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Entretien avec Fouzia Assouli, Présidente de la Fédération de la Ligue démocratique des droits des femmes : des millions de femmes restent victimes de violence sans aucune protection
Décidément, ni le projet de loi sur la violence à l'égard des femmes ni la fameuse autorité ne sont pour le futur proche. Les femmes battantes, impliquées dans les dossiers des violences ont été écartées de cette commission. Zéro participation de la société civile dans ces projets, ce qui ne les a pas conduite à baisser les bras. Statistiques à l'appui, ces résistances les ont rendues encore plus fortes, s'alliant pour l'égalité et les droits des femmes et pour la construction d'une société homogène et solide. L'Opinion : La commission sur le projet de loi sur la violence à l'encontre des femmes a été constituée en 2013, sans prendre en considération les revendications de la société civile. Où en est-elle ? Mme Assouli : On a considéré que c'était positif de constituer une commission qui va répondre aux revendications des associations des femmes pour que le projet de loi soit en conformité avec les normes concernant la pénalisation, la protection des femmes et des enfants victimes et aussi la réparation. Malheureusement, jusqu'à aujourd'hui, cette commission censée être formée par le chef du gouvernement n'a tenu aucune réunion. On a encore pris plus de retard sur ce projet de loi sur la violence, attendu depuis 12 ans et prévu enfin pour fin 2013, qui protège contre la violence et apporte de l'aide aux femmes victimes. Actuellement, des millions de femmes restent victimes de violence sans aucune protection, ce qui est catastrophique. Déjà quand Yasmina Baddou était Secrétaire d'Etat chargée de la Famille, de l'Enfance et des Personnes handicapées, un projet de loi est resté « confisqué » par le Secrétariat Général du Gouvernement, pareil au mandat ministériel de Nouzha Skalli. Avec l'actuelle ministre, on a vu le projet de loi passer par le SGG, ce qui est déjà un pas, mais qui a écarté la société civile, particulièrement les associations des femmes qui agissent en matière de lutte contre la violence et qui ont acquis une expertise de qualité. Malgré tout, on a dit qu'il serait positif d'amender le projet de façon à ce qu'il réponde au moins à un critère en matière de lutte contre les violences à l'encontre des femmes. On attend toujours. L'Opinion : Et pour ce qui est de la fameuse autorité ? Mme Assouli : C'est la catastrophe. Tant d'années de lutte pour arriver, en fin de compte, à une Constitution qui conforte l'égalité entre hommes et femmes et qui réserve un article 19 parlant de l'égalité au niveau des droits civils, politiques, sociaux, économiques, culturels et même environnementaux, et en même temps prévoit une autorité pour la parité et la lutte contre les violences dans son article 175. Cette autorité est normalement censée suivre de près les politiques publiques, faire l'analyse et les recommandations dans le sens de pallier aux discriminations subies par les femmes à tous les plans et au projet de loi qui a pris tellement de retard. La commission de l'autorité a été constituée sans la participation de la société civile, or la Constitution de 2011 reconnait le droit de la société civile non pas en tant qu'acteur mais en tant que partie composante qui doit être intégrée dans le processus d'élaboration des politiques publiques. Sachant que la fédération, dans le cadre du printemps féministe pour l'égalité, a présenté un mémorandum avec les conceptions, les objectifs, la mission, le fonctionnement, les composantes, la liaison entre le national, le régional et le local et même un projet de proposition de loi. Cette autorité est nécessaire dans la mesure où l'on enregistre un recul à tous les niveaux. Les indicateurs montrent que le mariage des mineures augmente de plus en plus dépassant 12%, le taux de la population féminine active est en chute passant de 29 à 28%, le taux de chômage au sein des femmes est en hausse atteignant plus de 28% de femmes chômeurs, quant aux femmes diplômées, c'est encore pire. Le taux de précarité des femmes est en hausse et le travail domestique qui représentait 47 % est maintenant de 57%. Pour ce qui est du mariage précoce, les chiffres sont alarmants, on est à plus de 12%, sans compter les mariages contactés par la Fatiha. On