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«Après le développement du réseau autoroutier, il est temps de transférer l'effort vers le réseau ferroviaire» Cinquantenaire de l'Office National des Chemins de Fer : La saga de l'ONCF racontée par son DG, Mohamed Rabie Khlie
«La LGV s'est imposée pour sa rentabilité et les critiques à son encontre sont infondées» Comptant parmi les fleurons de l'industrie nationale, l'Office National des Chemins de Fer (ONCF) fête cette année son cinquantenaire, qui correspond au centenaire des chemins de fer au Maroc. De la première moitié du siècle écoulé, le Maroc a hérité un réseau ferroviaire assez consistant, qui avait été peu étendu. Toutefois, au cours de la seconde moitié du siècle, ce réseau a été récupéré, entretenu, modernisé et exploité par des cadres marocains avec l'ambition d'élargir crescendo le réseau et d'aller toujours plus vite et dans les meilleures conditions de sécurité et de conforts pour les passagers. Inscrivant ses objectifs dans le cadre du développement global des infrastructures du Royaume, l'ONCF se veut également au service du développement socioéconomique, en désenclavant l'arrière pays par un réseau de Lignes à Grande Vitesse, dont l'axe Tanger-Casablanca n'est que le commencement. M. Mohamed Rabie Khlie, Directeur Général de l'Office National des Chemins de Fer, en parle avec la conviction du cheminot de carrière stimulé par le chemin parcouru et les succès engrangés. Il en profite pour corriger quelques fausses perceptions et instruire les lecteurs de L'Opinion de quelques utiles précisions. Entretien. L'Opinion : Les chemins de fer ont un siècle d'existence au Maroc et l'Office national des chemins de fer vient de fêter son cinquantenaire. Pouvez-vous nous dire, M Khlie, quel a été l'apport des chemins de fer au développement de la nation et quel bilan peut présenter l'ONCF de ses cinquante années d'activités ? Mohamed Rabie Khlie : Nous fêtons cette année aussi bien le cinquantenaire de l'Office National des Chemins de Fer (ONCF) que le centenaire de la première ligne ferroviaire construite au Maroc. En termes d'apport de l'ONCF au développement de la nation, comme vous le savez, tout ce qui concerne le transport aussi bien des personnes que des marchandises, notamment à travers les chemins de fer, participe à la dynamisation des activités socioéconomiques. Le chemin de fer est le fruit du développement économique d'une nation, qu'il stimule de son côté, c'est lié. Il serait intéressant de procéder à un bref historique des chemins de fer au Maroc. Avant la création de l'ONCF, il y avait trois concessionnaires privés étrangers qui exploitaient le réseau ferroviaire au Maroc. Il y avait un accord au début du siècle écoulé, conclu entre les grandes puissances coloniales, notamment l'Allemagne, qui stipulait que la construction de chemins de fer au Maroc, celle des voies conventionnelles, devait se faire via des appels d'offres ouverts à tout le monde. Les Français ont alors contourné cette disposition en commençant par construire des voies à usage militaire, avec un écartement du rail de 0,60 mètre. Ce qui a fait que le réseau ferroviaire à usage militaire représentait quelques 4.000 kms. Par la suite, ce sont les trois concessionnaires privés qui ont développé le réseau ferré conventionnel, c'est-à-dire avec un écartement du rail de 1,435 mètre. A l'indépendance, en 1956, il y a eu, dans le cadre de la marocanisation, la création de l'ONCF, qui a récupéré et modernisé le réseau ferré auparavant exploité par les trois concessionnaires privés étrangers. Donc, quand on parle de la première ligne de chemin de fer au Maroc, il y a 100 ans, il s'agit d'une voie ferrée à usage militaire, avec un écartement du rail de 0,60 mètre. La première ligne du genre a été Casablanca-Berrechid. La première ligne à écartement conventionnel a, par contre, été réalisée conformément aux accords signés par les Français avec d'autres pays, c'est-à-dire suite à un appel d'offres. Ce fût la ligne Casablanca-Rabat, qui a démarré en 1923. Par la suite, il y a eu, en quinze ans, la construction de 1.700 kms de réseau ferré conventionnel par les trois concessionnaires privés susmentionnés. La logique du développement du réseau ferré conventionnel, du temps du protectorat, était intimement liée à l'exploitation des richesses minières et agricoles du Maroc. Il y a donc eu le développement d'une ligne pour le transport des phosphates et d'autres qui desservaient des régions à fort potentiel agricole. Le développement du réseau ferré conventionnel Maroc, au début du siècle, était guidé par des considérations purement économiques. De ce fait, le