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Abdelkader El Badaoui : "Ceux qui se considèrent comme mes ennemis sont en fait des ennemis de mes principes"
Publié dans La Gazette du Maroc le 07 - 11 - 2006

Infatigable Abdelkader ! Soixante ans de carrière à traîner derrière lui, et toujours bon oeil bonne dent ! Une carrière aussi longue -- et aussi remplie -- peu de comédiens marocains, d'artistes en général, peuvent lui disputer le ballon sur ce terrain-là. Et, malgré toutes les critiques qu'on puisse lui adresser parfois, quant à une certaine orientation de ses oeuvres, El Badaoui demeure toutefois incontournable lorsqu'il est question de tracer l'historique du Théâtre marocain. Il a un style qui lui est particulier. Tout comme c'est le cas pour les Seddiki, El Aâlej, Chekroune, Ouzri, et autres.
Le style et la personnalité artistique du bonhomme sont un peu controversés, voire dénigrés par ses confrères qui ne le portent pas dans leur coeur ! Il n'en demeure pas moins que le père El Badaoui est toujours là, omniprésent, luttant contre vents et marées, dopé dans son action par une expérience de plus de six décennies sur les planches. Un record dont il peut s'en orgueillir d'ailleurs. Sur cette question et sur d'autres sujets variés, il n'a pas hésiter à nous livrer ses impressions.
L. G. M : De prime abord, dites-nous depuis combien d'années vous vous produisez sur scène ?
A. El Badaoui : Exactement, depuis 1946. Je célèbre cette année mon 60è anniversaire sur scène.
De tout ce temps-là, quel est le plus beau souvenir (artistique ou autre) que vous gardez toujours en mémoire ?
Le plus beau souvenir, en réalité, c'est la première pièce théâtrale que j'ai interprétée et que le public garde encore en mémoire.
... Et le plus mauvais souvenir ?
C'est le jour où le ministre actuel de le Culture a fait arrêter les activités de notre Festival d'Ifrane qui était à sa 30è édition...
Il est clair que vous avez tout donné au Théâtre, que vous a-t-il donné, lui, en contrepartie ?
Le théâtre m'a beaucoup donné. Il m'a rendu une partie de l'Histoire de mon pays, un rôle dans l'histoire de la culture de ma société et l'amour du public qui n'a pas de prix.
Vous campez, le plus souvent, des rôles d'hommes d'affaires, de bonhomme très aisé dans les feuilletons télévisés.
Qu'est-ce que cela vous fait intérieurement, vous qui êtes de condition assez modeste ?
Je suis un comédien avant tout. Durant mes longues années sur scène ou devant la caméra, j'ai joué tous les genres : riche et pauvre, gentil et méchant,... Mais, hors scène, je suis Abdelkader El Badaoui.
A propos de télévision, vous est-il arrivé un jour de refuser un rôle important qui ne vous a pas plû, pour une question de principe ?
J'ai refusé plusieurs rôles de théâtre (à la télé) et de cinéma pour des questions de principes et d'opinions.
Avez-vous beaucoup, peu ou pas d'ennemis dans le domaine ?
Personnellement, je ne considère personne comme étant mon ennemi et je crois au dialogue. Et ceux qui se considèrent comme mes ennemis sont des ennemis de la société, car ils sont ennemis de mes principes. Et mes principes sont la défense de l'identité de ce pays.
Dans la vie, si quelqu'un cherche à vous faire du mal, à vous nuire, est-ce vous vous empressez de l'affronter de face pour vous défendre ou est-ce que vous cherchez à l'éviter tout en laissant au temps le soin de prendre la revanche à votre place ?
Eh bien, dans un cas pareil, j'affronte de face pour défendre ma dignité et mes principes.
Un mot sur ces trois hommes des planches qui ne sont plus parmi nous et qui sont presque oubliés maintenant : Mohamed Abou Saouab, Larbi Doghmi et Abdeslam Laâmrani ?
Les trois étaient malheureusement oubliés avant même leur disparition ! Mais l'Histoire s'en souviendra comme elle se souviendra d'une centaine de martyrs de notre théâtre depuis 1920.
Si vous n'êtiez pas comédien, pour quelle autre discipline artistique votre coeur aurait-il balancé ?
Je ne me vois pas autrement qu'un homme de théâtre...
A propos de choix, entre la Première et la Deuxième chaîne, avez-vous une quelconque préférence ?
La question qui se pose, c'est plutôt laquelle des deux veut collaborer avec le théâtre des Badaoui...
Vous vient-il à l'esprit d'arrêter de vous produire sur scène et prendre votre retraite artistique ? Si oui, à quel âge ?
J'ai toujours refusé d'être fonctionnaire dans le secteur du Théâtre, pour pouvoir faire passer mes idées sans qu'aucun organisme ne m'empêche de le faire. Maintenant, je paie le prix de ce choix car si j'ai besoin de cette retraite méritée, je ne peux pas l'avoir puisque je suis obligé de travailler pour survivre, alors que d'autres ont choisi d'être fonctionnaire, profiter des circonstances et jouïr de leur retraite.
Un conseil à donner aux jeunes comédiens qui commencent à se frayer leur chemin ?
Cette jeunesse doit être instruite et bien cultivée. Les jeunes ne doivent pas participer dans des productions qui touchent l'identité de notre pays sous prétexte d'être dans le besoin financier...
Un artiste prétentieux, ça vous inspire quel sentiment ?
Qu'il reste prétentieux ! Car, tout simplement, ce n'est pas un artiste.
Un plaisantin a dit une fois que “dans la vie, il faut choisir entre gagner de l'argent et le dépenser !”. En ce qui vous concerne, quel est le choix à faire ?
A mon avis, le meilleur choix est le juste milieu.
Etes-vous du genre qu'un admirateur puisse aborder facilement dans la rue pour un autographe ou une photo ? Et que pensez-vous de ces vedettes qui refusent une telle petite et légitime faveur à leur public ?
Depuis le début de ma carrière, j'ai toujours été prés de mon public et vice-versa et ceux qui refusent que le public les aborde, c'est qu'il n'ont pas de public !
Abdelkader est-il du genre que les critiques négatives ou les mauvaises langues démoralisent facilement ?
Depuis toutes ces années de carrière, j'ai appris à écouter les personnes crédibles et à ignorer celles qui ne le sont pas.
Où en est actuellement votre relation avec Abderrzak Badaoui ?
Abderrazak El Badaoui est mon frère et il le restera toujours.
On dit de la Troupe du Théâtre National qu'elle doit sa notoriété à Mohamed El Jem. Sans lui, tiendra-t-elle encore le coup, selon vous ?
D'abord, c'est la Troupe du Théâtre Mohammed V et pas du Théâtre national car on n'a pas de Théâtre national au Maroc. Ensuite, en ce qui est de la personne que vous avez citée, sachez que sans la Troupe du Théâtre Mohammed V qui puise dans l'argent du contribuable et sans les comédiens de renom qui l'entourent, cette personne n'existera même pas dans ce domaine !
Sans détour, quelle est la question la plus gênante qu'Abdelkkader Badaoui n'aimerait pas qu'on lui pose ?
Pour vous dire, durant toute ma vie, je n'ai entendu que des questions gênantes !
Donc, je ne pense pas qu'après 60 ans de carrière, il en reste encore une qui n'ait pas été posée !


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