Plan d'Urgence du système éducatif Qui a sonné le glas de ce chantier de réforme ? La Réforme de l'enseignement avait pour objet, depuis son lancement en 2000, la mise en œuvre, sur un segment temps de dix ans, des préconisations de la Charte. Après une décennie, le bilan des réalisations est resté mitigé : malgré les efforts déployés et en dépit des avancées constatées dans beaucoup de domaines, il s'est avéré qu'il restait encore du chemin à parcourir. Face à ce constat, SM le Roi Mohammed VI, dans Son discours prononcé à l'occasion de l'ouverture de la session parlementaire de l'automne 2007, avait donné Ses Hautes Instructions pour que soit élaboré un plan d'urgence, visant l'accélération de la mise en œuvre de la réforme. Aussi, engagement a été pris de présenter une feuille de route qui définisse de façon précise et concrète le programme d'accélération de l'achèvement de la réforme du SEF, tel que préconisé par la Charte. C'est dans ce cadre que le Ministère de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur, de la Formation de Cadres et de la Recherche Scientifique avait élaboré à l'époque un Plan d'Urgence qui se voulait ambitieux et innovant, sur la période 2009-2012. Ce plan se définit d'abord comme cadre de référence et vise à donner « un nouveau souffle » à la Charte. Début 2008, le Conseil Supérieur de l'Enseignement (CSE) avait rendu public un document majeur : le premier rapport national sur l'état de l'Ecole et ses perspectives. Le Plan d'Urgence présenté à l'époque s'organise autour des espaces d'intervention identifiés comme prioritaires par ce rapport, et en constitue la déclinaison opérationnelle. Par ailleurs, l'obligation de résultat qui sous-tend le Plan d'Urgence se traduit par l'adoption d'une méthode de travail, en rupture avec celles déclinées jusque-là. La démarche retenue repose sur cinq leviers clés : La définition d'un programme ambitieux précisé dans ses moindres détails : - Espaces d'intervention, Projets, Plans d'action, Planning, Ressources à mobiliser, l'adoption d'une logique participative qui avait permis d'associer l'ensemble des acteurs majeurs du système d'Education et de Formation à l'élaboration du Plan d'Urgence ; - L'implication des acteurs terrain pour assurer une déclinaison « de proximité » de chaque mesure identifiée et en garantir la faisabilité concrète, l'élaboration d'un dispositif de suivi rapproché qui permette la meilleure maîtrise possible de la mise en œuvre des actions ; - La mise en place d'une plateforme de conduite de changement assurant l'adhésion de tous et permettant de donner une nouvelle impulsion à la réforme, à tous les niveaux du système. Le Plan d'Urgence s'articule autour d'un principe directeur stratégique qui constitue la pierre angulaire du programme et témoigne d'une approche à la fois novatrice et pragmatique : - Placer l'apprenant au cœur du Système d'Education et de Formation et mettre les autres piliers du système à son service, à travers des apprentissages recentrés sur les connaissances et les compétences de base, permettant de favoriser l'épanouissement de l'élève ; - Des enseignants travaillant dans des conditions optimales et maîtrisant les méthodes et les outils pédagogiques nécessaires ; - Des établissements de qualité offrant à l'élève un environnement de travail propice à l'apprentissage. Partant des priorités identifiées par le rapport 2008 du CSE, le Plan d'Urgence a proposé un programme d'action visant à répondre à quatre objectifs clés : 1 - Il s'agit avant tout de rendre effective l'obligation de scolarité jusqu'à l'âge de 15 ans, et d'y associer, pour les plus jeunes, une généralisation du préscolaire. Il était en effet essentiel d'appliquer la loi en vigueur grâce à une approche volontariste pour que près de 100% des enfants de 6 ans entrent à l'école et y restent jusqu'à l'âge de 15 ans. Tous les leviers, tant quantitatifs que qualitatifs, devraient être enclenchés à cette fin, qu'il s'agisse de développer l'offre préscolaire, d'étendre la capacité d'accueil et la couverture territoriale des écoles et des collèges, de réhabiliter les établissements scolaires pour offrir aux élèves des conditions d'apprentissage satisfaisantes, de mettre en place des mesures visant à assurer une égalité des chances pour la scolarisation des « exclus » (filles, enfants à besoins spécifiques, enfants démunis...), de mener une politique efficace de lutte contre le redoublement et le décrochage, d'améliorer la qualité des apprentissages en les recentrant sur les savoirs et les compétences de base ou de renforcer la qualité de la vie et de l'environnement scolaire ; 2 - Le Plan d'Urgence visait, en second lieu, à stimuler l'initiative et l'excellence au lycée et à l'université. S'il est en effet indispensable de rendre effective l'obligation de scolarité jusqu'à l'âge de 15 ans, il n'est pas moins important d'encourager et de développer la scolarisation