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Maintien de l'ordre public et protection des droits de l'Homme au Sahara marocain
Publié dans L'opinion le 07 - 02 - 2013

Bien que la culture des droits de l'Homme ait acquis ses titres de noblesse au cours de la seconde moitié du XXème siècle et qu'elle se soit depuis imposée comme véritable corollaire de l'Etat de droit, il demeure un paradoxe soulevé par son rapport au concept même d'Etat. En effet, si celui-ci est une institution inhérente au passage de l'état de nature à l'état de culture, et donc à l'établissement d'un certain nombre de règles, dont le respect permet d'assurer la sécurité de tous, les droits de l'Homme tendent, d'un point de vue purement idéologique, à s'opposer à toute forme de limitation de la liberté originelle de l'être humain. Il peut ainsi arriver, à titre d'exemple, que les forces légitimes et souveraines de l'Etat soient mises en tort, alors même que les institutions et les agents de l'Etat détiennent le monopole de la contrainte physique légitime.
C'est là qu'intervient le concept d'ordre public, dont la définition en elle-même nous éclaire, et démontre que le paradoxe mentionné précédemment n'en est un qu'en apparence, et qu'il relève davantage du dogme. De cette manière, on entend par ordre public l'état d'une société au sein de laquelle « (...) règnent la sûreté, la sécurité, la salubrité publiques », mais également et au même titre « (...) la dignité de la personne humaine, ainsi que le bon fonctionnement des services publics ». D'autre part, au vu de sa nature même, la préservation de l'ordre public nécessite parfois « (...) des mesures de restriction des libertés individuelles ». Ainsi, une certaine forme de militantisme, qui a tendance à systématiquement condamner les actes des autorités, pourtant légaux, est davantage portée par des préoccupations purement idéologiques ou politiques, dans la mesure où la préservation de la dignité humaine, qui incombe aux pouvoirs publics, sous-tend la démarche de tout défenseur des droits de l'Homme.
Appliqué au cas du Maroc, et plus précisément à la question du Sahara marocain, ce raisonnement apporte une grille de lecture permettant de mieux comprendre les motivations réelles des différents acteurs. Bien que la question de la corrélation réussie entre le maintien de l'ordre public et la garantie des droits de l'Homme soit clairement universelle et concerne, plus ou moins, tous les régimes politiques, le cas du Sahara marocain se révèle particulier. En effet, le contexte y est singulier, puisque ce territoire est revendiqué par un groupe séparatiste armé, le Front Polisario, lequel est soutenu par le voisin algérien. De plus, la région du Sahara est suivie de près par la Communauté internationale et par un certain nombre d'Etats observateurs, qui y examinent et commentent la situation sécuritaire, au même titre qu'ils rendent compte de la situation des droits de l'Homme. Il conviendra alors de se demander comment le Maroc peut, dans de telles circonstances, concilier efficacement entre les droits et libertés des individus et les droits de la société comme ensemble. Nous nous appuierons au cours de cette contribution sur un exemple précis : le démantèlement du camp de Gdeim Izik près de Laâyoune par les autorités marocaines, le 8 novembre 2010. Cette affaire, en plus d'avoir fait couler beaucoup d'encre, constitue un cas de figure idoine à la démonstration que nous mènerons ici.
Nous verrons donc dans un premier temps qu'il n'existe aucune contradiction, entre la mission sécuritaire et la protection des droits fondamentaux, et que le maintien de l'ordre public au même titre que la protection des droits de l'Homme et la garantie des libertés individuelles, sont de la responsabilité de l'Etat, qui ne peut mener l'une de ces missions sans l'autre. Nous montrerons par la suite que l'équilibre entre les positions nationales et internationales sur ces questions, bien que difficile et subtil, est tout à fait réalisable.
La double responsabilité de l'Etat
De manière générale, tous Etat a, vis-à-vis de ses citoyens et sur son territoire national, l'obligation d'assurer la sécurité de tous, en prenant les dispositions nécessaires au regard du maintien de l'ordre public. La définition donnée précédemment de l'ordre public comprend donc, en plus de la sécurité des personnes et de la sûreté publique, l'idée de protection de la dignité de la personne humaine, constitutionnalisée au Maroc depuis 2011. En effet, il est cité dès le préambule de la nouvelle Loi Fondamentale du Maroc que ce dernier « (...) développe une société solidaire où tous jouissent de la sécurité, de la liberté, (...) du respect de leur dignité », tout en réaffirmant « (...) son attachement aux droits de l'Homme tels qu'ils sont universellement reconnus ».
