Au moins 59 personnes ont été tuées et 175 autres blessées dans l'attaque d'un centre commercial de Nairobi par des assaillants islamistes, selon un nouveau bilan donné dimanche par le ministre kényan de l'Intérieur, Joseph Ole Lenku. «Jusqu'ici, nous avons 59 personnes qui ont été tuées,» a déclaré le ministre, faisant état également de 175 blessés. Un précédent bilan de la Croix-rouge kényane faisait état de 43 morts et 200 blessés. La confrontation se poursuivait dimanche à la mi-journée entre les forces de sécurité et 10 et 15 islamistes dans le centre commercial Westgate Mall où les assaillants détiennent toujours un nombre indéterminé d'otages. «Un certain nombre d'agresseurs sont encore dans le bâtiment, entre 10 et 15», a indiqué le ministre, relevant que «nous pensons qu'il y a des personnes innocentes dans le bâtiment, c'est pourquoi l'opération est délicate». C'était une cible évidente: le célèbre «Westgate Mall», attaqué samedi à Nairobi par un commando islamiste, était le centre commercial le plus en vue de la capitale kényane, avec une nombreuse clientèle expatriée dans un vaste complexe difficile à sécuriser. Depuis que l'armée kényane a envoyé ses troupes en Somalie fin 2011, à la poursuite des islamistes shebab affiliés à Al-Qaïda, la crainte d'un attentat majeur pesait sur Nairobi. Cette crainte se cristallisait autour des centres commerciaux de la capitale, bondés le week-end d'une clientèle de riches Kényans et étrangers de toutes les nationalités. «Qu'un centre commercial soit visé n'était qu'une question de temps», a relevé un expert de questions de sécurité. «Etant donné la nature stratégique de Westgate, c'est évidemment une cible pour les terroristes,» a renchéri Emmanuel Kisiangani, analyste basé à Nairobi et travaillant pour l'Institut sud-africain d'études sécuritaires (ISS). Les shebab, qui ont revendiqué l'attaque, «ont frappé là pour montrer qu'ils avaient toujours un pouvoir de nuisance», observe M. Kisiangani. Il s'agit de l'attentat le plus meurtrier à Nairobi depuis une attaque-suicide d'al-Qaïda en août 1998 contre l'ambassade américaine, qui avait fait plus de 200 morts. Depuis deux ans, plusieurs ambassades occidentales ont régulièrement averti leurs ressortissants de possibles attentats et appelé à la prudence autour des lieux fréquentés, en particulier les centres commerciaux. Les shebab somaliens avaient promis depuis le début de l'intervention militaire kényane en Somalie de frapper le Kenya en représailles. Le pays avait, depuis deux ans, plusieurs fois été la cible d'attaques, notamment des jets de grenade, mais jamais de cette ampleur. Et ces incidents, concentrés dans le nord-est du pays, frontalier de la Somalie et où vit une importante population d'origine somalienne, n'avaient jamais été revendiquées directement par les islamistes. Dans ce contexte, le luxueux centre commercial de Wesgate, ouvert en 2007 et situé dans une zone très souvent embouteillée, en particulier le week-end, cumulait tous les facteurs de risque. Il est situé au coeur du quartier aisé de Westlands, où vivent de très nombreux expatriés travaillant pour l'ONU et les ONGs, mais aussi une importante classe-moyenne kényane. Réputé être en partie la propriété d'intérêts israéliens, le Westgate abrite sur plusieurs étages des magasins de marques internationales comme Nike, Converse, mais aussi un gigantesque supermarché, des cafés, des restaurants, un complexe de cinémas... Dans une capitale connue comme le «hub» de l'Afrique de l'Est, où sont basés des milliers d'expatriés en famille, l'endroit était régulièrement cité par les consultants de sécurité comme une cible possible de groupes liés à Al-Qaïda - tels les insurgés shebab. Et la configuration des lieux - vaste terrasse donnant sur la rue, multiples entrées, parkings aérien et souterrain- se prêtait de fait particulièrement à une attaque. Comme la plupart des centres commerciaux kényans, Westgate n'était habituellement surveillé que par quelques gardes de sociétés de sécurité privé, équipés de simples détecteurs de métaux ou plus rarement de fusils à pompe, mais incapables de faire face à une attaque armée. A l'inverse de plusieurs hôtels de luxe de Nairobi, aucun portique de sécurité n'y a été installé à ses multiples entrées. Les visiteurs n'étaient soumis qu'à un rapide contrôle de leurs sacs. Seuls les véhicules pénétrant dans les parkings souterrains ou en terrasse étaient sommairement examinés. Art Caffe, un café-restaurant-boulangerie très prisé de la clientèle européenne, dispose d'une longue terrasse en rez-de-chaussée, qui donne directement sur la route. La propre soeur du président kényan Uhuru Kenyatta se trouvait dans le centre commercial au moment de l'attaque, selon le quotidien The Nation. Elle a pu être placée en lieu sûr par les forces de sécurité.