Les cimaises de la Galerie de la Direction Régionale de la Culture abritent actuellement les œuvres récentes de l'artiste peintre Abdeslam Kabbaj (vit et travaille à Casablanca). Il s'agit d'un panel distingué et palpitant de tableaux qui se veulent une fragmentation de l'espace et une nouvelle approche plastique reposant sur les traces de la mémoire composées et décomposées selon ses états d'âme pour leur offrir une dimension poétique et une sensation scripturale. La trace dessinée par Kabbaj se présente comme une toile à part. Elle se décline en différents aspects que le plasticien métamorphose pour les assortir à la surface hôte composée d'un flux de couleurs ternes. Cette frontalité chromatique est accentuée par l'introduction de graphismes lyriques voire gestuels. Archéologue de formation, il figure parmi les artistes marocains qui ont su trouver le bon élément pour charmer les passionnés d'art et leur donner ainsi un aperçu sur l'art expressionniste. Kabbaj contemple le monde picturalement, en utilisant les signes et les symboles des différentes civilisations pour en faire un travail sur les sciences humaines au niveau du Bassin méditerranéen. Les toiles présentées dans cette exposition s'articulent autour du signe comme matière picturale centrale. Dans cette série qui cristallise les gribouillages et les traces mémorables, l'artiste donne à voir la mue du signe vers d'autres formes, le signe revêt l'apparence d'un monde labyrinthique. Kabbaj peint ou colle des signes de façon à configurer une trace à laquelle il donne de la transparence. Il est l'un des rares peintres au Maroc à avoir réussi une transition entre la peinture et l'art contemporain. Le regard que ce plasticien pose sur le signe est chargé d'un référent culturel et non folklorique et sa perception du signe renvoie à un rythme et à la notion de circularité de la vie et au droit à la mémoire. Dans ses toiles, le peintre utilise « la technique mixte » non seulement comme un procédé de travail pour présenter la trace sur son tableau mais également comme « un composant à part entière de la toile ». La couleur de la terre est omniprésente abondamment. Inspiré principalement de son terroir, il reflète la richesse de sa culture au pluriel par le moyen de la couleur et du signe. Ses toiles sont ainsi porteuses de messages profonds mais gardent leur beauté douce et discrète. Dans les récents travaux de l'artiste, se donnent à voir des échelles appuyées au néant, des esquifs incertains et des barbelés lugubres. On peut y lire une métaphore de l'époque, vulnérable, déboussolée, tourmentée et ensanglantée. Fasciné par la mémoire de la terre, Kabbaj marque son univers pictural par des couleurs spatio-temporelles, et des symboles remplis de la sensualité et du mysticisme propres à ses racines. Son travail artistique mêle sur toile ou sur papier peinture, collage, et les matières mixtes et sensuelles de la terre. On ne peut s'empêcher de découvrir avec un sentiment admiratif, cette capacité d'imagination créatrice de déployer des espaces de formes multiples et variées. A l'instar de peintre marocain Ahmed Cherkaoui, mort à 33 ans en 1967, Kabbaj a cette passion du signe et toute sa peinture -abstraite-est une lecture des plus beaux moments de son Maroc natal. Une réinterprétation subtile et sublime de cet art si ancien et si moderne qui a su imposer son originalité à l'intérieur du mouvement pictural de Paris. Son évolution dans le sillage de ce pionnier le conduit à une recherche plastique complexe qui pose le problème de l'identité des racines de l'art marocain. Grâce à son intérêt profond pour l'art du signe par rapport au contexte du patrimoine artistique national, Kabbaj conçoit une peinture profondément authentique. Sa création se caractérise par une quête lucide et passionnée. Elle tient une place prépondérante dans l'histoire de l'art contemporain au Maroc.