développement du réseau ferroviaire a directement participé et de manière très importante au développement socio-économique de notre pays. Ce n'est, d'ailleurs, qu'à partir des années cinquante, avec la création de l'ONCF, que l'on a commencé à s'intéresser au transport des passagers. Cet intérêt a commencé à se manifester sérieusement dans les années 70, avec le dédoublement de la voie Rabat-Casablanca et l'entrée en activité de la navette Rabat-Casablanca. Aujourd'hui, le transport des passagers est entrain de prendre beaucoup d'importance, avec un taux de croissance à deux chiffres de cette part des activités de l'ONCF, au cours des dix dernières années. Nous ne serons pas loin de 40 millions de passagers transportés en 2013. Aujourd'hui, l'ONCF est considérée comme leader dans le marché national du transport terrestre, en assurant le transport de plus de 36 millions de passagers et 37 millions de tonnes de marchandises, chiffres de l'année écoulée. Ce positionnement découle du fait qu'il dispose d'un appareil de production performant, apte à garantir une meilleure exploitation. Le réseau ferré est d'une longueur de 2.210 kms exactement, dont 1.284 kms électrifiés et 600 kms à double voie. C'est l'un des réseaux ferroviaires les plus développés du monde arabe et à l'échelle du continent africain. «Au cours de la période du plan d'ajustement structurel, il y a eu désengagement notable de l'Etat» L'Opinion : En cinquante ans, l'ONCF est passé par des hauts et des bas. D'ailleurs, au moment de votre prise de fonction à la tête de l'Office à titre intérimaire, en 2001, la situation financière laissait énormément à désirer. Il fût même question, à un certain moment, de la cession au secteur privé des chemins de fer marocains. Comment peut-on remplir une mission d'intérêt public tout en préservant la santé financière de l'Office pour en assurer la pérennité ? Mohamed Rabie Khlie : Après le départ des Français, le challenge à relever pour le Maroc était de procéder à la marocanisation des cadres et le transfert de savoir-faire, tout en poursuivant l'exploitation du réseau ferroviaire, un exercice qui n'était pas évident. Il y a eu, par la suite, beaucoup de travaux de mise à niveau du réseau et de rectificatif du tracé, ainsi que l'introduction de voitures adaptées au transport des passagers. Mais il n'y a pas eu une importante extension du réseau. En 1963, le réseau ferroviaire au Maroc comptait 1.700 kms de voie ferrée. Aujourd'hui, nous en sommes à 2.210 kms, soit 500 kms de plus, compte non tenu du doublement de la voie sur certaines parties du réseau national. Il faut préciser qu'au cours de la période de mise en œuvre du plan d'ajustement structurel, il y a eu un désengagement notable de l'Etat, qui a conduit à une réduction de la subvention, non seulement celle accordée au titre de l'investissement, mais également en ce qui concerne l'exploitation. Le modèle managérial appliqué par l'Office, à l'époque, s'appuyait sur les subventions de l'Etat même pour l'exploitation du réseau. L'ONCF avait, donc, connu des difficultés financières qui l'ont amené à une situation presque de cessation de paiement, et ce au milieu des années 90. Depuis lors, les choses se sont beaucoup améliorées. Au cours de la dernière décennie, le Maroc a connu un développement très significatif de toute son infrastructure, et pas seulement le réseau ferroviaire. Ports, routes, autoroutes, etc, les chantiers ont été nombreux et la différence avec la période précédente est très palpable. Les chemins de fer s'inscrivaient donc dans cette dynamique de dotation du Royaume en infrastructures insufflées par SM le Roi au cours des douze dernières années. Ce qui a rendu le développement récent de l'infrastructure ferroviaire possible, c'est la restructuration de l'ONCF et l'assainissement de sa situation financière, qui a consisté à reconsidérer son business modèle. Nous sommes passés d'un premier plan de développement dont l'enveloppe n'excédait pas les 5 milliards de Dirhams sur cinq ans, à 17, 18 milliards de Dirhams pour le plan quinquennal 2005- 2009, pour passer à 33 milliards de Dirhams pour le plan 2010- 2015. Au cours de la dernière décennie, il y a eu multiplication par quatre de l'effort d'investissement injecté dans le secteur par rapport à ce qui se faisait avant. Du coup, si cette tendance est maintenue, il y a beaucoup d'espoir pour rattraper le retard accusé dans ce secteur au cours des décennies qui ont suivi l'indépendance. Concernant la restructuration de l'ONCF qui a permis, comme j'ai dit, la relance de l'investissement dans ce secteur, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Au moment où j'ai pris