Les Libanais considèrent depuis longtemps le Hezbollah comme un Etat dans l'Etat mais, depuis son implication militaire en Syrie et son intervention brutale du week-end dernier à Beyrouth, ils se sentent plus que jamais otages du mouvement chiite pro-iranien. Quand une centaine de manifestants pacifiques ont tenté de se rassembler dimanche devant l'ambassade d'Iran à Beyrouth pour dénoncer l'implication militaire de Téhéran et du Hezbollah aux côtés des forces gouvernementales en Syrie, il n'a fallu que quelques minutes aux miliciens chiites pour intervenir. Le petit groupe a été dispersé à la matraque par des hommes vêtus de noir et arborant le brassard jaune du "Parti de Dieu". Des coups de feu ont été tirés. Un manifestant a perdu la vie. Dans un pays toujours profondément marqué par la guerre civile de 1975-1990, voir les hommes du Hezbollah célébrer la prise de Koussaïr, verrou stratégique que tenaient les insurgés syriens entre la frontière libanaise et la ville de Homs, ou tirer sur des manifestants en plein Beyrouth, a de quoi inquiéter de nombreuses communautés libanaises. "Ce à quoi nous assistons est très dangereux : des affrontements armés, un processus d'affaiblissement de l'Etat, la mort d'un manifestant. C'est une guerre à basse intensité qui est en cours", analyse Fawaz Gerges, spécialiste du Moyen-Orient à la London School of Economics (LSE). En s'engageant militairement derrière Assad en Syrie, le Hezbollah, qui juge que ce qui se joue dans ce conflit est un "plan conçu par l'Amérique et l'Occident", a en partie permis aux forces gouvernementales de reprendre l'initiative face aux rebelles. Mais le mouvement créé en 1982 à Damas et armé par l'Iran pour combattre la présence militaire israélienne a du même coup porté atteinte à son statut de force de résistance à Israël ayant poussé les Israéliens au retrait du Sud-Liban au printemps 2000. Après la confirmation officielle de son engagement en Syrie par son chef, Hassan Nasrallah, fin mai, l'ancien Premier ministre sunnite Saad Hariri estimait ainsi que le Hezbollah avait renoncé à sa mission de "résistance" et "annoncé son suicide politique et militaire à Koussaïr". Pour l'éditorialiste Sarkis Naoum, "l'Etat dans l'Etat du Hezbollah existe déjà". Ce qui s'est passé dimanche, dit-il, "démontre que s'ils sont défiés, ils descendront dans la rue. Ils ont écrasé cette manifestation pour qu'elle ne se reproduise pas ailleurs". Sur les réseaux sociaux, de nombreux commentaires dénoncent la mort d'Hashem Salman, tombé dimanche sous les balles des miliciens hezbollahis. Le jeune homme appartenait à Intima, un mouvement chiite hostile au Hezbollah. "Le Hezbollah a déjà perdu beaucoup de terrain. Pas militairement. Mais sur le terrain du soutien populaire des indépendants et de la majorité silencieuse. Perdre ce soutien conduit à la défaite. Cela va les hanter parce qu'il n'y avait aucune menace contre la sécurité", affirme Fawaz Gerges. Pour ce spécialiste du Moyen-Orient, Nasrallah a peut-être commis une erreur en s'engageant dans le conflit syrien et en contribuant à la "confessionnalisation" de la guerre civile entre les alaouites - une branche de l'islam chiite à laquelle appartient Assad - et les sunnites. "La division entre les musulmans chiites et sunnites est aussi profonde et aussi large que les lignes de fracture entre les Arabes et les Israéliens, et la déclaration de Nasrallah est extrêmement évocatrice des tempêtes très violentes et menaçantes qui se développent dans les terres arabes", poursuit Gerges. Le Hezbollah, déjà inscrit sur la liste américaine des entités jugées terroristes, s'expose à de nouvelles sanctions des puissances occidentales. Son implication en Syrie a été condamnée par la Ligue arabe. Plusieurs monarchies sunnites du Golfe se sont engagées lundi à sanctionner les membres du Hezbollah résidant dans la région. Dans les opinions publiques arabes, un courant hostile monte contre un mouvement désormais associé à la défense du régime syrien et considéré comme une émanation des Gardiens de la révolution iranienne plus prompte à défendre les intérêts de Téhéran que les inquiétudes libanaises. Le Hezbollah, seule faction libanaise autorisée à conserver ses armes après la guerre civile, affirme qu'il ne se laissera pas entraîner dans une nouvelle guerre confessionnelle au Liban, où aucune autre organisation ne rivalise en matière de puissance militaire. Mais le danger pourrait venir de groupes liés à Al Qaïda et présents dans le nord comme dans le sud du Liban, relèvent des sources au sein des services de sécurité. À Saïda, une ville côtière dans le sud du pays où plusieurs incidents violents se sont produits ces dernières semaines, un imam salafiste, Ahmed Al Assir, le défie depuis plusieurs mois déjà.