La Catalogne, poussée par une fronde indépendantiste, s'apprête à élire dimanche son Parlement, un scrutin qui lance un défi au gouvernement espagnol qui pourrait mener cette région vers un référendum sur son avenir. "Nous ne sommes pas les vassaux de l'Etat espagnol", a clamé vendredi soir le chef de file nationaliste, Artur Mas, appelant les Catalans à construire "l'avenir de leur nation", devant des milliers de partisans rassemblés en clôture de campagne dans le palais des sports olympique de Sant Jordi, à Barcelone. Car Artur Mas, le président de cette puissante région du nord-est de l'Espagne, à la forte identité culturelle et linguistique, a fait le pari du conflit ouvert avec Madrid: il a convoqué des élections anticipées en espérant obtenir une majorité absolue et avancer, dit-il, vers un "Etat souverain". Un jeu risqué puisque les derniers sondages ne donnent à sa coalition, Convergencia i Unio (CiU), qu'une majorité relative des 135 députés. Qu'importe, il a déjà promis aux 7,5 millions de Catalans un référendum sur l'autodétermination dans les quatre ans. Défense d'un "Etat souverain" En face, le gouvernement de droite espagnol se retrouve confronté à un défi majeur: pour le pays, embourbé dans la crise économique, il en va maintenant de la pérennité du modèle de l'autonomie régionale, l'un des fondements de la Constitution de 1978. Si Artur Mas, un nationaliste de droite modéré, évite soigneusement le mot "indépendance", c'est bien un "Etat souverain" qu'il défend, affirmant que celui-ci serait viable économiquement, certes parmi "les plus petits" territoires, mais "le septième de l'Union européenne" en termes de richesse par habitant. De quoi faire trembler le monde des affaires face au spectre d'un Etat qui pourrait se retrouver de facto hors de l'UE et de la zone euro, alors que la région pèse pour un cinquième du PIB de l'Espagne. Depuis deux ans, la frustration montait en Catalogne après une décision du Tribunal constitutionnel espagnol de réduire son statut d'autonomie élargie, datant de 2006, gommant l'article qui la définissait comme une "nation". Sur ce terreau identitaire très sensible, la crise économique a avivé les frustrations, la Catalogne accusant l'Etat central de l'entraîner dans un gouffre financier. La région, aujourd'hui la plus endettée d'Espagne, réclame un "pacte fiscal", équivalent à celui dont bénéficient le Pays Basque et la Navarre, qui lui permettrait de lever elle-même l'impôt et de gommer les inégalités dont elle se dit victime. Une manifestation indépendantiste monstre, à Barcelone le 11 septembre, a marqué un nouveau virage et précipité la convocation d'élections deux ans avant la date prévue. Les intentions d'Artur Mas restent cependant ambigües. "La stratégie était de faire monter la tension avec le gouvernement espagnol pour pouvoir négocier" un pacte fiscal, estime Gabriel Colome, professeur de Sciences politiques à l'Université autonome de Barcelone. "Au stade actuel, l'indépendance de la Catalogne reste une perspective éloignée", remarquent les analystes de l'institut IHS Global insight. "Mais cette perspective ouvrirait une boîte de Pandore, avec une crise constitutionnelle en Espagne, une possible contagion à d'autres régions périphériques aux aspirations souverainistes, un coup porté aux finances publiques espagnoles, et poserait aussi des questions sur la viabilité d'un Etat catalan, au côté de l'Espagne et au sein de l'Union européenne", résument-ils. Pour Joaquin Molins, professeur de Sciences politiques à l'Université de Barcelone, Artur Mas n'ira pas jusqu'au bout: "Ce qui paraît logique, c'est que des négociations vont avoir lieu sur le pacte fiscal, et que tout cela est une stratégie pour se positionner chacun comme le plus fort". D'autant que, selon un récent sondage paru dans le quotidien El Pais, 46% des Catalans seulement répondraient oui à une question sur l'indépendance, un chiffre qui descendrait à 37% si la Catalogne devait alors sortir de l'Union européenne.