la direction de l'entreprise, elle n'était plus en cessation de paiement. Je dirais que le point d'inflexion, c'était en 1995, quand l'entreprise était enfoncée dans les difficultés financières. Il y a eu un changement de management, c'était M. Laâlej qui avait pris la direction de l'Office après feu M. Moussaoui. Je faisais partie de la nouvelle équipe managériale, puisque j'ai fait toute ma carrière au sein de l'ONCF, je suis d'ailleurs un pur produit de l'école publique et de l'ONCF. J'ai donc fait partie de l'équipe managériale durant toute la durée de cette phase de restructuration, ayant été directeur commercial puis directeur central de l'ONCF. Cette phase, qui s'est étendue de 1995 à 2000 a permis à l'ONCF de voir le bout du tunnel, mais la situation n'en demeurait pas moins fragile. Il y a eu, au cours de cette période, adoption et mise en oeuvre de mesures assez draconiennes, en terme de réduction des charges et des effectifs, avec un programme minimum d'investissements, de mise à niveau et des efforts d'ordre commercial pour améliorer les recettes. Mais il n'y avait pas de vision stratégique proprement dite, puisqu'on ne peut pas demander à une entreprise qui peine à se sortir d'une crise profonde d'avoir une vision sur le long terme. Du coup, au début des années 2000, nous sommes passés d'une logique de restructuration à une logique de développement. Là encore, ça a coïncidé avec un changement managérial. M. Karim Ghellab, l'actuel président de la Chambre des Représentants, avait été nommé directeur général de l'ONCF, en août 2001, poste qu'il a occupé à plein temps pendant quinze mois, avant d'être nommé ministre des Transports. Au cours de cette période, j'étais directeur central de l'ONCF, le numéro 2 de l'entreprise en quelque sorte. Nous avons engagé l'élaboration d'une nouvelle vision et d'un plan de développement de l'ONCF, avec la réalisation d'études de stratégie et de développement de l'entreprise. Nous étions, à un certain moment, formatés sur la restructuration de l'ONCF. Les efforts étaient axés sur la réduction des charges, mais le risque, si on était restés sur cette logique, est de se retrouver avec seulement quelques tronçons qui génèrent une marge correcte de profits, avec une partie seulement du réseau et du matériel. Nous cherchions à rentabiliser au maximum les moyens dont nous disposions. Sauf qu'il y a une limite à ce genre d'exercice. On ne peut pas demander à quelqu'un qui s'est installé dans une logique de restructuration de passer aisément à une logique de développement. Quand M. Karim Ghellab a été nommé directeur général de l'ONCF, il s‘est retrouvé à la tête d'une entreprise restructurée, mais fragile. Il fallait mettre l'ONCF sur la voie du développement, avec une vision, un plan stratégique, un projet d'entreprise. C'est ce que nous avons commencé à faire avec l'arrivée à la tête de l'Office de M. Ghellab, qui est parti par la suite diriger le département des Transports. J'ai assuré l'intérim au cours de cette période et continué le travail entamé par mon prédécesseur. J'ai été nommé officiellement à la tête de l'Office le 20 juillet 2004. «Depuis la restructuration entamée en 1996, un contrat programme contractualise nos relations avec les pouvoirs publics» En 2003, nous avions déjà terminé l'étude stratégique, nous avions arrêté un plan de développement intitulé «Vision 2010», nous nous étions fixé un certain nombre d'objectifs en termes de volume du trafic, de chiffres d'affaires et autres indicateurs financiers, nous savions exactement dans quels projets nous devions nous engager, en nous appuyant sur les études qui avaient été menées. C'était l'époque du début de l'application du premier contrat programme 2005- 2009, doté d'une enveloppe de 17 milliards de Dirhams. En terme de réalisations, il a été procédé au doublement de la voie jusqu'à Fès, El Jadida et Settat, ainsi que la construction de trois nouveaux tronçons, Nador-Taourirt, Tanger-Port de Tanger Med et le shunt Machraâ Belksiri-Sidi Yahya. Tout ceci s'inscrivait dans le cadre de contrats programmes qu'on avait signés avec les pouvoirs publics. Ce qui est intéressant avec l'ONCF, c'est que depuis la restructuration entamée en 1996, chaque plan de développement correspond à un contrat programme qui contractualise nos relations avec les pouvoirs publics. C'est le directeur général de l'ONCF qui signe le contrat programme avec les départements de tutelle technique et financière, à savoir le Ministère des Transports et celui des Finances. Ce contrat programme arrête dans le détail le programme à réaliser, et nous nous engageons sur des objectifs en termes de résultats et d'indicateurs