oeuvres récentes, Bayi inscrit avec soin la possibilité d'ouvrir d'autres voies au-delà de l'option figée entre les deux pôles de la tradition et de la modernité, voies faites de modernité, celle de la peinture connotative.