En cette matinée du 7 juillet, on pouvait s'attendre à rencontrer diverses sortes de surprises dans cette enceinte de la province d'El Jadida, sauf à celle de Cheb Bilal. Mais il faut préciser qu'en fin de cette journée, la capitale des Doukkala s'apprêtait à célébrer la clôture de la 2ème édition de son festival Jawhara, avec Melhem Zein en ouverture et Cheb Bilal pour clore la soirée. Cheb Bilal reste en dépit de son immense popularité auprès des jeunes, un garçon humble, poli et surtout drôle. Voici par ailleurs quelques une de ses impressions : « Bien sûr que les textes de mes chansons, je les écris moi-même. Je les ressens tellement qu'il m'arrive des fois de vouloir les crier, même sans musique. C'est le moyen de communication dont je dispose pour m'adresser à mon public et lui exprimer mes différents états d'âme : passion, émotion, défi... Qu'on m'identifie aujourd'hui de « porte-parole » des « ch'makrias » et de tous ceux roulant aux psychotropes, cela ne m'honore guère. Vous savez, je suis un garçon non instruit. Issu des couches sociales défavorisées et qui comprend, en quelque sorte, ce que ressent cette catégorie de jeunesse, à savoir leurs frustrations, leurs refoulements et leurs aspirations. J'ai peut-être trouvé les mots justes, qui les aident parfois à extérioriser leur mal de vivre et leurs moments de cafard. S'il est vrai que, grâce à la chanson, aujourd'hui j'arrive à bien gagner ma vie, je n'ai jamais oublié mes racines ni renié mes origines. Ma famille fait partie de cette catégorie sociale que l'on qualifie de modeste. Mais suis-je pour autant meilleur qu'eux, parce que je suis devenu célèbre et que matériellement je ne suis pas dans le besoin ? Je continuerai à écrire pour les défavorisés et les laissés pour compte, mais jamais de textes à l'intention des politiciens et des classes favorisées. Je préfère laisser cette besogne à d'autres. Malheureusement, de nos jours, nous sommes confrontés à ce fléau qu'est le piratage et qui constitue un véritable handicap contre la création artistique. Mais il y a pire : le piratage par d'autres " chanteurs" qui s'accaparent les chansons et ce, sans aucun préavis ni la moindre autorisation. A tel point qu'aujourd'hui, des "chanteurs" se sont faits connaître alors que toutes les chansons qu'ils interprètent ne leur appartiennent pas ». Bilal, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, est né le 23 juillet 1966 en Algérie. Bilal Mouffok, alias Cheb Bilal, a été élevé à Oran où il a suivi des cours de musique au Conservatoire. Dans les années 80, Bilal forme le groupe El Ahouar et remporte en 1987 le premier prix d'un concours de chant. C'est au moment où il devient une superstar dans son pays natal qu'il rejoint la plus méditerranéenne des villes française, Marseille. De soirée en soirée, il finit par se faire remarquer par la communauté algérienne. Il commença alors à remplir des petites salles et progresser jusqu'à faire l'ouverture du concert de Cheb Hasni. Au fil des titres et des albums, Bilal inscrivit son nom dans les annales du Rai et devint alors un des artistes les plus populaires du Maghreb. Et c'est cette star que nous avons été voir, sur scène, le soir même à l'hippodrome Lalla Malika. Pas loin de 300.000 spectateurs, en majorité des jeunes, étaient là dont plusieurs d'entre eux avaient pris place dès 17 heures. Quand Cheb Bilal monta enfin sur scène aux alentours de minuit, c'était parti pour une nuit de fête et de danse. Les paroles du Gourou, pardon de Cheb Bilal, étaient envoûtantes avec sa célèbre voix, chaude et suave à la fois. Son concert fut un moment durant lequel ne comptait plus que la musique et la danse. Car ce Rai, ce n'était pas uniquement le chant. C'était aussi le sens des paroles, tantôt violentes, tantôt sensuelles et qui se mêlaient à la musique dans une même passion. Des paroles qui nous faisaient assister à une explosion d'émotions et une parfaite osmose entre le "Gourou" et son public, dont les âmes entrant en transe au fil des chansons étaient comme transportées vers les hauteurs. 300.000 spectateurs, chantant et dansant, dans l'une des meilleures et plus intenses représentations du Rai. C'est donc à une telle soirée que le public jdidi était convié. Il avait rendez-vous avec un artiste doté d'un immense talent et ayant un pouvoir réel sur son public, le tenant en haleine du début à la fin du concert. Chant, musique et danse s'entremêlèrent pour offrir au public de cette soirée un spectacle de haut niveau. Joie et douleur n'en faisaient plus qu'une. Une intériorité telle, que l'emprise devenait immédiate ! L'instant était si magique et le public totalement envoûté, charmé, conquis... que l'on aurait dit qu'une même vague d'émotion venait de déferler sur lui, le faisant profiter d'un Rai authentique, vivant et émouvant à la limite du sacré ! La voix et les paroles de Cheb Bilal ne pouvaient laisser personne insensible. Il faut dire que le style adopté et cette manière de « chanter » avec la voix particulière de l'artiste, qui n'a pas d'égal pour exprimer douleur et plaisir, approfondissaient l'envoûtement des spectateurs dépassés par la beauté de la musique et le sens profond des paroles. C'était trop de belles choses en une seule soirée. Trop pour un public presque novice et dont l'imagination galopait à une vitesse folle. Trop d'interpénétration entre réel et virtuel. Pas loin de 2 h-30mn du matin, Cheb Bilal quitta enfin la scène. Mais longtemps après, fans ou pas, petits et grands, continuèrent à fredonner les Talismans de ce Gourou, pardon, les chansons de cet artiste. Tous ont été envoûtés par lui ! Cheb Bilal venait d'obtenir ce soir là la reconnaissance d'un public totalement conquis par le talent de ce grand artiste et qui a fait de ce spectacle non seulement un Art du Chant, de la Musique et de la Danse, mais avant et après tout une sacrée aventure humaine. •