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Le Centre d'Etudes des Temps Modernes édite les écrits politiques de Rousseau traduits en arabe : « Une démarche première du genre dans le monde arabe » souligne Belghiti, rédacteur en chef de Al Azmina al Hadita
Le Centre d'Etudes des Temps Modernes (CETM) qui édite, depuis 2008, la revue de philosophie bilingue « Al Azmina Al-Haditha », a tenu une conférence de presse à Casablanca pour présenter le premier tome des écrits politiques de Jean-Jacques Rousseau traduits en arabe dans « une démarche première du genre dans le monde arabe et même au niveau international dans la mesure où les écrits politiques de Rousseau sont rassemblés en œuvres complètes en quatre volumes » souligne Belghiti rédacteur en chef de Al Azmina Al Hadita. Ce premier volume paru comporte les textes en édition bilingue arabe/français : « Du Contrat social », « Extrait de l'Emile », « Principe du droit de la guerre », « Extrait du projet de paix perpétuelle de Monsieur l'Abbé de Saint-Pierre » et « Jugement sur la paix perpétuelle ». Réalisé par un groupe de traducteurs sous la houlette de l'historien et traducteur Abdesselam Cheddadi, ce travail est parrainé et édité par le CETM. Il a reçu aussi le soutien du Service de coopération de l'Ambassade de France ce qui a permis notamment de faire venir les meilleurs spécialistes de Rousseau, Bruno Bernardi et Alain Grosrichard afin de donner « meilleures garanties » par leur expertise à cette grande entreprise devait préciser Cheddadi. La rencontre a été animée par le staff de la revue Al-Azmina Al-Hadith, Ismail Alaoui et Abdallah Belghiti Alaoui, respectivement directeur responsable et rédacteur en chef ainsi que Cheddadi traducteur de la totalité des œuvres de ce premier tome. Le ton est donné d'emblée sur l'importance du choix des écrits politiques de Rousseau comme textes fondateurs de toute philosophie politique et sur la pertinence de la traduction en langue arabe aujourd'hui du « Contrat social » tout en mettant l'accent sur le retard subi dans ce domaine en langue arabe. C'est à l'époque de la Nahda que parut, au Caire, la première traduction en arabe du « Contrat social » en 1837 par Tahtawi dans le cadre du Qalam al Tarjama fondé par Mohamed Ali. Comme le rappelle Cheddadi « peut-être la première traduction en langue étrangère hors de l'Europe... ». Ce fut une grande avancée à l'époque pour l'arabe. Les Japonais ne traduiront le même texte que quarante années plus tard en 1878 et les Chinois en 1898. Mais si l'arabe avait pris une fois de l'avance, les Japonais le rattrapent et le dépassent pour traduire la grande majorité des œuvres de Rousseau, même les œuvres dites mineures avec en plus 24 traductions différentes du « Contrat social », 30 pour « Emile », 29 pour « Les Confessions » sans oublier plus de 7 anthologies des œuvres complètes de 1978 à 1984. Les études sur Rousseau au Japon ont atteint jusqu'en 1984 pas moins de 1570 alors que dans tout le monde arabe jusqu'en 2010 il n'y en a eu qu'une vingtaine. Cheddadi affirme que le choix de la traduction des œuvres complètes des écrits politiques de Rousseau s'explique par le fait que Rousseau est à l'origine de toute pensée politique. « Son œuvre jusqu'à aujourd'hui est à la base de toute pensée politique, nous vivons aujourd'hui dans un cadre qu'on appelle la démocratie et ce cadre a trois ou quatre concepts fondamentaux qui ont été élaborés de manière radicale et fondamentale par Rousseau » Parlant de la question de la traduction Cheddadi rappelle que rien d'important n'a été traduit de la pensée politique occidentale dans le monde arabe après les indépendances. «Rien n'a été réalisé en termes de traductions exception faite de quelques programmes et quelques tentatives ici ou là, mais rien de systématique ». Autrement dit la traduction vers l'arabe n'a jamais été considérée comme quelque chose de stratégique pour l'évolution de la société. « Encore maintenant on ne prend pas en considération l'évolution interne de la culture qui exige que les choses se fassent dans la langue du pays et qu'à l'intérieur de cette langue il y ait une symbiose avec la pensée, ce qui permet une assimilation très forte interne et surtout l'acquisition de l'appareil conceptuel qu'il s'agisse des sciences humaines ou des sciences exactes » D'après Cheddadi les périodes de