financiers. Le premier contrat programme couvrait la période 1996-2000, suivi de celui de 2002-2005. J'ai personnellement préparé et signé les contrats programmes 2005-2009 et 2010-2015. Donc, quand j'ai été nommé directeur général de l'ONCF, je me suis inscrit dans la continuité de la démarche déjà entamée. C'est au moment de l'élaboration du contrat programme 2005-2009 que nous avons contractualisé toute la vision et le projet que l'on avait étudié auparavant. Ce contrat programme s'est traduit par un succès en terme des performances réalisées par rapport aux objectifs tracés. Que ce soit le doublement de voies ou la construction de nouvelles lignes ou de rénovation des gares, nous avons pu remplir les objectifs qui nous ont été fixés. Les résultats du contrat programme 2005-2009 ont, je dirais, préparé le terrain au contrat programme 2010-2015, avec le saut qualitatif du projet de la Ligne Grande Vitesse (LGV) Tanger-Casablanca. C'est un projet dont la réalisation suit normalement son cours, un projet qui constitue également un tournant dans la vie de l'entreprise. L'Opinion : Beaucoup de gens reprochent à l'ONCF d'avoir peu développé le réseau ferré légué par le protectorat, si ce n'est le dédoublement du rail de Casablanca à Kénitra. Quels sont les investissements programmés par l'Office à court et moyen terme, outre le TGV ? Une extension du réseau ferré existant est-elle envisagée ? Mohamed Rabie Khlie : En fait, c'est une question qu'il est plus opportun de poser aux décideurs politiques qui se sont succédés. Le rôle de l'ONCF, en tant qu'opérateur, est de procéder à des études, de proposer des projets et d'argumenter en leur faveur. Si on avait déployé autant d'efforts depuis 1963 que ceux consentis au cours des dix dernières années, nous aurions pu compter le double de la longueur du réseau que nous avons maintenant. Nous avons construit 500 kms de nouvelles voies en cinq ans seulement. Il faudrait commencer par préciser qu'il est difficile de demander des comptes aux premiers gestionnaires de l'ONCF, ceux qui ont eu à assurer l'exploitation du réseau ferroviaire après sa récupération. Il leur a fallu procéder à la marocanisation des cadres et au transfert du savoir-faire pour pérenniser les activités de l'entreprise en termes d'exploitation, de gestion de la maintenance, des infrastructures, de l'investissement, etc. En plus, si on prend la ligne Casablanca-Rabat-Fès, telle que laissée par les Français, le tracé était tellement sinueux que le train ne pouvait y dépasser une vitesse de 60 kms à l'heure. Cette ligne Casablanca-Fès n'a pas été seulement doublée, c'est le plus important à préciser à ce sujet. Elle a été doublé mais en outre, il y a eu des rectifications de tracé sur quelques 50% du trajet, afin qu'il ne soit plus aussi sinueux. Améliorer l'alignement du tracé permet de gagner en vitesse de circulation des trains. Maintenant, sur certains tronçons du réseau ferroviaire marocain, les trains peuvent atteindre une vitesse de 160 kms à l'heure. C'est un investissement très coûteux mais peu visible pour les citoyens non avertis. Nous aurions pu choisir un nouveau tracé en double voie, plus direct, pour aller de Rabat vers Fès, semblable au tracé autoroutier, en passant par Kénitra, Sidi Kacem, et Meknès, ce qui aurait été plus perceptible pour le commun des citoyens. Nous aurions, alors gardé l'ancienne ligne pour les marchandises, avec ses courbes et ses contre-courbes au lieu de procéder au doublement de cette ligne avec rectification à 50% du tracé existant, effort non moins important mais beaucoup moins visible. Le travail effectué sur cette ligne a coûté cher, énormément cher, et il fallait travailler la nuit seulement, pour ne pas perturber le trafic au cours de la journée. Le doublement de la voie Casablanca-Rabat a démarré en 1974 et n'a été achevé qu'en 1984, soit dix ans de travaux. On a commencé, par la suite, à doubler la ligne Rabat-Fès par tronçons, avec rectificatif du tracé, un projet qui n'a été achevé qu'en 2007. Ça a donc pris plus de douze ans. Si on tient compte du coût du doublement avec rectification partielle du tracé de cette ligne, en terme de temps, du coût d'exploitation et des fonds investis, on va tomber sur un montant qui permet de financer deux fois la construction d'une ligne grande vitesse Rabat-Fès ! Pourtant, personne n'a contesté cette logique de doublement avec rectification du tracé de la ligne Rabat-Fès, dans le sens où les investissements nécessaires ont été étalés sur une longue période, le coût élevé de ses travaux est ainsi passé inaperçu. Pour le commun des citoyens, c'est la même ligne Casablanca-Fès que celle laissée par