C'est dans ce contexte institutionnel national que les forces de l'ordre marocaines ont été tenues de réagir pour démanteler le camp de Gdeim Izik, le lundi 8 novembre 2010, puisqu'en plus de l'illégalité de cette installation, composée de « (...) milliers de tentes installées sur la route de Smara [qui] s'est transformée en une zone de non-droit », les témoins rapportent qu'il abritait « (...) des trafiquants en tous genres (...) utilisant (...) femmes et enfants comme boucliers humains », lançant « (...) des cocktails Molotov et des pierres tout en scandant des slogans pro-Polisario ». Les casseurs qui ont envahi la ville de Laâyoune étaient armés et « (...) ont tout dévasté sur leur passage », incendiant des voitures et détériorant des bâtiments publics. Ces émeutes ont tout de même causé de la manière la plus sauvage qui soit, la mort de neuf agents des forces de l'ordre marocaines. Face à une telle situation, la question de leur intervention s'impose comme une évidence et une nécessité. Or, compte tenu des réactions de certains organismes internationaux et de l'acharnement de la presse pro-Polisario, le gouvernement marocain a dû justifier son action, puisque son porte-parole déclarait au lendemain du démantèlement du camp que « Devant une situation déliquescente, les pouvoirs publics ne pouvaient qu'intervenir pour rétablir l'ordre ».
Une telle déclaration, est clairement en décalage avec la gravité de la situation sécuritaire, ce qui s'explique notamment par le contexte singulier du différend saharien. En effet, bien que le Maroc n'ait exercé que ses fonctions régaliennes et souveraines légitimes, l'existence d'un conflit territorial entretient dans l'esprit de l'observateur, face au traitement trompeur des incidents par la presse pro-Polisario, une certaine confusion, largement exploitée par les parties intéressées. Dans ce sillage, et comme l'a affirmé Mme Khajdija Mohsen Finan, professeur à Sciences-po, « (...) les revendications [des manifestants] sont sociales, mais le fait même qu'elles émanent de ce territoire les rend politiques ». Ainsi, il est possible d'affirmer que ce n'est pas l'autorité ni la légitimité des forces de l'ordre marocaines qui sont directement remises en cause, mais la perception de leur action qui se retrouve brouillée par les canaux de la communication dolosive, polisarien et algérien.
Et c'est justement pour influencer l'opinion publique internationale en défaveur du Maroc que le Polisario a choisi de fonder son discours relatif aux événements de Gdeim Izik sur le non -respect des libertés individuelles et des droits de l'Homme par l'appareil sécuritaire marocain, jouant sur l'opposition apparente entre le devoir de maintien de l'ordre public et l'obligation de garantir les droits et libertés fondamentaux qui incombent à tout Etat de droit. Or, de manière générale, le maintien de l'ordre public est indispensable à l'exercice des droits et libertés fondamentaux, et donc, par voie de conséquence, les pouvoirs publics peuvent se trouver face à des situations où ils sont tenus de limiter leur étendue, dans le but ultime de sauvegarde de l'ordre public, dans un cadre légal précis. Ainsi, la loi marocaine, à laquelle sont soumises les forces de l'ordre, opère les arrangements nécessaires à l'équilibre entre le maintien de l'ordre public et le respect des droits et libertés. En effet, la Constitution marocaine prévoit en son article 6 que « La loi est l'expression suprême de la volonté de la nation. Tous, personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant elle et tenus de s'y soumettre. Les pouvoirs publics œuvrent à la création des conditions permettant de généraliser l'effectivité de la liberté et de l'égalité (...) », de même qu'elle dispose en son article 21 que « Les pouvoirs publics assurent la sécurité des populations et du territoire national dans le respect des libertés et droits fondamentaux garantis à tous ».
Ainsi, ces dispositions constitutionnelles viennent établir un cadre normatif clair à l'action des forces de l'ordre nationales, et s'inscrivent dans une perspective nouvelle qui est celle de la mise en place d'une véritable gouvernance sécuritaire, notamment dans les provinces du sud, en réaction notamment aux événements de Gdeim Izik et pour permettre une meilleure perception, sur la scène internationale, de leur action. En effet, et conformément aux recommandations formulées par l'Instance Equité et Réconciliation (IER), le Maroc a procédé à la rationalisation de sa politique sécuritaire, notamment en « (...) en prenant en considération (...) la culture des droits de l'Homme et l'utilisation des acquis dans le domaine », à travers, en l'occurrence, « La mise en place des programmes de sensibilisation et de formation continue au profit des cadres du Ministère de l'Intérieur, des éléments de la sécurité nationale, des forces auxiliaires et la protection civile », conformément à la Convention signée entre le Conseil Consultatif des Droits de l'Homme et le Ministère de l'Intérieur. La mise en œuvre de cette stratégie va donc consolider l'interdépendance entre le maintien de l'ordre et de la sécurité et le libre exercice des droits fondamentaux des individus.
