Faut-il voir dans la liberté provisoire accordée à Khalid Alioua, ancien PDG du CIH, un quelconque privilège, ou s'agit-il tout simplement d'une justice qui a fini par fonctionner comme elle le devrait dans un Etat de droit ? Khalid Alioua, poursuivi pour “dilapidation des deniers publics", a été remis en liberté provisoire, mais placé sous contrôle judiciaire avec retrait du passeport et interdiction de quitter le territoire national. Au regard de la nouvelle Constitution qui instaure l'indépendance de la justice et le principe de la présomption d'innocence et, compte tenu de l'esprit de la loi où la règle est de faire bénéficier le suspect d'une liberté provisoire alors que l'exception est de l'écrouer, on peut avancer, loin de toute surenchère, que la justice a enfin fait son travail. Pour deux raisons. La première est que la détention préventive qui est une mesure exceptionnelle et grave, n'est ordonnée qu'à certaines conditions prévues par le Code de la procédure pénale: Lorsque la liberté provisoire constitue “une menace à l'ordre public, une menace à la sécurité de la personne ou une atteinte au bon déroulement du procès". Au fait, la mesure est prononcée pour s'assurer de la personne suspecte, l'empêcher de commettre de nouvelles infractions ou de faire disparaître les preuves du délit. Dans ce cas, l'autorité judiciaire qui ordonne la détention préventive, justifie son acte par le fait que les griefs retenus contre le suspect sont assez graves et que sa remise en liberté pourrait soit constituer une atteinte à la sécurité et à l'ordre publics, soit compromettre le bon déroulement de l'instruction. Dans le cas de Khalid Alioua, nous sommes, de toute évidence, très loin de ce scénario. La seconde raison est que le suspect Alioua réunit toutes les conditions requises pour pouvoir jouir de la liberté provisoire en attendant de comparaître devant un tribunal. Le Code de procédure pénale arrête en effet plusieurs mesures alternatives qui dispenseraient le parquet et le juge d'instruction d'envoyer les suspects en prison. Parmi ces mesures alternatives figurent le contrôle judiciaire, la caution personnelle, ou encore la caution pécuniaire. Nul doute que, pour le cas Alioua, ces garanties sont très faciles à obtenir, compte tenu de son rang social, de son statut d'ancien haut responsable de l'Etat et de sa qualité politique. Il peut arriver que l'autorité judiciaire compétente, faisant valoir son pouvoir discrétionnaire, ordonne dans un premier temps la détention préventive le temps de s'assurer de la réunion des garanties requises, dont celles liées aux besoins de l'instruction du dossier, et se prononce ensuite en faveur de la liberté provisoire. Peut-être que c'est ce qui s'est produit. C'est juste une supposition mais que conforte un précédent similaire, celui de l'affaire Taoufik Ibrahimi, ex-PDG de la Comanav, placé d'abord en détention préventive, puis remis en liberté provisoire une fois l'instruction bien avancée, avant d'être jugé. La présomption d'innocence devant prévaloir, personne n'a le droit de condamner une personne avant le prononcé du verdict final par la justice. Or, estimer que la remise en liberté provisoire d'un suspect constitue un privilège, équivaudrait à le condamner d'avance alors qu'aux yeux de la loi il est encore innocent ; la liberté provisoire étant d'abord un acquis lorsque aucune raison objective ne vient l'entraver. De la même façon, toute interprétation fondée sur des considérations politiques n'est que surenchère, surtout en présence d'éléments objectifs légitimant la décision de justice. Enfin, force est de relever qu'à l'heure du chantier de réforme de la justice, un vend de changement commence à souffler, on le sent, particulièrement du côté des mentalités. La décision concernant Khalid Alioua est, à ce propos, un indice positif d'une certaine prise de conscience sur la nécessité de donner à la liberté provisoire toute sa dimension légale, légitime et de droit. Sur la nécessité de donner aux nouvelles dispositions de la Constitution relatives à la justice leur véritable signification. Jusqu'ici, la détention préventive, pourtant mesure exceptionnelle, était devenue la règle où on écroue d'abord l'accusé et on étudie après son dossier pour savoir s'il mérite ou non la liberté provisoire. Les signes de renversement de la tendance commencent à se faire valoir et ce n'est que justice.