est à plus de 40.000 mariages sans compter celle qui passent par la voie de l'article 16 sur la reconnaissance du mariage. Les indicateurs sont alarmants à tous les niveaux, sur le plan économique, social, juridique, civil. Sur le plan politique, la question de la représentativité des femmes dans les postes de prise de décision et dans les fonctions électives est un véritable problème. Au sein du corps administratif à majorité féminine, on est loin de 10% dans les postes de responsabilité. Au niveau des communales, parmi les 12 % des femmes élues, plusieurs sont soumises à des violences verbales et physiques. L'Opinion : Ces chiffres ne font qu'engouffrer l'indice de développement du pays ? Mme Assouli : Effectivement, notre pays est classé 129ème sur 135 pays par le Forum économique mondial, or le Maroc a constitutionnalisé l'égalité, prohibé la discrimination et s'est engagé à respecter les droits fondamentaux et les droits universels. Même l'accès à l'information est actuellement « muré ». Si auparavant, avant la Constitution, le ministère de la Justice rendait publics ses rapports tous les ans depuis l'application du code de la famille, en 2012 et 2013 aucun rapport n'a été publié. L'Opinion : Avez-vous élaboré votre projet de loi sur la violence ? Mme Assouli : La Fédération démocratique des droits des femmes a présenté plusieurs projets et propositions. La fédération, constituée en réseau, détient presque tous les centres d'écoute implantés dans 15 régions et aussi un centre d'hébergement pour les femmes victimes de violence. A travers l'analyse de la situation dans ces centres, on a appelé à la mise en place d'une loi intégrale, une loi cadre contre la violence à l'encontre des femmes, qui a trait à l'impunité. On a remarqué, et les statistiques l'ont confirmé, que la majorité des actes de violences restent impunis. Seulement 1% des dossiers aboutissent et 27% seulement des femmes portent plainte et enfin de compte 1% qui reste. Les dégâts sont énormes puisque dans la majorité des cas, c'est l'impunité totale qui règne. D'un autre côté, qu'est ce qu'on offre aux victimes de violence ? L'aide psychologique, sociale, économique, la prise en charge des soins, la prise en charge de l'hébergement ? La sonnette d'alarme est tirée à travers l'affaire de la femme d'Agadir. Expulsée du domicile conjugal, elle a porté plainte au poste de police, craignant que son mari ne l'assassine. Renvoyée chez elle, on la retrouve le lendemain égorgée. Que fait-on pour protéger les femmes ? Rien, elle n'a ni protection ni aide. Au niveau de la prévention, les associations font de la sensibilisation, l'éducation à la lutte contre les discriminations, on inculque l'égalité et le respect de la différence, la médiation pour trancher sur les conflits. Et on a présenté une loi cadre qui répond aux normes internationales, encore une fois non en considération. L'Opinion : Le thème de l'ONU est « L'égalité pour les femmes, c'est le progrès pour toutes et tous », qu'en est-il au Maroc dans ce nouveau cadre constitutionnel ? Mme Assouli : Malheureusement pour l'ONU et pour le Maroc, avec le gouvernement actuel, on dirait qu'il n'est pas concerné, c'est l'indifférence totale. On est classé par le forum économique mondial à la 129ème place ; le Conseil Economique et Social a montré que les discriminations et les inégalités ne constituent pas uniquement une atteinte aux droits des femmes mais également au développement du pays. Ce dernier perd à cause des inégalités. Mais quelle politique a été faite par le Gouvernement pour contrer ces discriminations et les violences à l'encontre des femmes ? Les chiffres sont éloquents. C'est pour cette raison qu'on a essayé tous les moyens, on a fait des plaidoyers, des propositions, des protestations en tant qu'associations des femmes. Seulement, on est devant un blocage politique, de l'indifférence et de l'ignorance de la société civile mais aussi des discriminations, des injustices envers la moitié de la société. C'est pourquoi on a appelé à la mise en place d'une alliance civile pour la mise en œuvre de l'article 19, mais aussi à réfléchir à d'autres actions : marches, sit-in pour faire bouger ce gouvernement. Une manière de regrouper les associations des femmes, les syndicats, les journalistes, les artistes..., car tout le monde est concerné pour débloquer cette situation d'indifférence.