les Français, alors que son tracé a en fait été modifié à 50%. Construire une nouvelle ligne aurait été plus visible que d'aller «tricoter» l'ancien tracé. Nous avons également doublé, en 2006, la ligne d'El Jadida et la ligne phosphatière de Khouribga, outre la desserte de l'aéroport Mohammed V. «Grâce à sa capacité d'autofinancement, l'ONCF est devenus capable de mobiliser un endettement, dont il prend le remboursement en charge» Quand il a fallu prendre la décision concernant la construction de la Ligne à Grande Vitesse, la question que nous nous sommes posée était de savoir s'il fallait doubler la ligne jusqu'à Tanger ou en construire une nouvelle. Si on était dans la logique de nos prédécesseurs, c'est-à-dire doubler la ligne avec rectification du tracé, les travaux auraient pris quinze à vingt ans. Les chemins de fer sont un secteur capitalistique, l'investissement ne peut s'y faire qu'avec subvention de l'Etat, qui doit arbitrer entre le financement de différents projets d'infrastructures. Quand nous avons assaini les finances de l'entreprise et commencé à dégager des capacités d'autofinancement, l'ONCF a pu participer au financement des projets proposés. Sur les 17 milliards de Dirhams du contrat programme 2005-2009, l'ONCF a versé le tiers des fonds placés. Grâce à notre capacité d'autofinancement, nous sommes devenus capables de mobiliser un endettement, dont nous prenons le remboursement en charge. Donc, suivant le modèle de financement appliqué actuellement, tout ce qui est nouvelles lignes est à la charge de l'Etat, mais tout ce qui est doublement de la voie, rénovation des gares, électrification, acquisition de matériel, logistique, etc, est à la charge de l'ONCF, une chose rare auprès des compagnies ferroviaires d'autres pays. Aujourd'hui, nous sommes confiants, du fait que nous sommes passés d'un premier plan de 5 milliards de Dirhams, à un second de 17 milliards et nous en sommes maintenant à un plan de 33 milliards. Avant, l'effort de l'Etat était porté sur le développement du réseau autoroutier, mais avec l'achèvement de la réalisation de la première phase de l'extension du réseau autoroutier national, qui va maintenant de Oujda à Agadir, nous estimons qu'il est temps de transférer cet effort auparavant consacré au développement du réseau autoroutier vers le développement du réseau ferroviaire, autant pour rattraper le retard cumulé par le secteur que pour des motivations écologiques, du moment que c'est un mode de transport plus respectueux de l'environnement. Au début de la révolution industrielle, c'était le développement du réseau ferroviaire qui était à l'honneur, mais avec l'invention du véhicule automobile, c'est la réalisation des routes et autoroutes qui a pris le devant. Le Train à Grande Vitesse est venu, normalement, relancer l'intérêt pour le réseau ferroviaire. Il y a un pourcentage du Produit intérieur brut qui doit aller normalement vers la réalisation d'infrastructures, là il faut arbitrer entre différents projets. Au cours des cinquante années écoulées, exception faite de la dernière décennie, le chemin de fer était le parent pauvre en matière d'investissement dans le domaine de la réalisation des infrastructures. Mais ce sont quand même 60 milliards de Dirhams qui ont été injectés dans le secteur au cours des dix dernières années, beaucoup plus qu'au cours des quarante précédentes. Nous ne pouvons donc qu'être confiants en la poursuite du développement de l'infrastructure ferroviaire dans l'avenir. L'Opinion : Le TGV est non seulement un grand projet d'avenir pour l'ONCF, mais aussi pour le Royaume. Où en est la mise en œuvre de ce grand chantier qui ne fait pas l'unanimité faut-il le noter, et quels sont les effets d'entraînements potentiels sur l'industrie nationale ? Mohamed Rabie Khlie : Vous avez suivi le débat concernant la construction d'une Ligne à Grande Vitesse. Il est légitime que les gens se posent des questions sur la pertinence du projet, sauf qu'il y a eu malheureusement une instrumentalisation du sujet qui a faussé ce débat. La genèse de ce projet de LGV remonte à longtemps. Nous avons commencé d'abord à réfléchir sur le projet de la ligne Marrakech-Agadir, soulevé du temps de feu Hassan II, suite à la Marche Verte. L'ONCF s'était distinguée en transportant des milliers de marcheurs de toutes les grandes villes du Royaume vers Marrakech. Après quoi, feu Hassan II avait donné le coup d'envoi au projet de construction d'une ligne ferroviaire Marrakech-Agadir, dont les études ont été menées et qui ont duré cinq ans. Nous avions, donc, à notre disposition depuis les années 80, les études d'exécution dudit projet de la ligne ferroviaire