Si l'humour est « la politesse de l'intelligence », « l'autodérision est l'intelligence du désespoir ». Tel semble être l'« étant angoissé » de Noureddine Bikr qui en a fait le paradigme central de son existence. Happé par la scène à l'âge où les gamins jouent à « haba » et au ballon confectionné de chiffons, ce sexagénaire largement consumé par les galères, quatre fois grand-père, vient de nous livrer un spectacle proprement ahurissant. En effet, « La vie d'un artiste » (*) est une combinaison heureuse, la première du genre au Maroc, entre le théâtre et le cinéma. Driss Chouika s'est essayé là à un « quatrième mur » difficilement franchissable. Le réalisateur de « Mabrouk » l'a élégamment franchi, qui plus est avec une maestria rarement vue ces dernières années dans notre pays. De quoi s'agit-il donc ? Consacrée, sinon sacrifiée à l'amour du théâtre, la vie de Noureddine Bikr est déroulée par le premier concerné avec un sarcasme et une autodérision affligeants. C'est là où intervient le trait de génie de Driss Chouika qui met son expertise cinématographique au service de ce one man show autobiographique en installant une interactivité créative entre l'écran et la scène. Des dialogues tour à tour poignants, saignants, malicieux ou désinvoltes entre la personne et le personnage, le comédien et ses objets de dérision. On devine alors les personnages de Seddiki, Badaoui...etc. Ceux-là mêmes qui kidnappèrent naguère le puceau Bikr à la sortie de son enfance pour en faire l'immense comédien qu'il est devenu tout au long du demi-siècle écoulé. Le texte est jalonné de trouvailles astucieuses. Un sens de la formule et des piques dignes de feu 3zizi, Saïd Seddiki, pour ne pas le nommer. Chouika s'est ainsi mis, techniquement, matériellement et humainement au service de ce qui ressemble fort à l'œuvre ultime de Bikr. « Je sais que je devais jouer cette narration de mon parcours dramaturgique, souvent dramatique, étant convaincu que mon capital vital est quasiment épuisé et que cela représente une sorte de révérence tirée à la scène avant mon départ chez l'Eternel. Un testament, dirais-je », claironna-t-il entre deux bouffées de tabac roulé. « C'est un adieu à la fois à la scène et à la vie », conclut-il avant de soupirer : « Qu'Allah comble de sa miséricorde Si Mohamed Majd !» (*) En tournée dans les complexes culturels des villes phosphatières et partout au Maroc