L'équilibre entre l'action des pouvoirs publics et leur perception internationale
Il est vrai qu'en matière de droits de l'Homme précisément, les Etats se retrouvent très souvent confrontés à l'intervention des institutions internationales. Plus encore, cette dualité entre les niveaux, national et mondial, peut dans certains cas être porteuse de véritables conflits juridiques. Ainsi, le député français Jean-Paul Lecoq, issu de la Gauche démocrate et républicaine, interpelle au moyen d'une question écrite publiée au Journal officiel (JO) du 31 janvier 2012, le Ministère des Affaires étrangères et européennes sur « (...) le sort des prisonniers d'opinion sahraouis incarcérés au Maroc (...) » au moment du démantèlement du camp de Gdeim Izik. Il questionne « l'attitude de la France », d'un point de vue humanitaire, vis-à-vis du « (...) procès devant une cour militaire [des prévenus] alors que ce ne sont que des civils ». La réponse donnée par le Ministère concerné, publiée quant à elle au JO du 1er mai 2012, rappelle à M. Lecoq que les détenus ne sont pas des prisonniers d'opinion, mais sont accusés de « (...) constitution de bande criminelle, agression physique, incendie volontaire ou utilisation d'armes blanches », actes clairement punis par la loi marocaine, et toute autre législation quelle qu'elle soit. La réponse précise également que « Conformément au droit marocain, [le tribunal militaire] est compétent dans les cas où des militaires sont impliqués et en cas de détention ou utilisation d'armes ou d'explosifs ».
De plus, le Ministère interrogé a rappelé qu'en matière de droits de l'Homme, le Maroc a pris « (...) des décisions fortes (...) au cours de l'année 2011 (...) pour une meilleure prise en compte des besoins », notamment au Sahara, puisque « Le Conseil national des Droits de l'Homme, dont l'indépendance a été renforcée, a ouvert à l'automne 2011 deux bureaux régionaux », à Laâyoune et à Dakhla. Et d'ajouter que « La France encourage pleinement le processus de réformes politiques en cours au Maroc, qui contribuera à améliorer la situation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans ce pays ».
Le décalage entre la question posée, clairement tendancieuse d'un point de vue politique, et la réponse apportée, imprégnée de considérations de légalité, d'obligation de maintien de l'ordre public et de respect des droits et libertés fondamentaux, est révélateur, d'une part, des soubassements idéologiques qui motivent le questionnement des rapports entre ordre public et droits de l'Homme, et d'autre part, des préoccupations légales et légitimes des Etats, qui visent à concilier la stabilité du corps social et le respect des droits de l'Homme.
En effet, au sein de l'Union Européenne, les institutions communautaires ne peuvent intervenir en matière d'ordre public, qui revient intégralement aux Etats et à leurs gouvernants, conformément à leurs législations nationales. La seule influence exercée par des organismes autres que l'Etat lui-même se fait au moyen des textes internationaux relatifs aux droits de l'Homme ratifiés par l'Etat en question. Pour le cas du Maroc, la réforme constitutionnelle de 2011 a permis de créer un équilibre entre les normes internes et internationales. Car la mise en place d'un contrôle exercé par le juge constitutionnel en vue de vérifier la conformité des textes internationaux à la Constitution, et réciproquement, tend à créer un équilibre entre l'intérêt national et les impératifs internationaux. Ainsi, l'article 55 de la Constitution marocaine dispose que « Si la Cour Constitutionnelle (...) déclare qu'un engagement international comporte une disposition contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution ».
Il apparaît donc clairement que dans le cas de l'affaire du Sahara marocain, l'Etat marocain est à la fois responsable et du maintien de l'ordre public et du respect des droits et des libertés fondamentaux des populations y établies. Bien que répondant à des standards internationaux, ces deux obligations incombant au royaume du Maroc se combinent en fonction de la conjoncture et des circonstances dans lesquelles se trouve le pays. Ainsi, bien qu'il existe des règles permettant de corréler les deux, sans que l'une ne se fasse aux dépens de l'autre, l'Etat se doit de privilégier le maintien de l'ordre public, puisqu'il est nécessaire à l'exercice des droits de l'Homme et des libertés individuelles.


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