au-delà de cet âge, au niveau du secondaire qualifiant puis de l'enseignement supérieur. A cette fin toutes les mesures nécessaires sont prises pour développer l'offre du secondaire qualifiant et y promouvoir l'excellence, renforcer l'offre d'enseignement supérieur en vue d'en faciliter l'accès et garantir l'employabilité de ses lauréats, et valoriser davantage la recherche scientifique ; 3 - En troisième lieu, le Plan d'Urgence devait s'attacher à affronter les problématiques transversales du système, dont la résolution s'impose pour faire aboutir la réforme. Il s'agissait d'une part d'assurer un engagement fort du personnel de l'enseignement dans la réforme : toute mesure d'amélioration devait en effet impérativement passer par le personnel de l'éducation, qui doit être à même de l'assimiler et de la mettre en œuvre. Pour ce faire, il était nécessaire de renforcer les compétences, d'assurer un meilleur encadrement et de revaloriser le métier de ces acteurs majeurs du Système d'Education et de Formation. Il était d'autre part impératif de mettre en place une gouvernance responsabilisante garante d'un pilotage efficace du système et de son amélioration continue. Le parachèvement de la décentralisation, la clarification des responsabilités et la mise en place d'outils de pilotage pour assurer une gestion performante du système. La maîtrise des langues, en tant que composante essentielle de la réussite scolaire et de l'intégration professionnelle, constitue également une problématique transversale clé sur laquelle il fallait se pencher, à travers une modernisation des méthodes d'apprentissage de la langue arabe, la promotion de la langue amazighe et la maîtrise des langues étrangères. De même, l'efficacité du Système d'Education et de Formation ne pourra être totale sans un dispositif d'orientation performant qui assure une adéquation aux besoins de l'économie en général et du marché de l'emploi en particulier ; 4 - Enfin, si le Plan d'Urgence se voulait volontairement ambitieux, l'obligation de se donner les moyens de le réussir est une condition déterminante. Cela passait nécessairement par une politique stricte d'optimisation et de pérennisation des ressources financières. L'ampleur des coûts devait être à la mesure des défis à relever. En conséquence, il était nécessaire de mettre en place un dispositif ad hoc pour la réalisation des objectifs, afin que la problématique du financement ne soit pas un facteur de ralentissement de la mise en œuvre du Plan d'Urgence. Quelle remarque pouvons-nous faire après presque deux ans de la nomination du gouvernement Benkirane ? Il est clair qu'en s'attaquant aux principes mêmes de ce plan, on voulait délibérément signer sa mort. Au lieu de capitaliser, on a fait le choix de stigmatiser. On a complétement oublié le préscolaire, revenant sur les décisions prises ultérieurement de doter les écoles primaires de classes de préscolaire afin d'atteindre l'objectif de généralisation et d'obligation jusqu'à 15 ans. Résultat on hypothèque la réalisation de cet objectif tout en enterrant définitivement la généralisation du préscolaire, condition essentielle pour agir sur la qualité des apprentissages. Autre mesure bizarroïde prise par ce gouvernement, la fermeture des lycées de l'excellence, une volonté claire et ciblée de saper tout l'effort consenti pour stimuler l'initiative et l'excellence au lycée, mesure phare du plan d'urgence. Et enfin, pour signer le certificat de décès du plan d'urgence, on s'est pris à un troisième pilier de ce plan, la rénovation pédagogique. En arrêtant définitivement la pédagogie de l'intégration, qui a certes posé plusieurs problèmes au niveau de sa mise en œuvre, on est resté dans un flou méthodologique et pédagogique. Aucune alternative n'a été déclenchée. Ce constat est d'ailleurs clairement annoncé par le Souverain dans Son discours du 20 Août 2013 : « Par ailleurs, les gouvernements successifs se sont attachés à mettre en œuvre les préconisations de cette charte, surtout le gouvernement précédent qui a déployé les moyens et les potentialités nécessaires pour mener à bonne fin le Plan d'urgence, dont il n'a, d'ailleurs, entamé la réalisation qu'au cours des trois dernières années de son mandat. Malheureusement, les efforts nécessaires n'ont pas été entrepris pour consolider les acquis engrangés dans le cadre de la mise en œuvre de ce Plan. Pire encore, sans avoir impliqué ou consulté les acteurs concernés, on a remis en cause des composantes essentielles de ce plan, portant notamment sur la rénovation des cursus pédagogiques, le programme du préscolaire et les lycées d'excellence. » L'objectif de l'actuel gouvernement est clair, signer le certificat de décès du plan d'urgence, non pas par nécessité de réforme pour améliorer, capitaliser ou corriger, mais par simple calcul de politique politicienne, nuisible au système éducatif, et surtout dangereux pour l'avenir de la Nation.