La vague d'islamophobie qui déferle par les temps qui courent sur les cinq continents, n'a jamais été aussi virulente ni aussi systématique que depuis l'aube de ce vingt et unième siècle. Les multiples manipulations tout azimut des protagonistes concernés - islamophobes patentés et islamistes intégristes illuminés - mènent, chacun dans son camp, leurs guerres respectives avec une fougue et une férocité dévastatrices. Version actualisée des guerres de religion moyenâgeuses de sinistre mémoire, ces luttes s'apparentent aujourd'hui à des guéguerres de religieux dont les effets et les conséquences constituent, à l'évidence, un sérieux péril pour l'humanité toute entière. Mais les clergés de tous les cultes incriminés n'en ont cure. Qu'ils soient coiffés d'un turban, d'une kippa ou d'une mitre, les hommes de religion s'en donnent à cœur joie ( !) pour attiser le brasier et tirer sur les ficelles. Quant aux marrons qui pourraient se trouver dans cette fournaise infernale cyclique et sporadique puisqu'elle n'épargne aucun recoin de notre planète ensanglantée, je n'en subodore pas l'odeur et n'en perçois point la couleur. Pourquoi dès lors tout ce feu, tout ce sang, toute cette haine implacable alors que les religions célestes prônent, toutes, l'amour, la coexistence, la solidarité entre tous les êtres humains. Des mots creux, vides de sens que seuls les naïfs, les ingénus et les rêveurs - dont je suis – persistent encore à utiliser aujourd'hui. Puisque tel est l'Islam, nous sommes tous musulmans La citation exacte que nous venons de paraphraser (de Goethe, l'immense philosophe germanique) s'exprime ainsi, en vérité : « Si tel est l'Islam, ne sommes-nous pas tous musulmans ? » Le mode interrogatif me parait même plus fort et plus percutant que la forme indicative en ce que le grand penseur allemand semble, à travers cette pathétique et solennelle interrogation, interpeller les consciences, prendre à témoin non seulement les fidèles de toutes les croyances mais aussi les agnostiques -hommes et femmes de bonne volonté – pour attester que la doctrine prônée par Sidna Mohammed - que la paix et le salut soient sur Lui - constitue la synthèse d'un monothéisme que l'on pourrait qualifier, sans risque de blasphème, de Message divin revisité actualisé, adapté. La spiritualité, l'aspect œcuménique qui caractérise le fait religieux semble avoir occulté durablement le côté pratique et, si j'ose écrire, le volet usuel et instrumental de la pratique au quotidien des piliers de la foi. Le mystique prédomine, l'usuel étant relégué à un plan secondaire, négligeable, pour tout dire. Or, l'acte religieux est d'abord mode de vie et code de savoir-vivre.. Il ne vise pas autre chose que de nous réconcilier avec nous-mêmes d'abord et c'est fondamental, avec les nôtres et avec les autres ensuite et ce n'est pas moins important. Vivre en bonne intelligence avec autrui, et avec nous-mêmes est la condition première pour penser sereinement réfléchir utilement et agir efficacement. Pour soi-même, pour son prochain, pour la communauté toute entière à laquelle nous appartenons. J'ai schématisé et j'en conviens. Pour deux raisons, la première c'est que, n'étant ni théologien ni exégète, je ne me hasarderai pas à développer une quelconque théorie sur cette thématique, la deuxième est que, monothéiste convaincu, je suis en aise d'entretenir chaque jour que Dieu fait, des rapports limpides et sereins avec les, Gens du Livre, qu'ils soient Juifs ou Chrétiens. Et, je dois le dire, ils me le rendent fort bien... Omar Ibn El Khattab, le précurseur es-dialogue inter-religieux Pour vivre le futur, il importe de se pencher d'abord sur le passé. L'aube de l'Islam qui coïncide avec l'apogée de son expansion nous fournit ainsi mille et un épisodes chargés de leçons et d'enseignements. Je me contenterai dans ce papier d'évoquer une séquence de la (re) conquête d'Al-Qods par les Musulmans. Elle m'apparaît comme la parfaite illustration de cette coexistence inter-religieuse élevée au paroxisme de la sublimation, à l'idéalisme le plus accompli. Je raconte ledit épisode qui, autant que la personne et la personnalité de Sidna Omar, me marquent et déterminent, j'espère bien, mes faits et gestes au quotidien. Il y a quatorze siècles, à l'aube de l'Islam – un Islam pur et...doux – Omar Ibn El Khattab agissait en apôtre de paix et donnait l'exemple sublime de la main tendue aux Gens du Livre. Deux épisodes de l'expansion et des conquêtes de l'Islam, révélateurs à plus d'un titre, méritent d'être rapportés. Lorsque, après quatre mois de siège de Jérusalem par les armées musulmanes, le courageux défenseur, le patriarche Sophronius décida de capituler, il mit comme condition que la ville serait rendue à Omar en personne. Le Khalife quitta Médine, accompagné d'un seul serviteur, n'ayant pour bagage qu'une outre d'eau et un sac d'orge et de dattes. Marchant jour et nuit, il arriva à Jérusalem. Il n'entra dans la Cité qu'avec un petit nombre de compagnons. Reçu