Marrakech-Laâyoune, dont le tracé avait été arrêté. Faute de ressources financières suffisantes à l'époque pour réaliser le projet, celui-ci n'a pas vu le jour. En 2002, nous nous sommes dit, en tant que techniciens, que si les pouvoirs publics devaient nous demander de relancer le projet, est-ce que les études effectuées à la fin des années 70 et le tracé de l'époque étaient toujours d'actualité ou pas ? C'est à ce moment là que nous nous sommes posés la question s'il n'était pas plus intéressant de réaliser le projet à travers une ligne à grande vitesse. Il faut préciser qu'au moment où l'ONCF avait lancé les premières études sur la réalisation de la ligne Marrakech-Laâyoune, il n'était pas encore question de Train à Grande Vitesse sachant que le premier projet de Ligne à Grande Vitesse Paris- Lyon date des années 80. «Doubler et rectifier le tracé d'une ligne existante coûte très cher mais attire peu l'attention, contrairement à la construction d'une LGV» Quand nous nous sommes penchés sur la réalisation du projet de la ligne Marrakech-Agadir, nous avons fait la comparaison de la rentabilité financière et socioéconomique entre ligne normale et ligne à grande vitesse. Il s'est avéré que si nous voulions réaliser une ligne Marrakech-Agadir, il serait plus intéressant en terme de rentabilité financière et socioéconomique de construire une Ligne à Grande Vitesse, le coût en est un plus élevé de quelques 30% par rapport à une ligne classique, mais en terme de rentabilité financière et économique, la LGV était de loin plus intéressante. La différence de coût était largement couverte par les bénéfices à en tirer, ne serait-ce qu'en terme de durée du trajet, qui est de quatre heures sur une ligne classique et d'une heure seulement sur une ligne à grande vitesse. Une fois que nous avons commencé à raisonner en terme de ligne à grande vitesse, nous nous sommes dit que le premier pas à accomplir est de commencer par établir un schéma directeur, de manière à disposer d'abord d'une vision globale. Nous avons donc élaboré ce schéma directeur pour Tanger-Agadir et Casablanca-Oujda, d'une longueur de 1.500 kms, qui était prêt en 2006. Puis, comme la ligne Casablanca-Marrakech commençait à saturer, nous nous sommes dit qu'ils serait peut être propice de commencer la première ligne TGV par cet axe. Puis est venu le nouveau port de Tanger-Med et la ligne de Tanger qui commençait aussi à saturer, et ce malgré l'électrification de la ligne et la réalisation du shunt Machraa Belksiri-Sidi Yahya. Avec tout le développement que connaît la ville et sa région et les investissements qui y ont été consentis, Tanger est le grand pôle économique de demain. Le fret coûte moins cher quand le trafic de marchandises passe par le port de Tanger Med, qui traite de gros navires. Pour faire bénéficier l'arrière pays du port de Tanger Med, il faut qu'il y ait une bonne fluidité. Le port a été conçu dès le départ avec une composante ferroviaire intégrée. Il y a une bonne infrastructure ferroviaire à l'intérieur du port, mais nous avons ce problème de voie unique entre Tanger et Kénitra. Et donc la question se posait pour le doublement de cette ligne ou la construction d'une nouvelle sur le même axe. Pour augmenter la capacité, faut-il doubler et rectifier l'ancienne ligne, ou faut-il en construire une nouvelle à côté, soit une ligne destinée à la circulation des trains à une vitesse de 160 km à l'heure ou une à 320 kms à l'heure. Nous avons étudié les trois possibilités. Doubler et rectifier la ligne, comme ce que nous avons déjà fait pour Casablanca-Fès, les travaux de réalisation auraient pris dix à quinze ans, puisqu'il n'est possible de travailler que deux à trois heures les soirs, quand les trains ne circulent pas. On s'est dit qu'il y avait là une opportunité pour construire le premier tronçon du réseau de lignes à grande vitesse du Maroc, sur les 1.500 kms prévus par le schéma directeur, tester en grandeur nature ce que ça va donner et faire de cette première ligne un cas d'école, surtout que l'écart de coût n'est pas énorme. Il est totalement justifié par la rentabilité financière et socioéconomique du projet. Nous aurions pu doubler et rectifier la voie ou construire une nouvelle ligne de 160 kms à l'heure, dans les deux cas la réalisation aurait coûté très cher mais ça serait passé totalement inaperçu. Par contre, pour le TGV et en raison du verrou psychologique qui fait croire à certains que le Maroc n'a pas les moyens de se permettre de construire une Ligne à Grande Vitesse, nous avons eu droit aux critiques infondées que vous devez avoir lu et entendu. Nous sommes fiers d'avoir pu convaincre les hautes instances