Les thèmes abordés dans ce numéro sont d'une actualité brûlante dans le monde où nous vivons, aujourd'hui en proie à une violence jamais égalée, la globalisation aidant. La violence, sous toutes ses formes, est aussi vieille que l'homme et a généré tant de malheurs humains, de convulsions politico-religieuses. Elle continue à rattraper l'homme qui n'a pas su s'en prévenir à temps, malgré le siècle des lumières et son apport à la philosophie, privilégiant la primauté de l'esprit scientifique et critique sur la providence, et soutenant les diverses désacralisations. Chez nous, comme ailleurs dans le monde, le lien entre violence et religion reste d'actualité. Sans remonter loin dans l'histoire, les exemples de violences religieuses ont cours dans bien des pays. Souvent les feux de l'actualité sont braqués sur des conflits et confrontations où des chrétiens, des musulmans, des juifs ou encore des hindous. Le Maroc, depuis les attentats terroristes de Casablanca du 16 mai 2003, vit le phénomène. Au quotidien, des actes de violence, souvent, verbale heureusement, ont cours. Des subterfuges sont trouvés pour justifier l'intégrisme religieux, prétendant agir au nom de Dieu.. Pourtant, les proxélysmes, y compris les plus irréductibles, savent pertinemment qu'il ne saurait y avoir de croyance réelle et sincère sans une relation de liberté. Les convertis, sous pression ou par violence (force), ne peuvent, dans la durée, constituer une armée ou une arme religieuse. A l'inverse, toute transcendance, non décidée en toute liberté, est vouée, à la longue, à l'échec. Le XIIIe siècle européen, avec ses conquêtes scientifiques, intellectuelles et culturelles, et la révolution de l'anthropologie politique n'ont pas, pour autant, permis une large libération de l'esprit de la mythologie et de l'inéluctable fatalité du monde et de l'homme. La connaissance, le savoir et les sciences n'ont cessé, pourtant, de progresser et d'envahir toutes les sphères de la vie sociale. L'histoire a prouvé que toute religion qui atteint sa maturité, par la modération, peut être porteuse de paix et pacifier les refoulements et donc aider à faire oublier les archaïsmes et les fondamentalismes, qui sont les véritables ennemis, d'abord de la religion, de la démocratie et de la modernité et, au fond, de la liberté. La question qui se pose est comment des religions qui se disent, toutes, pacifiques arrivent à être porteuses et provocatrices de tant de meurtres. Les conflits Irlande, de Serbie, du Liban, de Palestine et d'Israël, du Kachemire, pour ne citer que ces seuls pays qui ont vécu (ou vivent encore) tant de drames, ont vite dérapé en des guerres où la religion est devenue un symbole identitaire. Ils n'ont pas manqué de se propager au sein de la diaspora à l'étranger. L'acte libre, dans la relation «absolu/autrui», reste une condition sine qua non à la sincérité de l'engagement. Autant la décision est souveraine, autant l'adhésion et l'engagement sont forts et fidèles. Cela pose la question de l'existence du débat, de l'ouverture et du droit à la différence. Cet idéal ne serait atteignable que si les conditions économiques et sociales, reflet du politique, permettaient à l'homme de penser librement et sans aucune contrainte que celle du respect d'autrui. Violence et religion La revue «Al Azmina Al Haditha» (Les Temps Modernes) consacre son deuxième numéro à la question de «la croyance et la violence». La problématique est abordée à travers des approches théoriques, classiques et contemporaines, et des analyses anthropologiques, renforcées par des écrits distingués de chercheurs marocains. Dans la note de présentation de ce numéro, My Ismaïl Alaoui, directeur de la revue, situe la démarche éditoriale qui consiste en «la traduction de quelques textes politiques de haute valeur et la publication de recherches novatrices sur la problématique» de la croyance et de la violence, avec ses multiples dimensions. Ce qui illustre «l'actualité des questions et des problématiques fondatrices du système de croyance, avec ses diverses manifestations mythologiques, religieuses et politiques, explicatives de la naissance du phénomène de violence». Parmi les sujets traités par la Revue, le texte intitulé «Critique de la violence» de Walter Benjamin, traduit par le rédacteur en chef Abdallah Belghiti Alaoui, situe la problématique de la violence et la lie surtout au droit et à la justice. Ce grand penseur critique le droit naturel, machiavélique, et privilégie « des moyens légitimes pour des fins justes». Jacques Dérida, lui, aborde, grâce à une traduction de Hassan Amrani, la question de la croyance et du savoir. Un faisceau de lumière est jeté sur «la religion, aujourd'hui». Les causes de la violence et ses rapports avec le nihilisme sont analysées par Josep Ramoneda, traduit par Narjis Alharchami, en abordant les questions de la pudeur, de l'idéologie et de l'hypocrisie. Le quatrième thème, Dr Mustapha Bouhendi abord la thématique de la violence dans les religions abrahamiques, mettant en relief le fait que la religion peut juguler la violence. Violence et combat politique est le thème choisi par Mohamed Houmam, pour rappeler la violence à travers l'histoire et situer sa place dans l'Islam. Dr Mohamed Kchikech se penche sur l'apport de la philosophie dans son combat contre la violence et sa position qui favorise le droit à la différence Mustapha Hasnaoui nous rapproche de la conception de Dpinoza sur le rapport de la croyance à la religion et à la liberté. La Revue conclut ce dossier par un entretien avec le philosophe René Girard, traduit par Aziz Lazrak, pour jeter un nouvel éclairage sur la mauvaise compréhension des fondements de la violence.