par le patriarche et par les habitants, il leur déclara qu'ils étaient en sûreté, qu'un traitement de faveur sera accordé à la ville, que la vie et les biens de tous les habitants seraient garantis, que les églises et les lieux saints seraient respectés... D'après la tradition chrétienne, le Khalife aurait visité les lieux saints de pèlerinage s'informant de leur histoire. Arrivé à l'Eglise de la Résurrection, il se trouva être l'heure de la prière. Le patriarche l'invita à prier dans l'Eglise, mais il se refusa en disant qu'une église où il aurait prié deviendrait musulmane et il ne voulait pas déposséder des chrétiens (1). La même scène eut lieu à Damas, précisément dans la Mère des Mosquées, lorsque le Khalife, y pénétrant pour la première fois, décida qu'une partie de l'édifice religieux (cathédrale) devait être réservée aux chrétiens pour leur permettre de pratiquer leur culte, librement et dans la dignité. En matière de cohabitation et de coexistence interreligieuse, je ne sache pas que l'on puisse faire mieux ou plus et il s'agit bel et bien là, d'un cas de symbiose éclatante entre deux communautés unies autour d'un Dieu unique. Sidna Mohammed, vu par Lamartine Pour conclure, et afin d'expurger de ce texte toute connotation subjective éventuelle, je ne puis m'empêcher de reproduire ci-après le témoignage qui, depuis près de deux siècles, fait autorité puisque formulé par un non-musulman, dont la notoriété et le prestige ne sont plus à décrire. Poète immense et grand homme d'Etat français du 19ème siècle, Alphonse de Lamartine, en l'occurrence, qui nous livre un portrait sublimissime du Sceau des Prophètes, portrait dans lequel la dimension universelle de l'Islam est dévoilée et la portée doctrine universaliste de la doctrine mohammadie est admirablement étayée. Le texte lamartinien, donc. « Jamais, dit le grand poète, homme ne se proposa, volontairement ou involontairement, un but plus sublime, puisque ce but était surhumain: saper les superstitions interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l'homme et l'homme à Dieu, restaurer l'idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l'idolâtrie... Jamais homme n'accomplit en moins de temps une si immense et durable révolution dans le monde, puisque moins de deux siècles après sa prédication, l'Islamisme, prêché et armé, régnait sur les trois Arabies, conquérait à l'Unité de Dieu la Perse, le Khorassan, la Transoxiane, l'Inde occidentale, la Syrie, l'Egypte, l'Ethiopie, tout le continent connu de l'Afrique septentrionale, plusieurs îles de la Méditerranée, l'Espagne et une partie de la Gaule. » Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l'immensité, du résultat sont les trois mesures du génie de l'homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l'histoire moderne à Mahomed ? Les plus fameux n'ont remué que des armes, des lois, des empires; ils n'ont fondé, quand ils ont fondé quelque chose, que des, puissances matérielles, écroulées souvent avant eux. Celui-là a remué des armées, des législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions d'hommes sur un tiers du globe habité ; mais il a remué, de plus, des idées, des croyances, des âmes. Il a fondé sur un livre, dont chaque lettre est devenue loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toutes les langues et de toutes races, et il a imprimé, pour caractère indilébile de cette nationalité musulmane, la haine des faux dieux et la passion du Dieu un et immatériel... Philosophe, orateur, apôtre, législateur ; guerrier, conquérant d'idées, restaurateur de dogmes rationnels, d'un culte sans images, fondateur de vingt empires terrestres et d'un empire spirituel, voilà Mohamed. A toutes les échelles où l'on mesure la grandeur humaine, quel homme fut plus grand ... » 1) Il serait téméraire d'essayer d'ajouter quoi que ce soit à ce témoignage venu d'ailleurs. POST-SCRIPTUM A l'heure où ces lignes sont rédigées, s'ouvrait à la Mecque un sommet extraordinaire de l'Organisation de la Conférence Islamique. La tragédie et les épreuves que traverse la Oumma Islamique aux quatre coins de la planète (Syrie, Afghanistan, Liban, Yémen, Libye, Mali, Niger et Nigeria et dans d'autres contrées plus lointaines) rendaient impérieuses une telle Rencontre en vue de juguler cette effusion de sang interminable et prospecter toutes les voies de nature à rétablir la paix dans ces foyers de tension lancinante. C'est le vœu que nous formulons, c'est la prière que, au lendemain de Laylat Al Kadr, nous élevons pour implorer le Tout-Puissant afin que les antagonismes s'apaisent, que la paix s'installe et règne au sein de la communauté universelle toute entière car, dans ces déchirements et ces cataclysmes préfabriqués nul, de quelque confession qu'il soi, ne pourrait sortir indemne et c'est le péril qu'il nous faut conjurer, toute affaire cessante. (1) Carra de Vaux - «Les Penseurs de l'Islam», Paris 1921 Cité par Haidar Bammate in «Visages de l'Islam» Payot. Lausanne 1958