dirigeantes de la pertinence de la réalisation de ce projet, comme ce fût le cas pour l'approbation du schéma directeur de la Ligne Grande Vitesse au Maroc. Nous allons donc réaliser ce projet en partenariat avec les Français, qui sont les pionniers du domaine et jouissent d'une longue et solide expérience en ce domaine. C'est un partenariat très intelligent qui a été monté avec les Français, où ils apportent plus de 50% du financement à des taux préférentiels. En contrepartie, ça leur permet de faire du Maroc une vitrine de leur technologie en la matière. Les trains que nous avons achetés aux Français l'ont été à un prix préférentiel également, moins que ce que paye la SNCF pour leur acquisition. Sur le coût total du projet, le partenariat avec les Français ne représente que quelques 20%, pour les 80% restants, ça a fait l'objet d'appels d'offres à l'international. C'est un projet qui est géré de manière intégrée par l'ONCF et les plus grands bureaux d'études marocains travaillent dessus, que ce soit en matière de maîtrise d'œuvre du projet ou de l'ingénierie. L'expérience ainsi acquise va nous permettre de réaliser la prochaine Ligne à Grande Vitesse avec une ingénierie à 100% marocaine. Pour les travaux de génie civil, plus de 60% des travaux reviennent à des entreprises marocaines. Là encore, ce sera un cas d'école, parce que le projet est d'une grande complexité. Il faudrait passer par une zone de risque sismique et donc traiter la sismicité. C'est également une zone où il y a des vents traversiers, ce qui doit aussi être traité. Mais on est aussi sur un terrain compressif, il faut de ce fait procéder à un prétraitement. Bref, pour la réalisation de ce projet, on est confronté à tous les cas de figure. Pour les entreprises marocaines qui vont participer à la réalisation de ce projet, ça va faire une référence pour les projets du genre à venir et même pour rayonner à l'échelle régionale. La compensation industrielle a été négociée avec les Français. Il va y avoir l'installation d'une usine à Fès pour la fabrication des composants qui ne sont pas destinés uniquement pour la LGV marocaine, mais pour toutes les LGV. Il y aura aussi tout un réseau de sous-traitants qui vont travailler sur ce projet. Ca va faire, par ailleurs, des milliers de journées de travail, même les entreprises étrangères qui oeuvrent dans le génie civil vont travailler avec une main d'œuvre marocaine et des produits locaux. Une bonne partie de la valeur ajoutée du projet va donc rester sur place. «La LGV et le triplement de la voie Kénitra-Casablanca va permettre de dégager un corridor dédié au transport de marchandises» D'autre part, le fait de relier Tanger à Casablanca en 2h10 au lieu de 4h45, Rabat en 1h20 au lieu de 3h45 et Kénitra en 47 minutes aura un impact certain sur le volume du trafic passager sur cet axe. Le coût du projet est de 20 milliards de Dirhams. Mais il en est attendu un impact certain sur les activités économiques des villes et régions concernées. L'exploitation de cette ligne va également générer 1.500 emplois directs et 800 emplois indirects. En terme de sécurité routière, la LGV devrait réduire de 150 le nombre de décès annuel dû aux accidents de la route. De plus, la nouvelle ligne à grande vitesse pour le transport des passagers va libérer l'ancienne ligne, qui sera réservée pour le seul trafic de marchandises. Le triplement de la ligne Kénitra-Casablanca qui est en cours, permet d'avoir un corridor réservé au trafic de marchandises qui va de Tanger Med à Casablanca, ce qui profitera aussi bien à Casablanca qu'au reste de l'arrière pays, notamment en matière de transport de conteneurs, avec un coût de transport maritime optimisé par le fait que ça passe par Tanger Méd. L'Opinion : Concernant la relation de l'Office avec sa clientèle, où en est le programme de modernisation et de rénovation de plus de 40 gares et l'amélioration de la qualité de services aux clients aussi bien dans les gares qu'à bord des trains ? Jusqu'à présent, les trains peuvent accuser jusqu'à une heure de retard au Maroc, quels sont les efforts déployés par l'Office pour redresser cette situation ? Mohamed Rabie Khlie : Nous avons un taux de régularité que nous considérons comme correct. Il faut, cependant, souligner que ce taux de régularité dépend de l'état du réseau. Quand on est sur une voie unique, comme par exemple sur l'axe Settat-Marrakech, quelques difficultés se posent en période de forte affluence. Cet été par exemple, nous avons eu le choix entre garder un taux de régularité de 80% ou augmenter la capacité de transport des passagers par le rajout d'autres trains sur la ligne Casablanca-Marrakech. Il fallait, donc, aller