« Le peuple veut .......... ! ». Si on doit au « DanielGate », le retour de ce slogan qui terrifie tant les tyrans et leur coûte quelques insomnies, c'est le contexte général dans lequel il a éclaté qui mérite analyse. Il est dans les prérogatives du roi d'accorder sa grâce à un certain nombre de condamnés, à l'occasion des fêtes religieuses ou nationales. Sauf que cette année, la mesure s'inscrivait dans un cadre tout particulier, puisqu'il s'agissait pour le régime marocain, de faire oublier la parenthèse du « Vingt février », pour écrire un nouveau chapitre de la dictature. Deux signes confirment cette tendance : le premier est l'euphorie qui a suivi la contre-révolution en Egypte, le second est le discours du trône du 30 Juillet 2013. Contre-révolution et retour de la tyrannie En Egypte, la contre-révolution a confisqué la victoire du soulèvement populaire, au plus grand ravissement des régimes despotiques, ravivant chez ces derniers l'espoir d'en finir définitivement avec le Printemps arabe. J'en veux pour preuve, que la majorité de ces dictatures se sont engouffrées dans la brèche, qui, pour soutenir financièrement la contre-révolution comme pour les pays du Golfe, qui, pour en applaudir les artisans, comme pour le Maroc. Le succès du coup militaire en Egypte a sans aucun doute renforcé, auprès des dictateurs, le sentiment que l'onde de choc du printemps s'estompait et que le moment était propice à une reprise en main des réformes consenties, sous l'empire de la panique ayant suivi la chute de Benali, de Moubarak, de Kadhafi et d'Ali Saleh. La monarchie parlementaire, un vœu pieux Depuis le début de la contestation au Maroc, le 20 Février 2011 et jusqu'au 30 Juillet 2013, le roi aura prononcé de nombreux discours. Mais deux d'entre eux, retiennent tout particulièrement l'attention car ils constituent chacun un tournant majeur, dans la position du régime, face aux revendications de la rue. Il s'agit de celui du 17 Juin 2011 et celui du 30 Juillet 2013. Le 17 Juin 2011, Mohammed VI consacrait une allocution au projet de Constitution, élaboré par Abdellatif Manouni et sa commission. On y apprenait que la nouvelle Constitution « se distinguait tant par la méthodologie de son approche, que par son fond et sa forme ». Sur le fond, le roi affirmait que le modèle reposait « sur deux piliers complémentaires, l'un de l'autre. Le premier pilier traduisant l'attachement aux constantes immuables de la Nation marocaine, le second traduisant la volonté de conforter et de consacrer les attributs et les mécanismes qu'induit le caractère parlementaire du régime politique marocain. Celui-ci, en effet, repose, dans ses fondements, sur les principes de souveraineté de la Nation, la prééminence de la Constitution, comme source de tous les pouvoirs, et la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes. Tout cela s'inscrit dans un schéma constitutionnel efficient et rationnel, qui est foncièrement propre à garantir la séparation, l'indépendance et l'équilibre des pouvoirs, et qui a vocation à assurer la liberté et le respect de la dignité du citoyen. » Ce discours qui semble confirmer une préférence pour un système de "monarchie parlementaire", restera vœu pieux. Loin de la coupe aux lèvres Le système parlementaire signifie que le Chef du gouvernement dispose de prérogatives pleines et entières. Il ne peut s'accommoder de la présence d'une tierce «autorité» qui présiderait des Conseils supérieurs, échappant au contrôle du Chef de Gouvernement. Il ne suffit pas de stipuler dans la constitution que «la responsabilité est liée à la reddition des comptes » pour que le régime soit qualifié de parlementaire, encore faut-il que dans la réalité, aucune autorité ne puisse échapper à la reddition des comptes. Si le discours du 17 juin 2011 a eu pour contexte un printemps arabe en plein bourgeonnement, quel ton allait adopter Mohammed VI, pour s'exprimer après le coup d'Etat militaire égyptien, le renversement de situation en Syrie, les balbutiements au Bahreïn et la transition chaotique en Libye et en Tunisie? Le grand retour de la monarchie exécutive Le discours du 30 juillet 2013 allait apporter la réponse sous la forme d'un changement radical de ton: « Au cours de cette marche, tous les gouvernements précédents ont déployé, sous notre impulsion, des efforts méritoires pour donner corps à notre vision en matière de développement et de réforme. Tant et si bien que notre gouvernement actuel a trouvé entre ses mains, dans le domaine économique et social, un héritage sain et positif, constitué d'actions constructives et de réalisations tangibles. Nous ne pouvons donc que l'encourager