Le premier discours à la Nation de Mohammed VI depuis le DanielGate a été consacré à la réforme de l'éducation. Posant en père de famille proche des préoccupations des marocains, le roi a déploré la dégradation du système éducatif et a attaqué l'actuel gouvernement sur sa gestion politisée du dossier. C'est pourtant bien le palais qui a chapeauté les réformes de l'éducation menées depuis 1999. Puis qui a laissé le Conseil supérieur de l'enseignement à l'abandon après le décès en 2010 du conseiller royal Meziane Belfkih. Le discours prononcé par Mohammed VI mardi soir à l'occasion de la Révolution du roi et du peuple, le premier depuis l'épisode du DanielGate, a été entièrement consacré à la question de l'éducation formation. Si l'épisode de la grâce royale du 30 juillet dernier n'a pas été abordé directement, le roi a multiplié les références à son statut de père de famille pour dresser le tableau de la situation actuelle de l'enseignement, qui, a reconnu Mohammed VI, «s'est dégradée encore davantage, par rapport à ce qu'elle était il y a plus d'une vingtaine d'années.» «[...] cette démarche émane en toute sincérité et en toute responsabilité du cœur d'un père qui, comme tous les parents, porte l'affection la plus tendre à ses enfants.», a t-il affirmé avant de poursuivre : «Si ton Serviteur ne vit pas les difficultés sociales ou matérielles que connaissent certaines catégories de la population, cher peuple, il n'en reste pas moins que nous partageons tous les mêmes préoccupations concernant l'enseignement dispensé à nos enfants, et les mêmes problèmes affectant notre système éducatif, d'autant plus que nos petits suivent les mêmes programmes et les mêmes cursus.» Le roi attaque le gouvernement Plus surprenant, le roi a attaqué frontalement l'actuel gouvernement en lui reprochant de ne pas avoir poursuivi le plan d'urgence de l'enseignement 2009-2012, lancé par l'ancien ministre (PAM) Ahmed Akhchichine. «Malheureusement, les efforts nécessaires n'ont pas été entrepris pour consolider les acquis engrangés dans le cadre de la mise en œuvre de ce Plan. Pire encore, sans avoir impliqué ou consulté les acteurs concernés, on a remis en cause des composantes essentielles de ce plan, portant notamment sur la rénovation des cursus pédagogiques, le programme du préscolaire et les lycées d'excellence.», a affirmé Mohammed VI. L'actuel ministre de l'Education, Mohamed El Ouafa (Istiqlal), avait présenté en juillet 2012 le piètre bilan des réalisations de ce plan d'urgence. Moins de la moitié de l'enveloppe totale consacrée au plan sur cette période (33 milliards de dirhams) avait alors été effectivement utilisée. La faute à El Ouafa ? Le reproche fait par le roi à l'actuel gouvernement est d'autant plus incompréhensible que le département d'El Ouafa a présenté il y a moins de trois mois au Parlement son nouveau plan d'action 2013-2016 pour l'éducation qui, selon les détails rapportés par Le Matin du Sahara, reprend mot pour mot les nouveaux objectifs énoncés... par le roi lui-même dans son discours d'août 2012, notamment la nécessité d'adopter «une nouvelle logique fondée sur la réactivité des apprenants et axée sur le renforcement de leurs compétences propres.» Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le plan d'urgence 2009-2012, réclamé par le roi en octobre 2007 lors de l'ouverture de la session parlementaire, était lui-même une réponse à l'échec du plan décennal 2000-2009 de la réforme éducative, chapeautée par le palais à travers le Conseil supérieur de l'enseignement (CSE) et dont «les gouvernements successifs» ont œuvré à la mise en œuvre comme l'a rappelé Mohammed VI mardi soir. 1999 : Meziane Belfkih aux manettes C'est en 2000 que cette grande «réforme éducative» a été lancée. Le défunt roi Hassan II avait auparavant mis en place une commission spéciale éducation-formation (COSEF), pilotée par son conseiller Abdelaziz Meziane Belfkih. Après l'accession au trône de Mohammed VI en 1999, cette commission a concocté la fameuse Charte nationale de l'éducation formation, texte fondateur qui décline les principes et objectifs de la «nouvelle école marocaine». Les préconisations de la charte devaient être mises en œuvre sur un délai de 10 ans (2000-2009), c'est la «Décennie de l'éducation» proclamée par Mohammed VI en 1999 et élevée au rang de «première cause nationale après l'intégrité territoriale». A l'instar des autres secteurs sociaux (santé, lutte contre la pauvreté), le palais a ainsi pris le dossier de l'éducation en main et l'a «dépolitisé» en confiant le suivi de la réforme au COSEF et au Conseil supérieur de l'enseignement (présidé par Mohammed VI), tous deux dirigés par le conseiller royal Meziane Belfkih. Le palais a créé en parallèle la Fondation Mohammed VI pour l'éducation formation, elle aussi dirigée par Meziane Belfkih jusqu'à son décès en 2010. Arrêt du CES depuis le décès de Meziane Belfkih Les premières études réalisées par le ministère de l'Education, le CSE ou l'UNESCO pour tirer un bilan de cette Décennie de l'éducation, indiquent que si des résultats quantitatifs ont pu être observés sur certains indicateurs, comme le taux de scolarisation, les réformes successives ont échoué à améliorer la qualité de l'enseignement et l'égalité des chances. L'UNESCO préconise dès 2009 de s'atteler à l'élaboration d'un nouveau programme décennal, une deuxième phase censée prendre la suite du plan d'urgence et axée cette fois sur la qualité, les résultats et la gouvernance. Or, pendant la durée de la mise en œuvre du plan d'urgence, de 2009 à 2012, rien n'indique qu'une réflexion a été menée en parallèle par le gouvernement El Fassi ou le cabinet royal pour élaborer un nouveau programme à moyen ou long terme. Il faut dire que le décès de Meziane Belfkih en mai 2010 a mis un sérieux coup de frein à la réforme. Non seulement «l'architecte» du programme disparaissait mais son non-remplacement jusqu'à aujourd'hui à la tête du CSE, du COSEF et de la Fondation Mohammed VI semble avoir nui à la bonne exécution du plan. «Le Conseil supérieur de l'enseignement qui devrait assurer le suivi et le contrôle du plan d'urgence a arrêté ses travaux depuis la mort de Meziane Belfkih», expliquait1 en août dernier Saïd Mendares, vice-secrétaire général de la fédération de l'enseignement, affiliée à l'UNTM. Pour tenter de rectifier le tir, et alors que l'actuel gouvernement a déjà présenté son plan 2013-2016, Mohammed VI a annoncé mardi soir la nomination de son conseiller Omar Azziman à la tête du CSE et lui a confié la tâche «d'assurer l'évaluation des réalisations accomplies dans le cadre de la décennie de la Charte nationale d'Education et de Formation et de se pencher sur ce grand chantier national.» 1 L'Economiste N° 3840 du 2012/08/03