La disparition de Mohamed Mjid nous interpelle à propos de la mémoire sportive, à un moment où rien n'a encore été réglé à ce propos et où la sénilité collective produit l'ingratitude ou a contrario, la mythification au détriment d'une véritable rationalisation de l'histoire et de la garantie d'une alternance générationnelle. Hampaté Ba est toujours d'actualité quand il dit:»En Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle». SI MJID M'ÉTAIT COMPTÉ! Et on peut rajouter, toujours dans ce sens: «Un peuple qui n'a pas de mémoire est un peuple qui n'a pas d'avenir». Mais encore faut-il dissocier l'histoire du sport de tout ce qui a été entrepris jusqu'à présent, au niveau de l'approche historique qui peut se targuer d'avoir doté la discipline d'une école spécifiquement marocaine. Avec les adeptes de l'historicisme notamment et de l'histoire immédiate. Le sport ne figure pas dans les préoccupations de l'université marocaine et particulièrement de l'enseignement des sciences humaines, adaptées au sport, à son histoire, à son droit, à sa sociologie, à sa politologie etc. La disparition de Mohamed Mjid à l'âge de 97 ans suscite de nombreus interrogations, à propos d'un militant du Mouvement National et de la manière dont l'élite politique marocaine a perçu et géré le sport dans les années 30-40 et à la post-indépendance. Le WAC, dont on fête les 77 ans a servi de modèle, pour présenter un contre-projet et un moyen d'identification pour une jeunesse qui voulait, dans les années 30, battre le Protectorat sur un terrain de football! La symbolique était très forte et a coûté leur liberté voire leur vie à certains militants de l'époque, dont Zerktouni. LA GÉNÉRATION MOULAY AL HASSAN Mohamed Benjelloun Touimy appartient à cette génération, soutenu par un grand intellectuel du football, ouvert sur toutes les écoles footballistiques à l'époque Ba Lahcen Tounsi, alias Père Jego. Tous deux ont animé le Comité qui a fondé le WAC, avec sa section natation, qui sera suivie d'une section football, dans le cadre d'un club omnisports. L'astuce a été trouvée et mise en forme par un grand juriste le Père Jego, qui figurait dans le Comité en tant qu'enseignant de langues. Le WAC sera soutenu et ouvertement supporté par le Prince Héritier Moulay Al Hassan comme en témoignera Mohamed Benjelloun qui recevait Moulay Al Hassan dans sa maison sise dans l'Ancienne Médina à Casablanca. A ce propos, nous avions recueilli de nombreux témoignages de Driss Joumad de la Triplette et d'autres sportifs dont Mohamed Mjid. Chacun dispose d'un parcours surchargé d'évènements et a été un acteur direct de la «construction» de l'histoire sportive contemporaine du Maroc. Mjid a reçu sa première raquette en 1933 au Collège Moulay Youssef à Rabat des mains de Mohamed Benjelloun, qui y voyait le sportif modèle, gardien de but et basketteur, peu soucieux d'une formation normative. MISERE DE L'UNIVERSITÉ, UNIVERSITÉ DE LA MISÈRE...SPORTIVE Comme les jeunes de sa génération, il s'engagera très tôt dans le Mouvement National, portera le costume trois pièces mais en se coiffant du Tarbouch Watani. Il connaîtra tous les leaders du Parti de l'Istiqlal dont Si Allal Al Fassi qui donnera son nom à Asmaâ, sa fille. Mjid connaîtra la prison et sera incarcéré à plusieurs reprises, avant d'être transféré au bagne Aghbalou Akerdous où il fera la connaissance de nombreux militants, dont Mohamed Mokhtar Soussi, auteur du «Maâssoul» (Le miellé), oeuvre majeure du Prestigieux savant. Mokhtar Soussi a, également rédigé un récit sur cette prison sinistre, ses martyrs et ses pensionnaires. On ne peut parler du parcours de Mohamed Mjid, sans citer la compagne de sa vie, Pierrette surnommée «Madame couffin», car partout où Mjid était incarcéré son épouse était là pour apporter le couffin contenant nourriture, journaux et livres. D'ailleurs, même après l'Indépendance, Pierrette continuera son oeuvre caritative, en se mettant au service des orphelins et des démunis en assurant le couffin des «sans famille», les enfants qu'elle parraine. MJID, MILITANT POLITIQUE, SPORTIF ET ASSOCIATIF Le sport devrait être valorisé à travers les personnalités qui en ont assuré «Les prolégomènes» pour paraphraser Ibn Khaldun. Jusqu'à présent, seul Youcef Fates a osé un «Sport et politique en Algérie» (chez L'Harmattan). Chez nous, la relation sport et politique relève encore du non-dit ou est livrée à un discours simpliste sans référents historiques. Comme par exemple le fait que beaucoup de personnalités politiques ont marqué le football. Abdelhafid Kadiri en fait partie, en tant qu'ancien joueur du FUS, Abderrahmane Youssoufi, fondateur du TAS aux côtés de Larbi Zaouli et où Abderrazak Afilal a joué un rôle majeur, Mahjoub Benseddik au Raja etc. On vous épargne le nombre de personnalités du «Makhzen et du football», faute d'approche rigoureuse basée sur des enquêtes de terrain. Mais l'élite technocratique s'est investie dans le sport, sans souffrir de grande opposition. A ce propos Mohamed Mjid a tenu et refusé la mainmise administrative sur le tennis. Il a été servi par le destin, au moment où on voulait sa peau et où on voulait le décapiter. Grâce au Grand Prix Hassan II et aux Trois Mousquetaires, Karim Alami, Hicham Arazi et Younes El Aynaoui, Mjid est devenu «intouchable» et a vu son parcours valorisé. Il y a des fois où l'histoire vous sourit en tant que sportif. Rarement en tant que politique!