l'impérialisme au XIXème siècle et de la colonisation ont laissé des traces pour les pays dominés avec la séparation de la modernité en deux aspects celui qui concerne la modernité matérielle et celui qui couvre l'aspect culturel alors que la modernité est à l'origine un tout indivisible. L'aspect matériel passe par le commerce ce qui permet la transmission de produits manufacturés, produits de consommation. Par contre pour l'aspect culturel il y a eu des obstacles avec la création, au moment de la colonisation, du courant orientaliste qui regroupe un ensemble d'informations et d'interprétations sur l'autre dominé. L'ensemble de ces données supplante constamment les informations et interprétations que les pays dominés peuvent fournir par eux-mêmes, sur eux-mêmes. Depuis le XIXème siècle à aujourd'hui les pays non-européens vivent leur identité à travers l'image que l'Europe s'est faite d'eux. « Quand on regarde aujourd'hui les statistiques qu'est-ce qui passe, de tout ce qui est écrit dans le monde arabe par exemple, vers le français ? Les statistiques réalisées récemment parlent de 1,6% des écrits en arabes qui sont traduits en français. Par contre les traductions d'œuvres de sciences humaines on n'en a pas répertorié une seule œuvre ! Ce qui veut dire que le monde occidental continue à voir le monde arabe à travers ce qu'il produit lui-même. On peut rétorquer que le monde arabe n'a rien produit, en sciences humaines, qui mérite d'être traduit en langues européennes ? C'est peut-être en partie vrai. Mais dans le fond il y a un obstacle, il y a des mécanismes qui ont conduit à cette situation, des mécanismes historiques ». Cheddadi poursuit que pendant la période coloniale les Français ne pouvaient gouverner sans une connaissance précise de la société, des réalités sociales, religieuses, des coutumes etc. De ce fait ils ont formé une véritable école d'ethnologie, d'études économiques, sociales et c'est avec ces moyens qu'ils ont gouverné. « Ce travail de recherche ils l'ont réalisé pour leur propre compte, ils n'ont jamais développé quelque chose qui concerne véritablement les Marocains et que les Marocains peuvent utiliser. Par contre la politique globale menée c'était de dire : « Vous, vous êtes ce que vous êtes, vous avez vos traditions, votre culture, c'est très bien, vous n'avez qu'à garder cela ». C'est soi-disant « le respect de la culture de l'autre », politique théorisée par Lyautey. Donc nous avons été pendant la période de la colonisation pratiquement interdits de nous penser nous-mêmes en termes modernes ». Le problème essentiel reste toutefois qu'après l'indépendance au Maroc et dans d'autres pays arabes, il n'y a pas eu de programmes de traduction systématique vers la langue arabe comme dit plus haut. Donc pas d'assimilation des concepts modernes, pas d'appropriation des ces concepts. « Le plus important aujourd'hui c'est que les pouvoirs publics, les élites marocaines doivent comprendre que nous ne pouvons pas avancer si l'on n'a pas chez nous une culture politique par le biais de la traduction en relation avec ce qui se fait dans le monde, du dix-septième siècle jusqu'à aujourd'hui. Si nous ne faisons pas ça, on travaille à l'aveugle, on utilise des cadres, des mots sans connaître ce qu'il ya derrière... » Le Centre des Temps Modernes, éditeur des traductions en arabe œuvres de Rousseau est initiateur de la revue bilingue Al-Azmina Al-Hadita (publication philosophique) fondée en 2008 avec un premier numéro traitant du thème de « la pluralité culturelle et la citoyenneté partagée ». Ce numéro fut suivi par d'autres : le deuxième qui traite du thème « Croyance et violence », le troisième et quatrième numéro « tradition et modernité ». Après « le Printemps arabe » l'avant dernier numéro est consacré à la question de liberté. Le dernier numéro qui est actuellement dans les kiosques traite du thème « Religion et politique ». Abdallah Belghiti Alaoui précise que c'est une revue dotée d'un comité de rédaction regroupant des philosophes chercheurs marocains aussi bien qu'européens. « C'est une revue qui n'a pas un caractère technique parce que comme on peut le constater les sujets traités font plus ou moins partie du débat sociétal en cours sur la scène nationale ou à l'échelle du monde arabe, c'est une publication qui embrasse les questionnements majeurs qui nous préoccupent aujourd'hui ».