au delà de la cadence actuelle d'un train toutes les deux heures. Le fait d'ajouter des trains sur un tronçon, ça fait des croisements, ce qui entraîne des retards de trains d'une vingtaine ou d'une trentaine de minutes. Il y avait un arbitrage à faire et nous avons choisi d'augmenter la capacité et, du coup, le nombre de passagers sur l'axe en question a augmenté de 22%. Il y a une demande qui est là, croissante. Pour la traiter, nous procédons au doublement partiel de la ligne en question, qui est déjà entamé. Nous espérons en fait doubler l'ensemble de la ligne, de manière à pouvoir traiter de plus importants volumes de passagers sans pour autant réduire le taux de régularité. Lorsqu'on fait circuler 250 trains par jours, entre 220 et 250 selon les périodes, sur un réseau avec pas mal de tronçons à voie unique, il suffit d'un pépin sur un train pour voir les retards s'accumuler et les plaintes pleuvoir... Il y a cinq ans, nous avons établi un baromètre qualité. Il y a une enquête qui est menée à ce sujet tous les six mois par un cabinet externe, pour pouvoir déterminer quel est le taux de satisfaction des clients par rapport aux prestations fournies. La première enquête du genre a donné un résultat de 63% d'usagers satisfaits, ou 37% d'insatisfaits. Aujourd'hui, nous sommes à 76% de taux de satisfaction, résultat obtenu au terme de la dernière enquête. Tous nos process sont certifiés ISO 9001, ce qui ne veut pas dire que nous ne devons pas continuer à faire de notre mieux pour améliorer toujours la qualité de nos prestations. Etre certifié ISO cela veut dire que nous nous sommes inscrits dans une logique d'amélioration continue de la qualité de nos prestations et d'observation si on évolue dans le bon sens ou on se dégrade. Je le dis toujours en interne, nous devons évoluer à une vitesse toujours supérieure à l'exigence du client marocain. Prenons l'exemple de la climatisation. La ligne Casablanca-Rabat n'a été climatisée qu'en 1996, c'est à dire il y a douze ans. Les clients prenaient des trains qui n'étaient pas climatisés, mais personne ne s'en plaignait. Aujourd'hui, si la climatisation tombe en panne, vous pouvez être sûr d'avoir à faire face à une déferlante de plaintes des clients, ce qui n'avait, il y a juste quelques années, pas grande importance est devenu une exigence de la clientèle. Concernant les 76% des personnes sondées qui s'estiment satisfaites, il s'agit du taux de satisfaction global. Pour des items plus précis, tel la propreté des sanitaires par exemple, le taux n'est que de 35%. Dans les gares, le problème de la propreté des sanitaires ne se pose plus, parce que c'est fixe et plus facile à gérer. Mais à bord des trains, c'est une autre histoire. Nous avons testé un système d'évacuation des toilettes similaire à celui installé dans les avions, mais ça n'a pas vraiment marché, car il suffit qu'un usager jette une canette dans les toilettes pour bloquer tout le système. C'est également un problème de culture de la population. Certes, nous sommes responsables, mais c'est là une responsabilité partagée. Nous avons besoin de plus de civisme, ce que nous essayons d'inculquer à travers la sensibilisation des usagers. Maintenant, nous avons la maîtrise de l'occupation des places dans les trains, donc on ne vend que dans la limite de capacité du train, à la condition que les clients respectent les numéros de trains. Aujourd'hui ont fait 90.000 passagers par jour, il y a cinq à six ans, le pic de Aïd Al Adha se traduisait par un rush de quelques 70.000 passagers. Aujourd'hui, nous gérons quotidiennement 90.000 passagers sans sur occupation. Actuellement, on peut atteindre jusqu'à 150.000 pendant l'Aïd Al Adha. L'Opinion : Quel est le programme des festivités du cinquantenaire de l'ONCF ? Mohamed Rabie Khlie : Le cinquantenaire est une belle occasion pour l'Office en vue de marquer la fin d'une époque riche et jalonnée de symboles et le début d'une nouvelle ère à travers la mise en œuvre d'un programme d'actions riches en activités et placé sous le haut patronage de SM le Roi. Ainsi, divers happenings et festivités sont au menu, à travers tout le Maroc et s'étalent du 5 août à fin janvier 2014. Quand au lancement officiel des festivités, il a été donné par Son Altesse Royale le Prince Héritier Moulay El Hassan, qui nous a fait l'immense honneur de présider la cérémonie de projection son et lumière (mapping) sur le site de Chellah, à Rabat. Figurent au programme une exposition itinérante «un siècle de rail» sur les principales artères des grandes villes du Royaume et dans les principales gares, ainsi que l'habillage de nos trains et gares aux couleurs de l'événement.