à aller de l'avant avec autant de volonté et de détermination, pour réaliser davantage de progrès, dans le cadre du processus vertueux engagé sous notre conduite. Nous avons la ferme volonté de maintenir le cap pour parachever les institutions constitutionnelles et répondre aux impératifs de bonne gouvernance. La volonté qui nous anime à cet égard n'a d'égale que Notre détermination à persévérer pour donner corps à notre projet sociétal alliant croissance économique pérenne, développement durable et solidarité sociale. ». Un discours qui tranche sévèrement avec celui du 17 juin 2011 et qui penche plutôt en faveur d'une monarchie exécutive. Deux indices le démontrent : - La phraséologie d'abord, avec ces nombreuses références à la personne du roi, avec pêle-mêle, les directives du roi, la vision du roi, les options du roi, le projet du roi et le gouvernement du roi. - Le fond ensuite, avec un gouvernement, réduit à la quantité négligeable, celle d'un pare-choc politique et auquel il n'est fait allusion que comme courroie de transmission des directives, venues d'en haut : « Nous ne pouvons donc que l'encourager à aller de l'avant avec autant de volonté et de détermination, pour réaliser davantage de progrès, dans le cadre du processus vertueux engagé sous notre conduite. » Le roi persiste donc et signe à dominer le champ politique et à superviser l'action gouvernementale, ce qui en termes juridiques, signifie contrôler. Or, dans n'importe quelle monarchie parlementaire, (toutes sont par ailleurs synonymes de pays développés), le contrôle de l'action gouvernementale revient exclusivement au parlement démocratiquement élu, sinon à confisquer au peuple les moyens juridiques et constitutionnels d'exercer ses droits. Le discours du 30 Juillet 2013 prétend renouer avec la bonne vieille monarchie exécutive dans toute sa splendeur et les dérives qui l'accompagnent. Le retour en force du « Fait du Prince » C'est dans le contexte euphorique de la contre-révolution égyptienne, qu'est intervenue la grâce du pédophile espagnol. Une grâce choquante, traumatisante, née de la conviction que le printemps est bel et bien mort et enterré et que le « Vingt février » est à l'agonie, la monarchie ayant cru bon en profiter pour renouer avec « le fait du prince ». Plusieurs faits semblent le confirmer, comme cette déclaration gouvernementale passée quasiment inaperçue, au lendemain de la manifestation contre la grâce royale, et dans laquelle le ministre de l'Intérieur avoue n'avoir jamais donné l'ordre de réprimer par la force. Dès lors, on est en droit de s'interroger sur l'entité qui se permet, au mépris de toute légalité, de donner aux forces de police l'instruction de matraquer des citoyens manifestant pacifiquement. En d'autres termes, nous sommes face à la sempiternelle question : qui gouverne le Maroc ? Tout comme le diable qui se cache dans les détails, la réponse se trouve, sans doute, dans cette phrase du discours du 30 Juillet 2013 : « Nous avons la ferme volonté de maintenir le cap pour parachever les institutions constitutionnelles et répondre aux impératifs de bonne gouvernance »... En réalité, les événements auxquels nous assistons, confortent le sentiment général que la théorie de « la révolution par les urnes » a montré ses limites. Ses partisans seraient donc bien inspirés de reconnaitre leur l'échec et d'en tirer les conséquences, en reconnaissant avec courage et dignité qu'ils ont échoué contre l'implacable machine du Makhzen qui n'hésite désormais plus à agir à visage découvert. « Le peuple veut..... » ou « Le fait du Prince » ? Plus que jamais, le questionnement du « Vingt février » sur la nature même du système politique marocain et ses revendications pour une indépendance de la justice restent d'une cruelle actualité. Les manifestations qui ont suivi la grâce du pédophile constituent une victoire sans précèdent dans l'histoire contemporaine marocaine. La seule fois où la monarchie a reculé, sur une décision de « souveraineté », sous la pression de la rue. « Le peuple veut...... », aura été la plus belle réponse au « fait du Prince ». Les manifestations de colère qui ont suivi la grâce, ne constituent pas un événement ex-nihilo, mais procèdent bien d'une lutte de plusieurs décennies entre le camp « liberté, dignité et justice sociale », et le camp « corruption, despotisme et soumission ». En cela, la victoire remportée par les marocains, en cet été 2013, appelle désormais une suite. Autant dire qu'il y aura un avant et un après « DanielGate ». Un jalon supplémentaire dans la lutte de notre peuple pour arracher sa liberté. Traduction de l'Arabe : Ahmed Benseddik